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L'accès à la représentation juridique en matière civile : un droit constitutionnel?

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Academic year: 2021

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L'accès à la représentation juridique en matière civile:

un droit constitutionnel?

Mémoire

Jasmine Laroche

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

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L’accès à la représentation juridique en

matière civile : un droit constitutionnel?

Mémoire

Jasmine Laroche

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Les problèmes d’accès à la justice dans le domaine du droit privé au Québec et dans les autres provinces canadiennes sont persistants. En matière civile, très peu de personnes physiques ont la réelle possibilité de faire appel aux tribunaux pour faire valoir leurs droits. De manière générale, seules les personnes très fortunées et celles qui sont admissibles à l’aide juridique ont les moyens de pourvoir aux frais inhérents à une action en justice.

L’accès aux tribunaux est une composante fondamentale du droit d’accéder à la justice, garanti par le corpus constitutionnel canadien. Or, la seule possibilité de saisir une cour de justice n’est pas suffisante pour en assurer l’accès significatif et équitable. Dans le contexte de notre système juridique contradictoire – où il incombe à chaque partie de faire valoir ses prétentions en tenant compte de conditions de forme et de fond précises – l’assistance d’un avocat est nécessaire. À l’heure actuelle, il est trop onéreux pour une grande proportion des justiciables de se procurer les conseils d’un procureur et peu d’entre eux sont admissibles au régime d’aide juridique applicable en matière civile. L’accès aux tribunaux ne peut être réel pour ceux-ci.

Le véritable problème de l’accès à la justice semble davantage être une question de possibilité de bénéficier de conseils juridiques, plutôt que d’obstacles à l’accès à l’institution judiciaire à proprement parler. L’accès plus étendu à la représentation juridique pourrait permettre d’améliorer significativement l’accessibilité des tribunaux civils pour les personnes physiques.

Dans le contexte où à peine plus de 1 % du budget québécois est alloué à l’administration de la justice, ce mémoire vise à explorer une approche alternative afin de permettre au système judiciaire de relever le défi auquel il fait face quant à ces justiciables pour qui l’accès pose certaines difficultés majeures. Il propose d’examiner la possibilité d’une reconnaissance judiciaire du droit constitutionnel à la représentation juridique en matière civile, ainsi que son corollaire : la nécessité pour l’État d’assurer la matérialisation de ce droit pour les justiciables qui ne peuvent en assumer les frais.

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ABSTRACT

The access to civil justice problems in all Canadian provinces are persistent. In civil matters, very few individuals have the true possibility to use the courts to enforce their rights. Broadly speaking, only very fortunate individuals, or the ones eligible to legal aid coverage, have the capacity to carry out legal proceedings.

Access to the courts is an essential component of the right to access to justice guaranteed by the Canadian constitution. However, the sole possibility of seizing a court of justice is not sufficient to ensure a significant and just access. In the context of an adversarial system – in which each side must assert their claim according to specific substantive and formal conditions – the assistance of a lawyer is a necessity. However, it is currently too expensive for a vast proportion of litigants to seek the assistance of an attorney, and only a few of them are eligible to legal aid coverage in civil matters. Therefore, access to courts cannot be tangible for these individuals.

The real issue regarding access to justice seems more so a question of the possibility to benefit from legal counsel, rather than physical barriers to the legal institution. An extended access to legal representation may significantly improve access to civil courts for many individuals.

In the context in which barely 1 % of the Québec budget is allocated to the administration of justice, this thesis explores an alternative approach to assist the judicial system in meeting the challenge to which it is confronted regarding the litigants for whom access to the courts raises major difficulties. It suggests considering the possibility of a judicial recognition of the constitutional right to legal representation in civil matters, as well as its corollary: the State’s obligation to ensure the materialization of this right for the litigants who cannot bear such costs.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... vii

LISTE DES FIGURES ... viii

DÉDICACE ... ix

REMERCIEMENTS ... x

INTRODUCTION ... 1

Les coûts sociaux et financiers ... 1

Les enjeux juridiques ... 5

Hypothèse et démonstration ... 7

Méthodologie ... 8

TITRE 1 - L’ACCÈS À LA JUSTICE CIVILE ... 11

Chapitre 1 – Quelle justice? ... 12

Section 1 – De nombreuses définitions ... 12

Section 2 – La justice institutionnelle ... 16

Section 3 – Notre définition : l’accès à un tribunal au cœur de la notion de justice ... 20

Section 4 – Pourquoi la justice civile? ... 25

Chapitre 2 – L’accès significatif : la représentation juridique ... 30

Section 1 – La notion de « représentation juridique » ... 31

Section 2 – Le rôle essentiel des avocats au sein d’un système contradictoire ... 32

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TITRE 2 – LE DROIT CONSTITUTIONNEL À LA REPRÉSENTATION JURIDIQUE ... 47

Chapitre 1 – L’étape préliminaire : le droit constitutionnel d’accéder aux tribunaux civils .. 49

Section 1 – Le désengagement judiciaire ... 49

Section 2 – Les premiers pas vers la reconnaissance ... 52

Section 3 – La reconnaissance formelle de la Cour suprême ... 55

Chapitre 2 – L’évolution du droit constitutionnel à l’avocat en jurisprudence canadienne . 59 Section 1 – En droit criminel ... 60

Section 2 – En matière administrative ... 67

Section 3 – L’absence de reconnaissance en droit civil ... 74

Chapitre 3 – Les droits fondamentaux à mobiliser pour une reconnaissance en matière civile ... 79

Section 1 – Le principe constitutionnel de la primauté du droit ... 86

Section 2 – L’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 ... 95

Section 3 – Le droit à la sécurité ... 99

Section 4 – Le droit à l’égalité ... 106

La condition sociale ... 108

Le sexe ... 112

Les autres communautés vulnérables ... 116

Le handicap ... 117

Section 5 – Les obligations internationales applicables au Canada ... 118

CONCLUSION ... 127

TABLE DE LA LÉGISLATION ... 133

TABLE DE LA JURISPRUDENCE ... 135

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

ABC : Association du Barreau canadien C.c.Q. : Code civil du Québec

CADH : Convention américaine des droits de l’homme CDH : Comité des Droits de l’Homme

CDPDJ : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse Charte de l’OÉA : Charte de l’Organisation des États américains

C.p.c. : Code de procédure civile

DUDH : Déclaration universelle des droits de l’Homme JNR : Justiciable non représenté

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LISTE DES FIGURES

Figure 1. Raisonnement logique de la démonstration ... 8

Figure 2. Représentation de la conception de la justice institutionnelle ... 17

Figure 3. Justiciables qui rapportent au moins un problème dans la catégorie ... 27

Figure 4. Barème des revenus annuels bruts – Volet gratuit ... 42

Figure 5. Représentation des dépenses en justice en comparaison du budget total ... 45

Figure 6. Critères pour l’octroi d’un avocat payé par l’État en matière criminelle. ... 67

Figure 7. Critères pour l’octroi d’un avocat payé par l’État selon l’article 7 de la Charte canadienne ... 104

Figure 8. Répartition de l’aide juridique allouée selon l’âge et le sexe ... 115

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DÉDICACE

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REMERCIEMENTS

Je remercie tout d’abord mon directeur de recherche, le professeur Louis-Philippe Lampron pour ses commentaires toujours judicieux, de même que pour sa grande confiance en mon projet dès sa première verbalisation plutôt abstraite. Sa disponibilité a été sans faille, même jusqu’en Haïti.

Mes remerciements à la professeure Marie-Claire Belleau pour son soutien et sa confiance inconditionnels, et pour m’avoir donné la chance de travailler avec elle. Je la remercie également pour les nombreuses discussions stimulantes que nous avons eues dans un cadre informel et toujours bienveillant, et qui m’ont permis de cheminer dans mes réflexions reliées de près ou de loin à mon mémoire.

