• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : Introduction générale

2. Déterminants des pratiques de diversification dans les pays industrialisés

2.4. Pratiques de soins, d’alimentation, déterminants culturels et psychologiques

2.4.1. Pratiques et attitudes liées à l’alimentation du nourrisson

a. Mode d’alimentation lactée

Toutes les études retrouvent un lien entre allaitement maternel et âge de

diversification. Il s’agit probablement d’un des déterminants les plus importants de l’AD. Les

enfants qui n’ont jamais été allaités sont en moyenne diversifiés plus tôt que les enfants

allaités, quel qu’en soit le mode (exclusif ou non) ou la durée, que ce soit aux USA (Fein et al.

2008b, Wijndaele et al. 2009, Andren Aronsson et al. 2015), en Australie (Scott et al. 2009),

en Europe (Giovannini et al. 2004, Fanaro et al. 2007, Rebhan et al. 2009, Schiess et al.

2010a, Tromp et al. 2013, Kronborg et al. 2014) ou en France (Bigot-Chantepie et al. 2005,

105

Betoko et al. 2013, Lange et al. 2013, Boudet-Berquier et al. 2017a). La figure 21 en est un

exemple parmi tant d’autres.

Par ailleurs, un allaitement maternel semble être associé à une utilisation moins

fréquente d’aliments du commerce spécifiques pour bébé comme l’ont montré Betoko et al.

dans l’étude EDEN (Betoko et al. 2013), et globalement à des habitudes alimentaires plus

saines et une meilleure conformité aux recommandations nutritionnelles à moyen terme

(Perrine et al. 2014). Ainsi, un allaitement maternel court serait plutôt lié à l’introduction de

lait de vache avant 12 mois, illustrant là également l’écart aux recommandations (Wijndaele

et al. 2009). Mais dans la cohorte EDEN il a également été observé qu’une durée d'allaitement

maternel supérieure à 6 mois était liée à une exposition plus élevée au goût sucré (Yuan et al.

2016) et à un apport plus élevé en glucides (Yuan et al. 2017), possiblement en lien avec une

plus grande utilisation d’aliments faits maison. Dans ce cas l’aliment fait maison pourrait être

réalisé selon une recette « standard » proposée à l’ensemble de la famille, avec ajout

d’ingrédients comme sel ou sucre, et non spécifiquement adapté à l’âge de l’enfant. Dans ce

cas de figure, les objectifs seraient de privilégier les saveurs, la convivialité, la découverte des

aliments adultes ou le naturel, et non de se conformer aux recommandations.

Figure 21. Pourcentage cumulatif d’enfants ayant débuté la diversification, selon le mode

d’allaitement (maternel ou préparations infantiles), mois par mois (d’après Schiess et al., 2010)

106

b. Types d’aliments proposés

Certains schémas alimentaires pourraient être associés à un âge de diversification plus

précoce. Par exemple dans la cohorte CHOP, 75% des enfants exclusivement allaités et 86%

des enfants nourris aux préparations infantiles consommaient pendant la première année des

liquides riches en énergie (thé instantanés sucrés, jus de fruits, jus végétaux comme boisson,

boissons sucrées, eaux sucrées aromatisées ou non), et ce d’autant plus tôt chez les enfants

non allaités : 13% des enfants allaités contre 43% des enfants recevant des préparations

infantiles avaient consommé ces liquides riches en énergie à l’âge de 4 mois. L’introduction

de ces liquides était associée à une diversification plus précoce. Par ailleurs, les enfants

recevant ces liquides consommaient moins de lait maternel ou de préparations infantiles,

suggérant un risque de déséquilibre nutritionnel (apport augmenté de sucres rapides et moins

de matières grasses). Il est donc probable que plusieurs pratiques d’alimentation, suspectées

d’avoir un impact plus ou moins favorables sur la santé, comme par exemple l’âge de

diversification, la durée d’allaitement, ou la consommation de boissons sucrées soient

également associées entre elles. Ainsi, comme détaillé plus haut, il n’est pas possible

d’étudier l’âge de diversification et ses déterminants (ou ses conséquences) sans prendre en

compte les modes d’alimentation lactée puisque ces deux pratiques sont fortement liées.

c. Attitudes et connaissances parentales vis-à-vis de l’alimentation

L’influence de la connaissance parentale, notamment maternelle, a été un peu étudiée.

Cette connaissance semble avoir une influence bénéfique sur l’introduction de la

diversification (Kavlashvili et al. 2014). Par exemple, la revue de Wijndaele et al. signale

trois études de faible envergure et non représentatives retrouvant une diminution de la

probabilité de diversifier trop tôt lorsque les mères étaient considérées comme ayant un haut

niveau de connaissance vis-à-vis de l’alimentation (Wijndaele et al. 2009). Ceci peut être en

lien avec le niveau d’études, la position sociale, mais également les croyances et attitudes de

la mère, du père, ou de l’entourage.