Merci aux autres professeur.e.s que j’ai eu la chance de côtoyer au long de mon parcours académique, notamment les membres du Groupe d’étude en droits et libertés de la Faculté de droit et plus spécifiquement la professeure Christine Vézina, auprès de qui j’ai eu l’opportunité de travailler.

Je remercie également la Faculté de Droit de l’Université Laval et la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon pour leur soutien financier.

Me Pierre Jolin, mon mentor et allié en dépit de mon parcours atypique, merci de m’avoir pris sous votre aile. Je sais votre soutien indéfectible et j’en suis honorée.

Merci à toi papa d’être le meilleur exemple du bonheur d’aimer son travail et du fait qu’il est possible d’être le plus intelligent, tout en gardant son cœur d’enfant. Maman, merci d’être mon alliée de toujours, malgré la sensibilité de ton cœur de mère que j’ai mise à l’épreuve en me lançant dans le vide. Merci à mes ami.e.s; Marc-Antoine pour tes encouragements dans les moments de doutes, Charles pour les dîners sur les remparts, Laurie, parce que tu es tout simplement ma meilleure – et tou.te.s les autres.

Finalement, merci à Samuel, pour ta confiance en mes capacités, pour ton amour et ta patience dans les moments plus tumultueux et pour ton humour qui rend tout plus beau. Merci pour le temps que tu as consacré à nos nombreux brassages d’idées sur le coin de la table de la cuisine, et pour tes relectures toujours (trop) assidues.

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« The justice system risks losing the confidence of the public when "wealthy corporations," or the poor, who qualify for legal aid, have the means to use the court system. For

"middle-class" Canadians, resolving a legal problem of any significance often requires taking out a second mortgage or draining their life savings. [...] There's "no point" in having a justice system that nobody can afford to use. […] The cost of legal services does limit access to justice for many Canadians1. »

- La très honorable Beverly McLachlin

« It’s only money. Justice has nothing to do with it.2 »

- Propos tirés d’une étude réalisée par la professeure Julie MacFarlane

1 Tracey Tyler, « Access to Justice a ‘Basic Right’ », The Toronto Star (12 août 2007) en ligne: <http://www.thestar.com/article/245548> [Access to Justice a ‘Basic Right’].

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INTRODUCTION

Les problèmes d’accès à la justice – cette dernière étant entendue au sens large – dans le domaine du droit civil au Québec et dans les autres provinces canadiennes sont aujourd’hui largement documentés3. Plusieurs intervenants qualifient la situation actuelle de crise

d’accessibilité à la justice4, en ce qu’une large portion de la population ne peut se prévaloir

d’une solution juridique afin d’appréhender les enjeux auxquels elle fait face au quotidien. Le système judiciaire, composante essentielle de la justice, est en proie à de graves problèmes d’accessibilité. Au Québec, dans la situation actuelle, les rôles d’audience des tribunaux sont très majoritairement occupés par des personnes morales et des institutions gouvernementales et non gouvernementales5. En matière civile, très peu de personnes

physiques ont la réelle possibilité de faire appel aux tribunaux pour faire valoir leurs droits. De manière générale, outre certaines personnes morales, seuls les individus très fortunés et ceux qui sont admissibles à l’aide juridique ont les moyens de pourvoir aux frais inhérents à une action en justice. Les autres justiciables sont confrontés à un choix restreint : risquer leurs avoirs dans un procès, se représenter eux-mêmes ou renoncer à faire valoir leurs droits devant un tribunal et ainsi, abandonner leurs droits6. À l’heure actuelle, on assiste à

un phénomène de désertion des tribunaux par les personnes physiques7.

Les coûts sociaux et financiers

Plusieurs facteurs sont susceptibles d’expliquer ce phénomène. L’une des explications la plus fréquemment avancée est l’importance des coûts associés à l’obtention de conseils juridiques8. Les personnes indigentes et celles issues de la classe moyenne ne peuvent

3 Voir notamment la recension effectuée par Noel Semple, « The Cost of Seeking Civil Justice in Canada » (2015) 93 R. du B. Can. 639 [Semple].

4 Oscar D’Amours, Pierre Noreau, Marc-André Patoine, Céline Pelletier, Catherine Piché et Huguette Saint-Louis, « Plaidoyer pour un livre blanc pour la Justice : La justice québécoise en attente d’une vraie réforme »,

Le Devoir (15 novembre 2010), en ligne : <

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/310971/plaidoyer-pour-un-livre-blanc-sur-la-justice-un-souffle-nouveau-pour-la-justice-quebecoise>.

5 Pierre-Claude Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012 aux pp 43 et 44 [Lafond].

6 Beverly McLachlin, « The Challenges we face », allocution prononcée par la très honorable Beverly McLachlin, C.P. Juge en chef du Canada, présentée devant l’Empire Club of Canada, 8 mars 2007, en ligne : Cour suprême du Canada <http://scc-csc.ca/court-cour/judges-juges/spe-dis/bm-2007-03-08-eng.aspx> [Allocution de Beverly McLachlin].

7 Lafond, supra note 5 aux pp 43 et 44.

8 Trevor C.W. Farrow, Ab Currie, Nicole Aylwin, Les Jacobs, David Northrup et Lisa Morre, Everyday Legal

Problems and the Cost of Justice in Canada : Overview report, Forum canadien sur la justice civile, Toronto,

(13)

défrayer les coûts occasionnés par une démarche judiciaire. À l’issue d’une étude empirique de l’Observatoire des services professionnels, ses auteurs mentionnent qu’« [i]l serait normal de s’attendre à ce que tous les citoyens du Québec, sans égards aux disparités de nature socio-économique, aient accès à la justice. Or, l’expérience sur le terrain témoigne d’une autre réalité9 ». Dans le même sens, l’ancienne juge en chef de la Cour suprême

considère que la justice est un bien essentiel (basic good)10. La juge McLachlin avance

également que le Canada possède un très bon système de justice pour les compagnies et les plus riches, mais que celui-ci demeure inaccessible aux justiciables qui ne font pas partie de ces catégories11. Ce faisant, l’accès à la justice devient un privilège octroyé aux plus

riches12. Elle met en garde contre les effets d’un tel problème sur la démocratie et la stabilité

sociale13.

En effet, les obstacles à l’accès à la justice civile entraînent des conséquences très concrètes sur le plan socio-économique, autant d’un point de vue individuel que collectif. Le manque d’accès au droit – entendu dans son sens large - est susceptible de perpétuer l’exclusion sociale14. Les personnes ainsi exclues sont incapables de participer pleinement

à la société à divers degrés15. Les obstacles rencontrés au sein du système de justice

participent au problème plus vaste de l’exclusion sociale16.

Plusieurs études confirment cet état de fait quant au domaine plus particulier de la justice civile. Les entraves à son accès sont susceptibles de créer ou d’exacerber des facteurs

9 Observatoire des services professionnels, « L’offre et la demande de services juridiques : Les besoins des ménages à revenus moyens », Montréal, 2013 à la p 24 [L’offre et la demande de services juridiques].

10 Action Committee on Access to Justice in Civil & Family Matters, Colloquium Report, Ottawa, 2014, en ligne: < http://cfcj-fcjc.org/sites/default/files//docs/2014/ac_colloquium_web_FINAL.pdf> [Action Committee on Access to Justice].

11 Kirk Makin, « Access to Justice Becoming a Privilege for the Rich, Judge Warns », The Globe and Mail (10 février 2011), en ligne: <https://www.theglobeandmail.com/news/national/access-to-justice-becoming-a-privilege-of-the-rich-judge-warns/article565873/>.

12 Ibid. 13 Ibid.

14 Programme des Nations Unies pour le développement, Report of the Commission on Legal Empowerment of the Poor – Volume 1 : Making the Law Work for Everyone, New York, NU, 2008 aux pp 15 et s.

15 Ab Currie, « Civil Justice Problems and the Disability and Health Status of Canadians » dans Pascoe Pleasance et al. (dir), Transforming Lives: Law and Social Process, Grande-Bretagne, Sweet & Maxwell, 2007 à la p 59 [Civil Justice Problems].

16 Concept qui englobe toutes les réalités que sont susceptibles de vivre les personnes qui subissent une combinaison de problèmes tels que le chômage, le manque de qualifications professionnelles, un faible revenu, de mauvaises conditions de logement, un taux de criminalité élevé, une mauvaise santé et une famille dysfonctionnelle : Ibid à la p 51.

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déterminants de l’exclusion sociale17. Le manque d’accès au système judiciaire participe à

la perpétuation de ce phénomène et à la marginalisation des populations en situation de vulnérabilité. Celui-ci est la manifestation du désavantage vécu par les gens vivant dans des conditions socio-économiques précaires et est sous-jacent à plusieurs dynamiques qui exacerbent également l’exclusion sociale18. Bien sûr, le manque d’accès au système de

justice civile n’est pas le seul facteur en cause, mais il a été démontré qu’il s’agit d’un facteur contributif important.

Le fait de composer avec des problèmes juridiques au quotidien, en plus de causer une pression financière19, constitue un facteur de stress important qui est souvent exacerbé pour

les personnes ayant moins de ressources à leur disposition20. Plus de la moitié des

personnes aux prises avec un problème juridique relevant du domaine civil seraient aussi aux prises avec des difficultés émotionnelles directement en lien avec celui-ci21. Des études

établissent un lien de causalité entre le manque d’accès aux tribunaux civils et certains problèmes de santé - comme la dépression et la maladie - ou sociaux - tels que le suicide, le cynisme de la population envers les institutions, la pauvreté et l’itinérance22.

Les coûts collectifs annuels occasionnés par ces problèmes élargis sont estimés au bas mot à 800 millions de dollars pour l’État, bien qu’il soit probable que ce nombre soit plus élevé

17 Pascoe Pleasance, Nigel J. Balmer, Alexy Buck, Marisol Smith et Ash Patel, « Mounting Problems : Further Evidence of the Social, Economic and Health Consequences of Civil Justice Problems » dans Pascoe Pleasance et al. (dir), Transforming Lives: Law and Social Process, Grande-Bretagne, Sweet & Maxwell, 2007, 67 à la p 72; également publié dans Pascoe Pleasance, Nigel J. Balmer et Alexy Buck, « The Health Cost of Civil-Law Problems: Further Evidence of Links Between Civil-Law Problems, and the Consequential Use of Health Services « (2008) 5:2 J. Emp. Leg. Stud. 351.

18 Ab Currie, A National Survey of the Civil Justice Problems of Low and Moderate Income Canadians: Incidence

and Patterns, Department of Justice, Canada, Research and Statistics Division, 2005, à la p 2 [National Survey].

19 Sur une période de trois ans, les Canadiens qui sont confrontés à un problème juridique dépenseraient au bas mot 6 100 $, ce qui représente collectivement 23 milliards de dollars pour cette même période. Cette moyenne représenterait environ 10 % des dépenses moyennes des ménages canadiens. Mentionnons au passage que les frais d’avocats sont le principal poste de dépenses de ce montant : Everyday Legal Problems,

supra note 8 aux pp 13 et 14.

20Everyday Legal Problems, supra note 8 à la p 16. 21 Ibid.

22 Voir notamment: Mary Stratton et Travis Anderson, Social, Economic and Health Problems Associated with a

Lack of Access to the Courts: A special report from the Civil Justice System and the Public Project, Department

of Justice Canada, Research and Statistics Division, 2006, en ligne: <http://www.cfcj-fcjc.org/sites/default/files/docs/2008/cjsp-socialproblems-en.pdf> [Social, Economic and Health Problems]; et Middle Income Access to Civil Justice Initiative Steering Committee, University of Toronto, Middle Income Access to Civil Justice Initiative – Background Paper, en ligne: <https://www.law.utoronto.ca/documents/conferences2/AccessToJustice_LiteratureReview.pdf> [Middle Income Access to Civil Justice].

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en raison de la difficulté que pose une telle estimation23. Ces coûts sont liés aux prestations

d’assistance sociale, aux pertes d’emplois et aux problèmes de santé physique et mentale - répercussions directes du fait de connaître des problèmes juridiques24. Ainsi, puisque les

problèmes associés au manque d’accès aux cours de justice sont d’ordres économique, psychologique et physique25, on remarque une demande d’accès accrue à d’autres services

fournis par l’État :

These legal problems also tend to lead to other social or health-related problems. Left unresolved, the potential cost – economic, health, social, et cetera – to the individual, as well as to the state, is significant. There is no doubt that legal problems make people's lives more difficult. They often also lead to social exclusion and potentially a need to utilize other public services and government assistance. Compounding all of these legal problems and legal needs is the harsh reality that, for most Canadians, legal assistance is too costly and therefore out of reach. […]

Typical legal problems are experienced by a majority of Canadians, who do not have adequate resources to fund legal assistance. As a result, a significant portion of legal needs go unmet. The problem is compounded by the additional clustering of other legal, social, and health related problems, all of which come with significant costs to the individual and the state26.

(nos soulignés)

De plus, les justiciables qui vivent avec un handicap ou un problème de santé physique ou mentale sont susceptibles d’être confrontés à un problème juridique dans une proportion beaucoup plus vaste que les autres citoyens, tout dépendant du type de problème visé27.

Soulignons toutefois que les problèmes d’accès à la justice civile ne touchent pas uniquement les personnes considérées comme marginalisées. Ils affectent également les justiciables issus de la classe moyenne ou autrement dit, toutes les personnes qui ne sont pas fortunées.

La mise en lumière de ces réalités est essentielle, puisqu’elle met de l’avant les avantages de fournir une assistance aux problèmes légaux des justiciables. Ces avantages vont bien au-delà de l’aspect strictement juridique. Elle permet aussi d’exposer les coûts sociaux et

23 Everyday Legal Problems, supra note 8 à la p 16. 24 Ibid.

25 Social, Economic and Health Problems, supra note 22.

26 Trevor C.W. Farrow, « What is Access to Justice? » (2014) 51: Osgoode Hall L.J. 957 à la p 964 et 965 [What is Access to Justice?].

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financiers qui sont reliés aux problèmes d’accès à la justice civile. En bref, l’amélioration de la justice civile est susceptible d’avoir des effets positifs sur plusieurs autres enjeux sociétaux.

Les enjeux juridiques

Outre ces problèmes très concrets, le manque d’accès aux tribunaux pose évidemment de sérieux enjeux sur le plan juridique. Les tribunaux représentent une composante fondamentale du système de justice. Ils incarnent l’idée traditionnelle de la justice et sont au cœur de l’appareil judiciaire28. Les tribunaux, et la réelle possibilité d’y avoir accès afin

de trancher un litige en matière civile, sont donc une portion essentielle d’un véritable accès à la justice29.

Malgré cela, l’organisation même du système de justice fait en sorte que les parties ne sont pas toutes égales devant les tribunaux. Cet état de fait est reconnu dans plusieurs circonstances, dans lesquelles la représentation juridique gratuite est octroyée afin de pallier ce déséquilibre. En matière criminelle, le droit à un procès équitable a été reconnu à maintes occasions comme pouvant comprendre le droit à un avocat rémunéré par l’État30 afin

d’assurer la pleine réalisation du droit à une défense pleine et entière. Cette possibilité a été étendue en matière administrative dans certaines situations où l’on observe déséquilibre similaire31, c’est-à-dire un litige entre l’État et un individu.