Or, de nombreuses caractéristiques démographiques contribuent aux connaissances

parentales, ainsi qu’aux croyances, attitudes, normes et comportements. Identifier les attitudes

et les croyances sous-jacentes des mères pourrait aider à améliorer les pratiques

d’alimentation précoce, puisque les attitudes et croyances sont des facteurs importants des

choix alimentaires, peut-être modifiables alors que certaines caractéristiques démographiques

(comme l’ethnie ou le pays de naissance) ne le sont pas.

107

Il a été montré en France que les mères qui assistaient à des séances de préparation à

l’accouchement, allaitaient plus et plus longtemps leur enfant, que celles qui n’y assistaient

pas (Kersuzan et al. 2014, Wagner et al. 2015). Or à notre connaissance très peu voire aucune

information sur l’allaitement (ou l’alimentation de l’enfant) n’est délivrée au cours de ces

séances. On peut donc émettre l’hypothèse que ce lien entre allaitement maternel et

participation aux cours serait un témoin des « connaissances » préalables des mères à propos

des « bonnes pratiques » de soin à l’enfant en général, et d’alimentation en particulier, qui

auraient, de par leur niveau d’études, leur statut socio-économique, leur propre estime de soi

(qui pourrait être liée à l’âge, la profession, le statut-pondéral), de meilleures capacités à

s’informer et améliorer leur connaissance.

d. Lien avec la santé mentale des parents

Plusieurs travaux ont étudié le lien entre pathologies psychiatriques maternelles et

pratiques d’alimentation. Par exemple, les mères souffrant de dépression post-natale, ainsi que

celles présentant un stress psychologique important avant la grossesse, allaiteraient moins

exclusivement et moins longtemps (Ahlqvist-Bjorkroth et al. 2016). Elles ajouteraient en

outre plus souvent des céréales dans le biberon (Gaffney et al. 2014). En revanche, le lien

entre AD et dépression post-natale n’est pas clairement établi à ce jour (Gaffney et al. 2014).

Les mères présentant une restriction alimentaire importante introduiraient plus tôt la

diversification que les mères ayant une faible restriction alimentaire (Vaarno et al. 2015). De

même, les mères présentant des traits néophobiques allaiteraient moins longtemps

(exclusivement ou partiellement) que les autres, y compris après la prise en compte de

certaines caractéristiques démographiques (Vaarno et al. 2015). Le lien entre troubles

psychologiques paternels et alimentation de l’enfant est moins étudié.

e. Raisons données pour introduire les aliments solides

Les raisons invoquées par les mères concernant leurs pratiques d’alimentation solide

permettent d’approcher leurs croyances ou attitudes envers la santé du bébé. Ainsi dans la

UKFS de 2010 (McAndrew et al. 2012), 52% des mères déclaraient qu’elles percevaient que

l’enfant n’était plus satisfait de son alimentation lactée seule, 29% déclaraient que leur bébé

était capable de s’assoir et de tenir les aliments dans la main et 26% donnaient comme raison

les réveils nocturnes du bébé.

108

Toutefois parmi les mères ayant introduit la diversification à 3 et 4 mois, 64% citaient comme

raison principale que l’enfant n’était plus satisfait avec le lait seul alors qu’elle n’était citée

que par 31% des mères ayant diversifié entre 5-6 mois et après 6 mois. Inversement les mères

qui débutaient la diversification après 5 mois donnaient plus fréquemment comme raison le

fait que le bébé était capable de s’assoir et de tenir les aliments dans la main (35% entre 5 et 6

mois ; 37% après 6 mois) par rapport à celles qui diversifiaient plus tôt (15% si diversifiant à

3 mois). Les réveils nocturnes étaient d’autant plus souvent donnés comme raison

d’introduction des solides que les mères diversifiaient tôt. Le fait que les réveils nocturnes

peuvent être physiologiques entre 3 et 5 mois et ne correspondent pas forcément à des signaux

de faim ne semblait pas forcément connu (ou admis). Cela pourrait également signaler une

mauvaise perception des signaux de faim de l’enfant. Kronborg et al. montrait que

l’association positive entre poids de naissance élevé et risque de diversifier avant 5 mois était

renforcé lorsque les mères disaient mal percevoir les signaux de faim de l’enfant (Kronborg et

al. 2014). Or ces perceptions sont influencées par l’état de santé physique et psychique des

parents et entourage de l’enfant, mais également par les croyances et attitudes, souvent liées à

la culture.