Dans le domaine civil, en théorie, aucun déséquilibre ne devrait exister puisque l’État n’est pas impliqué directement. Toutefois, dans les faits, les ressources des parties sont souvent disproportionnées, de telle sorte qu’un déséquilibre est souvent constaté. L’idée que le gouvernement doive assumer les frais de représentation d’une partie impliquée dans un

28 Sur cette conception de la « justice », voir Sylvette Guillemard, « Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite » (2012) 53 C. de D. 189 à la p 197 [Médiation, justice et droit] et Sylvette Guillemard, « Réflexions autour des sept premiers articles du Code de procédure civile », dans Sylvette Guillemard (dir.), Le Code de

procédure civile : quelles nouveautés?, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2016, 123 aux pp 131 et 132.

29 Julius Grey, Geneviève Coutlée et Marie-Ève Sylvestre, « Access to Justice and the New Code of Civil Procedure « (2004) 38 RJT ns 711 à la p 756 [Grey et al.]. Voir également les propos de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse sur la question dans Pleau v. Nova Scotia (Protonotary), (1998), 186 N.S.R. (2d) 1 (S.C.), 1998 CanLII 12462 (NS SC) à la p 52 [Pleau].

30 Dont la première fois dans la décision ontarienne R. c. Rowbotham, (1988) 41 C.C.C. (3e) 1 [Rowbotham]. 31 Nouveau-Brunswick (Ministère de la Santé et des Services communautaires) c. G.(J.), [1999] 3 RCS 46 [G.(J.)] : dans cette affaire, la défenderesse allait perdre la garde de ses enfants si le gouvernement avait gain de cause.

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litige de nature privée peut sembler difficilement envisageable. Pourtant, ce droit est déjà reconnu à certains justiciables dans des matières qui mettent en cause des parties privées.

Par exemple, la représentation juridique est octroyée de manière statutaire aux personnes à faible revenu admissibles à l’aide juridique en certaines matières privées. Une telle représentation est aussi institutionnalisée pour les victimes de discrimination par une possible représentation par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « CDPDJ ») devant les instances judiciaires, et pour les travailleurs opposés à leur employeur, par une représentation par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail devant certaines instances administratives. Ces instances gouvernementales ont le mandat de représenter une partie traditionnellement plus vulnérable dans le cadre des procédures judiciaires. En ce sens, l’importance du droit à l’avocat est reconnue puisque le gouvernement fournit une représentation à ses frais.

Le choix des domaines où une représentation juridique est fournie à toutes les personnes dont la plainte est jugée fondée32 est révélateur. Dans le domaine de l’emploi, un

déséquilibre des forces entre l’employeur et le salarié intervient fréquemment et les conséquences de problèmes dans un milieu de travail sont importantes. La société québécoise a également fait le choix d’accorder une grande protection aux victimes alléguées d’atteinte au droit à l’égalité33. Dans toutes ces circonstances, il a été reconnu

qu’un déséquilibre existe, bien que l’État ne soit pas impliqué. La protection que constitue la représentation par avocat est étendue par ces régimes pris en charge par l’État.

Contrairement à ces situations le droit d’accès à la représentation juridique est quasi-inexistant devant les tribunaux de droit commun en matière civile. Aucune possibilité formelle d’accès à un avocat n’a encore été reconnue par les tribunaux, malgré l’existence fréquente de disparités entre les parties.

32 Sauf exception. Par exemple, selon l’art. 84 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12 [Charte québécoise], la CDPDJ peut exercer une discrétion de ne pas saisir un tribunal même si elle juge la plainte fondée. En 2016-2017, cela est arrivé à 18 reprises : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Québec, Rapport d’activités et de gestion 2016-2017, 23 août 2017 à la p 21.

33 Cette intention est reflétée par la création de la CDPDJ, chargée d’examiner les plaintes alléguant une situation de discrimination, et du Tribunal des droits de la personne, organe spécialisé pour traiter ces matières.

(18)

De plus, les critères donnant ouverture à l’aide juridique sont inadaptés aux besoins des citoyens34 : les besoins des justiciables de la classe moyenne sont en large majorité d’ordre

civil ou familial, alors que les dossiers pris en charge par l’aide juridique sont partagées en proportion pratiquement égale entre les domaines civil et criminel35. Le système d’aide

juridique ne suffit pas à la tâche dans le domaine du droit civil, rendant ainsi plus difficile l’exercice des droits de nombreux citoyens. Or, le principal motif de désertion des tribunaux par les citoyens est le fait qu’ils n’ont pas les moyens financiers de payer les frais d’un avocat36.

Nous remarquons qu’il existe une disparité entre les besoins des citoyens en matière de représentation juridique et le régime d’aide juridique qui régit l’allocation des services d’avocats payés par l’État. Cet écart est attribuable au manque de volonté politique d’allouer les fonds nécessaires en vue d’améliorer la situation de ces justiciables. Dans ce contexte, cette disparité s’explique aussi par la réticence du système juridique canadien à reconnaître l’importance de l’accès réel des justiciables à la mise en œuvre de leurs droits en matière civile. Selon l’auteur Pierre-Claude Lafond, il existe actuellement « un écart frappant entre le discours des juges qui dénoncent publiquement le problème d’accès à la justice et leur attitude restrictive envers les lois ou les moyens susceptibles de favoriser un accès plus large37 ». Devant cette situation préoccupante, la circonspection des juges lorsque vient le

temps de consacrer formellement l’accès à la justice au rang des droits fondamentaux au Canada emporte des conséquences juridiques concrètes38 sur les citoyens moins fortunés.

Hypothèse et démonstration

À la lumière de cette problématique, nous nous attarderons à la reconnaissance du droit à la représentation juridique en matière civile à titre de droit constitutionnel au Canada. Nous posons la question générale de recherche suivante : « Les législateurs ont-ils l’obligation constitutionnelle d’assurer l’accès à la représentation juridique en matière civile? ».

34 Lafond, supra note 5 à la p 64.

35 Commission des services juridiques, Québec, 45e rapport annuel de gestion 2017-2018, Montréal, 2017 à la p 70 [Rapport de la Commission des services juridiques].

36 Pour une explication potentielle de l’abandon des justiciables de leurs droits, voir « The Right to Counsel in Civil Litigation » (1966) 66 Colum.L. Rev. 1322 à la p 1325 [Right to counsel in civil litigation].

37 Lafond, supra note 5 à la p 64. Voir également : Melina Buckley, « Searching for the Constitutional Core of Access to Justice » (2008) 42 Sup. Ct L. Rev (2d) 567 [Buckley].

(19)

Nous émettons l’hypothèse que l’état actuel du corpus constitutionnel mène nécessairement à la reconnaissance formelle du droit à la représentation juridique en matière civile. Notre raisonnement peut être résumé selon la logique simplifiée suivante : l’accès à la justice est actuellement reconnu comme étant un droit fondamental; celui-ci comprend nécessairement la possibilité d’avoir accès aux tribunaux, qui se doit d’être équitable; cet accès ne peut être équitable sans l’assistance d’un conseiller juridique; ce dernier doit être payé et/ou fourni par l’État - lorsque la situation financière d’une personne ne lui permet pas d’en assumer les frais - sans quoi sa disponibilité ne peut être garantie.

Nous croyons en effet que la reconnaissance du droit à l’avocat en matières criminelle et administrative devrait être étendue au domaine du droit civil. Nous démontrerons que le droit constitutionnel à la représentation juridique en matière civile a plusieurs fondements juridiques dont : 1) le principe constitutionnels de primauté du droit; 2) l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867; 3) le droit à la sécurité consacré par l’article 7 de la Charte canadienne; 4) la protection contre la discrimination que garantit le droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne; de même que 5) les obligations internationales applicables au Canada.

Méthodologie

D’un point de vue méthodologique, notre approche se déclinera en deux volets. En premier lieu, la démonstration de notre hypothèse s’appuiera essentiellement sur une analyse exégétique traditionnelle39 des principales sources normatives jurisprudentielles,

législatives et doctrinales qui traitent du droit constitutionnel à la représentation juridique au Canada. Dans le cadre de cette recherche exégétique, nous analyserons les sources

39 Groupe consultatif sur la recherche et les études en droit, Le droit et le savoir : rapport au Conseil de

recherches en sciences humaines du Canada, « Chapitre 5 – Perspective de la recherche juridique », 1983, 70

Accès à la justice Accès équitable aux tribunaux conseiller juridiqueAccès à un lorsque nécessairePayé par l'État,

Figure 1. Raisonnement logique de la démonstration

(20)

juridiques des différentes provinces afin de brosser un portrait complet de la situation canadienne; nous proposerons aussi une analyse du cadre normatif international afin d’identifier les obligations du Canada concernant le droit d’accéder à un conseiller juridique. Cette revue d’une vaste étendue de sources juridiques constitue, à notre sens, le meilleur choix méthodologique afin de nous permettre de répondre à la question de recherche de manière éclairée. Ce premier volet vise à effectuer une « recherche interne40 » du droit en

tant que sujet afin de fournir une réponse à ce problème, articulé en termes juridiques.

Puisque nous analyserons le droit constitutionnel canadien, les sources de droit émanant de toutes les provinces seront pertinentes afin de connaître l’état du droit sur la question. Toutefois, par souci de cohérence, nous nous limiterons essentiellement à l’exemple québécois à titre de cadre de référence – notamment lorsqu’il sera question de la procédure civile ou du régime d’aide juridique – puisqu’il nous est impossible de traiter de la situation de toutes les provinces et territoires canadiens dans le cadre de ce mémoire. Nos recherches générales sur l’état du système de justice canadien nous permettent toutefois de conclure que les situations de ces divers régimes juridiques - bien que comportant des différences notables - présentent des similarités telles qu’il est possible de n’utiliser que l’exemple du Québec dans certaines circonstances, qui seront clairement indiquées.

En second lieu, notre méthodologie exige également un volet lié à la recherche fondamentale dans le cadre duquel nous appréhendons le droit en tant que phénomène social41. Cette approche nous semble s’imposer afin de mieux comprendre les implications

réelles de la reconnaissance du droit à la représentation juridique payée par l’État. Nous adopterons donc une perspective qui considère les besoins des justiciables dans l’accès aux tribunaux afin de placer le droit en action au cœur de la réalité sociale dans laquelle il évolue. En ce sens, nous estimons que les causes et les effets du droit actuel doivent être considérés dans l’examen de notre sujet de recherche. Dans cette optique, nous aurons recours à des données tirées de recherches effectuées dans d’autres disciplines, principalement la sociologie. Cette approche pourra comporter une dimension critique concernant l’interprétation et l’application du droit et de ses impacts réels42.

40 Ibid à la p 76. 41 Ibid aux pp 74 et 77. 42 Ibid à la p 77.

(21)

Notre démonstration s’effectuera en deux étapes. La première vise à poser les bases de notre raisonnement et à exposer la perspective de l’accès à la justice civile que nous entendons adopter (titre I). Nous détaillerons d’abord la conception de la justice à laquelle nous nous collerons aux fins de notre mémoire (chapitre 1), pour ensuite présenter la nécessité de l’accès à la représentation juridique à un réel accès à la justice (chapitre 2). La seconde étape consistera en l’analyse de manière plus ciblée du droit constitutionnel à la représentation juridique (titre 2). Pour ce faire, nous nous pencherons préalablement sur le droit d’accéder aux tribunaux (chapitre 1). Nous entrerons ensuite dans le cœur de notre démonstration en analysant l’état de la reconnaissance actuelle du droit à la représentation juridique (chapitre 2) et les fondements constitutionnels à mobiliser en vue de sa consécration en matière civile (chapitre 3).

(22)

TITRE 1 - L’ACCÈS À LA JUSTICE CIVILE

Les problèmes d’accès à la justice civile sur lesquels nous nous attarderons sont l’un des symptômes d’un problème généralisé dans plusieurs domaines du système juridique. Nous avons choisi de concentrer nos recherches exclusivement sur le système de justice civile en raison de l’importance primordiale mais souvent négligée qu’elle occupe dans la vie des justiciables, sur laquelle nous reviendrons43. Notre emploi du terme « civil » comprend de

manière indifférenciée tant le droit familial que, par exemple, les obligations contractuelles, les relations de travail ou de voisinage, la responsabilité civile ou professionnelle, le droit immobilier ou commercial et la mise en œuvre des droits et libertés de la personne. Ainsi, nous visons les enjeux susceptibles de se retrouver devant les tribunaux de droit commun, y compris la division des petites créances44, mais à l’exclusion du droit criminel et pénal.

Afin de poser les bases de notre recherche, nous jugeons pertinent de définir certains concepts dans leur acceptation générale, pour ensuite préciser l’emploi que nous en ferons aux fins de notre mémoire. Tout d’abord, nous proposerons une définition générale du concept de « justice », pour ensuite nous concentrer sur celle que nous entendons adopter (chapitre 1). Nous nous pencherons ultérieurement sur un aspect que nous considérons fondamental pour assurer un réel accès à cette justice: la représentation juridique (chapitre 2).

43 Voir la section « Pourquoi la justice civile? » à la p 25, ci-dessous.

44 Mentionnons que nous ne nous attarderons pas en profondeur à la question de l’imposition de la non-représentation obligatoire devant la Cour des petites créances québécoise. Notre propos ne vise pas directement à remettre en question ce modèle, dont la constitutionnalité a été confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Automobiles Nissan (Canada) Ltée et autre c. Pelletier et autres, [1981] 1 RCS 67. Nous soumettons toutefois qu’il soulève les mêmes préoccupations en ce qui a trait à l’inégalité des armes entre les parties que devant les chambres civiles des autres cours. Ces inégalités sont susceptibles de survenir en raison de caractéristiques personnelles des parties telles que le niveau d’éducation, de littératie ou de connaissances juridiques, mais aussi en raison des ressources financières des parties qui peuvent leur permettre de se procurer un conseiller juridique afin de les assister dans la préparation de leur cause, tel que prévu par l’article 542 al. 4 du Code de procédure civile. Le fait de supprimer la représentation par avocat n’élimine pas le déséquilibre qui peut survenir lorsque seulement l’une des deux parties a les moyens de se procurer des conseils juridiques afin de préparer sa cause : Michelle Cumyn et Cécile Pilarski, « Étude empirique des décisions de la Cour des petites créances en matière de rénovation résidentielle : l’accès au droit, composante essentielle de l’accès à la justice pour les consommateurs » (2014) 48 RJTUM 389 à la p 22 [Cumyn et Pilarski]. Nous n’excluons donc pas la division des petites créances de nos considérations et nous utiliserons certains exemples tirés d’études réalisées auprès de la division des petites créances. Par ailleurs, le Québec est la seule province canadienne interdisant formellement la représentation par avocat devant la Cour des petites créances. Dans les autres provinces et territoires, la procédure est « simplifiée » afin de permettre aux justiciables de se représenter eux-mêmes plus facilement, mais la représentation par avocat est permise. Le modèle québécois étant unique, la problématique que nous soulevons s’applique au Canada de manière générale, devant la Cour des petites créances également.

(23)

Chapitre 1 – Quelle justice?

Dans son acceptation commune, la « justice » comprend un vaste ensemble de concepts. Pour établir une base de compréhension nécessaire à la suite de notre raisonnement, il importe de nous attarder sur le contenu de ce terme générique afin de nous permettre de préciser la définition que nous adopterons, qui vise exclusivement ce que nous considérons être le « cœur » de la justice.

Les perspectives sur la justice sont diverses. Chaque personne en possède sa propre perception ; pour certains elle peut être plus informelle, alors que pour d’autres, elle implique nécessairement l’institution judiciaire. Nous tenterons de naviguer au travers de ces multiples visions afin de dégager la conception de la justice à laquelle nous nous collerons. Nous ne prétendons en aucun cas présenter un portrait exhaustif des diverses théories concernant la définition de la justice. Notre intention est plutôt de fournir des exemples illustrant le caractère illimité de cette notion.

Malgré la pluralité de conceptions de la justice, le concept se décline essentiellement en deux volets, soit l’accès à la justice en dehors du cadre judiciaire et l’accès au système judiciaire et aux institutions45.

Section 1 – De nombreuses définitions

Nous l’avons mentionné, la notion de justice comporte autant de définitions qu’il y a d’individus. De manière générale, la plupart des citoyens associent la justice à l’idée d’équité, au sentiment d’injustice qu’ils peuvent ressentir et à leur attente d’une réparation équitable46. Selon une étude empirique récemment menée auprès du public canadien,

l’équité, l’égalité, la moralité et la possibilité de participer activement à la société sont des aspects fondamentaux de la justice47. Cette étude met en lumière que la justice n’est pas

qu’une simple considération juridique48 et qu’elle va au-delà de la seule justice matérielle49.

Pour les justiciables canadiens, l’accès à la justice suppose l’accès à la vie qu’ils souhaitent vivre, marquée notamment par l’égalité, la compréhension, l’éducation, la nourriture, le

45 Lafond, supra note 5 à la p 14. 46 Lafond, supra note 5 à la p 8.

47 What is Access to Justice?, supra note 26 à la p 968. 48 Ibid à la p 969.

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logement, la sécurité et le bonheur50. En vue de l’atteinte de cet objectif, les lois et les

acteurs du système de justice formel seraient davantage un outil qu’une fin en soi51.

En ce sens, la perception des citoyens canadiens ne serait pas réellement conforme à l’étymologie de la « justice52 », puisque « [l]lorsqu’un conflit oppose une personne à une

autre, lorsque deux personnes ont une difficulté réelle, la solution passe-t-elle impérativement par la justice? […] Les personnes impliquées veulent-elles réellement que « justice soit faite » ou souhaitent-elles tout simplement que leur différend soit aplani, que leur relation puisse se poursuivre en toute sérénité par exemple53? ».

Certains arguent que la justice ne se trouve pas nécessairement dans l’ordre normatif imposé par l’État, mais qu’elle peut émerger de systèmes divers qui créent une norme juridique54. D’aucuns prétendent que la justice émerge de la société, et d’autres du droit

lui-même55. Le sociologue du droit Guy Rocher parle d’une pluralité d’ordres juridiques – et

donc, du pluralisme juridique – qui se situent à l’extérieur du droit positif édicté par l’État et qui comprendraient notamment les dimensions religieuses, ludiques et marginales56. Les

normes édictées par ces ordres juridiques, bien que non reconnues comme contraignantes par les tribunaux, forment tout de même une conception de la justice à laquelle certaines personnes s’assujettissent57. Un ordre juridique peut donc exister en dehors des institutions

étatiques.

50 Ibid à la p 983. 51 Ibid.

52 Médiation, justice et droit, supra note 28 à la p 196. 53 Ibid.

54 Guy Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques » (1988) 29 C. de D. 91 à la p 104 [Rocher]. 55 Roderick A. Macdonald, « Access to Justice and Law Reform #2 » (2001) 19 Windsor Yearb. Access Justice 317 à la p 319.

56 Rocher, supra note 54 à la p 92.

57 Selon Guy Rocher, ibid à la p 104, un ordre juridique existe si cinq critères sont présents, soit :

1° un ensemble de règles, de normes sont acceptées comme au moins théoriquement contraignantes par les membres d'une unité sociale particulière, qu'il s'agisse d'une nation, d'une société, d'une organisation, d'un groupe, etc. ;

2° des agents ou des appareils sont reconnus dans l'unité sociale comme étant spécialisés pour : — élaborer de nouvelles règles ou modifier celles qui existent ;

— interpréter les règles existantes ; — les appliquer et les faire respecter ;

3° l'intervention des appareils ou agents est fondée sur une légitimité, c'est-à-dire que les membres de l'unité sociale considèrent que l'action de ces agents ou appareils est justifiée, parce qu'ils leur reconnaissent l'autorité nécessaire pour faire, ou interpréter, ou appliquer les règles ; concrètement, cela signifie que les membres de l'unité sociale ont une conscience des rapports entre les règles et les appareils ou agents ; 4° les trois fonctions énumérées en 2° peuvent être remplies par des agents ou des appareils différents, ou par les mêmes. Ce qui est important cependant pour reconnaître l'existence d'un ordre juridique, c'est que ces trois fonctions — et non seulement une ou deux — soient exercées ;

(25)

La définition de l’accès à la justice que chacun préconise dépend ainsi directement de la conception de la justice adoptée. À l’image de ces conceptions variées de la justice, l’accès à la justice est un large concept qui fait référence à une « vaste gamme de valeurs et d’objectifs distincts en rapport avec une grande diversité d’enjeux et d’activités58 ». Afin de

refléter la diversité des perspectives, le professeur Jean-François Roberge pose comme principe que « [l]’accès à la justice est l’action de rendre accessible une forme de justice qui doit être perçue comme une forme de justice par celui ou celle à qui elle est destinée et qui répond à ses motivations et attentes de justice59 ».

La plupart des auteurs identifient trois vagues dans l’évolution de l’accès à la justice à travers le monde60. La première vague, ayant vu le jour pendant l’après-guerre, a fait

émerger les initiatives d’aide juridique dans le cadre de l'apparition de l’État providence61.

Lors de cette première vague, l’accès à la justice était synonyme d’« accès à un avocat », puisque le système de justice était principalement axé sur les principes de contradiction et de litige62. C’est dans ce cadre qu’est né le programme d’aide juridique au Québec. La

seconde vague a pris la forme d’actions collectives de défense de l’intérêt public63 en

mobilisant des moyens légaux afin de résoudre des problèmes sociétaux sur une base

5° les règles et les agents ou appareils doivent faire preuve de stabilité dans le temps, d'une relative permanence. Ces règles ne doivent pas sans cesse varier et les agents être constamment relayés.

58 Ab Currie, « Aspects de l’accès à la justice au Canada » dans Compte-rendu du symposium Élargir nos

horizons : Redéfinir l’accès à la justice au Canada, Ministère de la Justice du Canada, 31 mars 2000, 45, en

ligne : < http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/sjp-jsp/po00_2-op00_2/po00_2.pdf> à la p 45 [Aspects de l’accès à la justice], citant Mary Jane Mossman, « Access to Justice : A Review of Canadian Legal Academix Scholarship », dans Alan Huchinson (dir), Access to Civil Justice, Carswell, 1990, 53 à la p 55.

59 Jean-François Roberge, La justice participative – Changer le milieu juridique par une culture intégrative de

règlement des différends, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011 à la p 23 [Roberge].

60 Ab Currie, « Surfer sur la troisième vague – Notes sur l’avenir de l’accès à la justice » dans Compte-rendu du symposium Élargir nos horizons : Redéfinir l’accès à la justice au Canada, Ministère de la Justice du Canada, 31 mars 2000, 40, en ligne : < http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/sjp-jsp/po00_2-op00_2/po00_2.pdf> à la p 40 [Surfer sur la troisième vague], faisant référence à la théorie de Mauro Cappelletti et Bryant Garth (dir),

Access to Justice : A World Survey, A. Giuffrè, Milan, 1978. Voir également Lafond, supra note 5 aux pp 20 et

s., qui confirme que cette conception a été reprise par l’ensemble de la communauté doctrinale. Roderick A. Macdonald identifie plutôt cinq vagues, qui se déclinent sur cinq décennies, de 1960 à 2010, soit (1) l’accès aux avocats et aux tribunaux, (2) le remaniement de la conception institutionnelle, (3) la démystification de la loi, (4) le droit préventif et (5) l’accès proactif à la justice : Roderick A. Macdonald, « L’accès à la justice aujourd’hui au Canada – étendue, envergure et ambitions », dans Julia Bass et al. (dir), L’accès à la justice pour le nouveau

siècle : les voies du progrès, Toronto, Barreau du Haut-Canada, 2004, 23 aux pp 24 à 29, tel que résumé dans

Lafond, supra note 5 aux pp 22 et 23.

61 Surfer sur la troisième vague, supra note 60 aux pp 40 et 41. Sur l’idée de « contrat social » qui engendre une obligation de porter assistance aux plus pauvres dans le cadre de l’État-providence, voir notamment François Ewald, L’État providence, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 1986 aux pp 49 et s; et reprenant les idées de Rousseau, Montesquieu, Turgot et Necker, à la p 74.

62 Surfer sur la troisième vague, supra note 60 à la p 42. 63 Ibid.

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systémique, plutôt qu’au cas par cas64. Au Québec, cette vague s’est manifestée par la

création de la Cour des petites créances, du mécanisme des recours collectifs et de plusieurs tribunaux spécialisés. La vague finale, ayant commencé à se développer au cours des dernières décennies du 20e siècle et toujours d’actualité, correspond à une « conception

plus élaborée de l’accès à la justice65 », en ce sens qu’elle fait appel à une variété de

propositions beaucoup plus large et au développement d’une justice alternative : Cette vague va au-delà de la défense des cas. Elle représente un plus vaste éventail de formules moins complexes et moins axées sur le principe de contradiction, ce qui inclut des changements des types de procédures, des changements de la structure des tribunaux ou la création de nouveaux types de tribunaux, le recours à des parajuristes et des modifications du droit matériel lui-même. […]

Elle a entraîné une diversité de réformes du système juridique. Tout d’abord la reconnaissance de la nécessité de dépasser les stratégies purement légalistes pour résoudre les problèmes. Ensuite, la reconnaissance de la nécessité d’aborder les problèmes différemment. Le système de justice officiel ne possédait pas les moyens de traiter efficacement les problèmes complexes qui lui étaient confiés. La question juridique n’est souvent que la « pointe de l’iceberg ». Pour parvenir à des solutions efficaces et durables, il convient d’examiner les aspects sociaux, culturels et psychologiques de la situation des individus. Des stratégies intégrées et multidisciplinaires, englobant les services sociaux et les services de santé ou autres sont requises, en combinaison avec des solutions aux questions de droit66.

Quoi qu’il en soit de la qualification des vagues, cette tendance à préconiser de nouvelles approches se remarque sans contredit au Canada. Le discours de l’accès à la justice ne s’entend plus uniquement de la justice en son sens traditionnel. Celle-ci est désormais plus vaste que le système judiciaire officiel, qui ne suffit pas toujours à rendre justice67. L’accès

à la justice s’entend désormais de l’accès au droit dans son ensemble, ce qui comprend les aspects de lisibilité des contrats et des lois, d’éducation juridique populaire, de médiatisation des enjeux juridiques et de réponse aux attentes sociales68. Dans cette optique, de

nombreux organismes de services multiculturels, des groupes de défense des droits des

64 Aspects de l’accès à la justice, supra note 58 à la p 48. 65 Surfer sur la troisième vague, supra note 60 aux pp 40 et 41. 66 Ibid à la p 41.

67 Aspects de l’accès à la justice, supra note 58 à la p 49.

68 À ce sujet, voir le projet « Accès à au droit et à la justice » (ADAJ) qui se veut un projet intégratif qui vise à se pencher sur les principaux problèmes qui affectent le monde juridique et se décline en trois axes : 1) la connaissance et la conscience du droit en tant que composantes de la citoyenneté, 2) l’adaptation des pratiques professionnelles et des contraintes organisationnelles de justice à l’état des rapports sociaux, et 3) la légitimité publique et politique des institutions juridiques et judiciaires contemporaines. Voir Accès au droit et à la justice (ADAJ), « Projet », en ligne : <http://adaj.ca/accueil#description>.

(27)

consommateurs, de l’environnement, de l’égalité entre les sexes et des personnes à mobilité réduite se sont multipliés69, afin de favoriser l’intégration d’autres ressources sociales dans

le système juridique.

Nous admettons la pertinence de cette conception plus élargie du concept d’accès à la justice afin d’offrir une solution adaptée aux besoins de chaque individu, selon leur propre perception de la justice. L’amélioration de l’accès à la justice des justiciables canadiens est une préoccupation constante au sein du monde juridique depuis plusieurs décennies. Pour ce faire, plusieurs moyens ont été et doivent être mis en œuvre. À notre sens, cet objectif commande effectivement l’utilisation d’une grande diversité de méthodes70 et ne pourra être

couronné de succès que par une approche créative et holistique. Nous reconnaissons également que les obstacles actuels à l’accès à la justice imposent un changement de culture judiciaire, afin de modifier l’attitude « adversariale » traditionnelle inhérente aux cours de justice, au profit de solutions plus adaptées aux besoins particuliers des parties impliquées dans un différend. Une telle approche holistique semble répondre de manière plus complète aux préoccupations des citoyens en tenant compte de différents aspects cruciaux, outre le seul droit.

Ainsi, l’accès à la justice dans son acceptation commune ne se limite certainement pas au seul accès aux tribunaux. On pourrait plutôt le qualifier de vaste système de résolution des conflits, ce qui serait conforme au pluralisme juridique évoqué précédemment.

Section 2 – La justice institutionnelle

Parmi ces différentes conceptions de la justice, certaines font appel aux institutions étatiques. Il s’agit de l’ordre juridique étatique71, et c’est ce que nous qualifions de justice

institutionnelle. Selon les auteures Cumyn et Pilarski, l’accès à la justice comporte deux dimensions reliées au système judiciaire institutionnel :

L'accès à la justice est un idéal qui réunit deux objectifs distincts : d'une part, l'accessibilité du système juridique pour tous les citoyens, indépendamment des moyens dont ils disposent et de l'importance, en termes monétaires, de la question juridique qui les préoccupe ou du litige

69 Aspects de l’accès à la justice, supra note 58 à la p 48.

70 Voir notamment les pistes proposées par L’offre et la demande de services juridiques, supra note 9 aux pp 88 et ss.

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dans lequel ils sont engagés; d'autre part, l'équité des règles de droit et du processus de résolution des litiges, dont devrait découler la justice de la décision rendue72.

À notre sens, cette justice institutionnelle comprend à la fois les modes alternatifs de prévention et de règlement des différends et les tribunaux judiciaires, puisque tous deux font appel au droit positif comme outil de règlement des conflits. Les tribunaux ne sont qu’une forme plus poussée d’institutionnalisation, tel que nous le représentons dans la figure ci-dessous.

Selon cette conception, la justice est associée à l’établissement de règles juridiques et à la détermination de droits en fonction de ces règles73. La

justice serait donc déterminée selon la conformité à une loi74.

La Cour suprême, dans l’arrêt Canadian Foundation for Children75 établit que la justice

fondamentale est composée de principes qui doivent remplir les trois conditions suivantes : (1) il doit s’agir d’un principe juridique; (2) qui doit être le fruit d’un consensus suffisant quant à son caractère primordial dans la notion de justice de notre société et; (3) qui doit pouvoir être identifié avec précision et être appliqué aux situations de manière à produire des résultats prévisibles76. Selon cette

conception, la justice fondamentale serait composée de principes juridiques identifiables.

Dans les dernières années, une importance grandissante a été accordée aux modes alternatifs de prévention et de règlement des différends. Au Québec, le Code de procédure civile77 (ci-après, le « C.p.c.) consacre désormais à son article premier que les parties à un

72 Cumyn et Pilarski, supra note 44 à la p 19. 73 Lafond, supra note 5 à la p 8.

74 Ibid.

75 Canadian Foundation for Children c. Canada, 2004 CSC 4, [2004] 1 RCS 76. 76 Ibid au para 8.

77 RLRQ, c. C-25.01.

Tribunaux Modes alternatifs

Figure 2. Représentation de la conception de la justice institutionnelle

(29)

différend doivent considérer les modes alternatifs de règlement des différends avant de s’adresser aux tribunaux78. De plus, le recours à la médiation est désormais officiellement

institutionnalisé au sein du système judiciaire public par le biais des conférences de règlement à l’amiable devant les tribunaux de première instance79 et d’appel80 ainsi que de

la médiation à la Cour des petites créances81. Cette intégration des modes alternatifs dans

la mécanique des tribunaux confirme que ces voies s’inscrivent toutes deux dans la même conception institutionnelle de la justice.

Cette association est d’autant plus cohérente que ce premier mode de résolution des conflits ne peut fonctionner sans le second. La professeure Marie-Claire Belleau, dont l’expertise réside notamment dans les modes de préventions et de règlements des différends, résume très bien cette question :

La juste fondée sur la collaboration repose sur la présence de certains prérequis comme la capacité et la volonté d’y participer, la bonne foi, la transparence et l’attitude constructive essentielle à trouver des solutions satisfaisantes et dans l’intérêt de tous les protagonistes. […]

La collaboration s’inscrit comme première étape d’une démarche dans laquelle le procès constitue le dernier et ultime recours. Elle n’est

appropriée que dans la mesure où un excellent système judiciaire contraignant la complémente. En effet, la possibilité réelle de faire appel

aux tribunaux et d’y recourir en cas d’achoppement des négociations constitue un contexte idéal pour favoriser une démarche collaborative préalable82.

(emphase dans le texte original)

Ces deux types de justice institutionnelle vont de pair. En ce sens, les tribunaux sont souvent indispensables afin de mettre en œuvre le droit civil lorsqu’aucune autre option n’est envisageable. La création de forums alternatifs ne devrait pas devenir un obstacle à l’accès équitable de tous aux tribunaux83. Mentionnons également que, selon le problème

rencontré, toutes les façons de le résoudre ne sont pas nécessairement applicables ou interchangeables84.

78 Ibid à l’art 1 al. 3. 79 Ibid aux art 161 et s. 80 Ibid aux art 381 et s. 81 Ibid à l’art 556.

82 Marie-Claire Belleau, « Sauver la justice civile par la collaboration » dans Catherine Régis, Karim Benyekhlef et Daniel Weinstock (dir), Sauvons la justice! 39 propositions pour agir, Delbusso Éditeur, 21 aux pp 27 et 28. 83 Grey et al., supra note 29 à la p 756.

(30)

Les tribunaux ont donc indéniablement un rôle à jouer dans les cas où un règlement ne peut être atteint autrement; le tribunal peut être considéré comme une instance de dernier ressort85. Il peut également être perçu comme la seule alternative envisageable pour

certains justiciables, selon leur conception personnelle de la justice. Le tribunal doit demeurer accessible lorsque nécessaire. Malgré les initiatives des plus créatives proposées par plusieurs intervenants du milieu juridique, il semble d’acceptation commune que notre système de justice se doit de conserver le forum du tribunal. Son utilité est admise. Bien sûr, cela n’exclut pas une réforme en profondeur de l’institution, que certains considèrent comme désuète86.

De manière résumée, « l’accès à la justice signifie que tous les citoyens devraient être capables de bénéficier de la justice dans le cours de la vie de tous les jours87 », que ce soit

au sein des forums plus formels ou en des lieux hors de la compétence de l’État88, tel que

l’établit la professeure Louise Rozon :

Nous estimons que la notion d’accès à la justice se réfère autant à des mécanismes officieux de règlement des litiges (règlement à l’amiable sans l’intervention d’un tiers) qu’à des mécanismes plus officiels (tribunaux, mécanismes de recharge, arbitrage contractuel, ombudsman, etc.). La notion d’accès à la justice fait également référence à des caractéristiques liées aux personnes (bonne connaissance des lois et recours, qualité personnelle pour régler et prévenir des conflits, etc.) ainsi qu’à des caractéristiques rattachées aux systèmes (coût abordable, simplicité de la procédure et des règles, souplesse et rapidité dans le traitement, heures d’ouverture appropriées des tribunaux, proximité des lieux, participation du citoyen à l’élaboration des mécanismes de règlement des litiges, etc.)89.

85 Lafond, supra note 5 à la p 250.

86 Voir notamment : Pierre Noreau (dir.), Révolutionner la justice – Constats, mutations et perspectives, Les journées Maximilien-Caron 2009, Montréal, Éditions Thémis, 2010, à la p 37 [Révolutionner la justice].

87 L’offre et la demande de services juridiques, supra note 9 à la p 17. 88 Ibid.

89 Louise Rozon, « L’accès à la justice et la réforme de la Cour des petites créances » (1999) 40 C.de D. 243 à la p 246, citée par Grey et al., supra note 29 à la p 754.

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Le professeur Alain Roussy souligne bien la difficulté de définition de cette expression : La définition exacte de l'expression « accès à la justice » ne fait pas l'unanimité. Certains s'en tiennent à une définition plus traditionnelle voulant simplement exprimer l'accès par des justiciables à des avocats pouvant faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Cela semble certainement être la définition d'accès à la justice souvent retenue par la jurisprudence. D'autres prônent plutôt une définition beaucoup plus large qui engloberait toutes les facettes du système de justice, y compris l'adoption des lois, l'administration de la justice et le règlement des différends par toute méthode, y compris sans l'aide d'un avocat.

L’accès à la justice peut donc signifier l’accès à la justice institutionnelle, ou encore toute autre forme de justice jugée appropriée dans la conception d’une personne donnée. En bref, tout comme la santé ne se retrouve pas uniquement dans les hôpitaux, il ne faut pas non plus chercher la justice seulement dans les palais de justice90. Les tribunaux sont « des

instruments de la justice, non la justice elle-même91 ».

Section 3 – Notre définition : l’accès à un tribunal au cœur de la notion de justice Depuis l’adoption de la Magna Carta en 1215, il est d’acceptation commune que dans un État de droit, il est du devoir du gouvernement de permettre aux citoyens d’avoir accès à un procès équitable. Cette obligation est la prémisse du premier droit fondamental édicté dans cette charte afin de protéger les citoyens libres contre l’arrestation arbitraire; l’habeas corpus – obligeant à conduire toute personne arrêtée devant un juge pour que ce dernier se prononce sur la validité de l’arrestation. Il s’agit là de la première formulation de l’idéal d’une bonne administration de la justice dans un État de droit92. Commentant le développement

de l’interprétation des droits consacrés par cette charte, le juge Mostyn de la High Court of Justice anglaise établit que la primauté du droit prévue par la Magna Carta garantit le droit à un recours effectif en matière civile, soit l’accès significatif à une cour de justice93.

90 Marc Gallanter, « La justice ne se trouve pas seulement dans les décisions des tribunaux » dans Mauro Cappelletti (dir), Accès à la justice et État-providence, Paris, Economica, 1984, 151 à la p 166.

91 Lafond, supra note 5 à la p 16.

92 Marina Eudes, « Article 14 » dans Emmanuelle Decaux (dir), Le Pacte international relatif aux droits civils et

politiques : Commentaire article par article, Paris, Economica, 329 à la p 331 [Decaux].

93 Hon. Mr. Justice Mostyn, « Magna Carta and Access to Justice in Family Proceedings » (2015) 27 Denning L.J. 77 aux pp 92-93.

Figure

Figure 1. Raisonnement logique de la démonstration  zz
Figure  2.  Représentation  de  la  conception  de  la  justice  institutionnelle
Figure 3. Justiciables qui rapportent au moins un problème dans la catégorie 113
Figure 4. Barème des revenus annuels bruts – Volet gratuit 185
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