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CHAPITRE 1 : Introduction générale

1. Alimentation dans la première année de vie : pratiques et enjeux

1.1. Alimentation et malnutrition

1.1.3. Origine Développementale de la santé et des maladies (DOHaD)

Les deux versants, environnemental et génétique, ne sont toutefois pas opposés, ainsi,

de nombreux travaux ont récemment mis en lumière que les facteurs environnementaux

moduleraient l’expression du patrimoine génétique via des mécanismes épigénétiques.

L’influence de ces modulations, notamment dans les premiers temps de la vie, semble

déterminante sur le risque de développer certaines pathologies à l’âge adulte.

a. Epigénétique

L’épigénétique a été définie par Waddington en 1942 (Waddington 1942), comme une

branche de la biologie étudiant les implications entre les systèmes gènes et environnement et

leurs produits donnant naissance au phénotype d'un individu. L’épigénétique peut également

être considérée comme l'étude des changements d'activité des gènes — donc des changements

de caractères phénotypiques — qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou des

générations, sans faire appel à des mutations de l'ADN. L’épigénétique fait ainsi le lien entre

« l’inné et l’acquis », pouvant ainsi expliquer que des individus ayant le même patrimoine

génétique (jumeaux homozygotes par exemple) ne présentent pas le même risque de

développer certaines pathologies, car l’expression de ces gènes est modulée par les facteurs

environnementaux (au sens large) auxquels l’individu a été exposé. Par des modifications

épigénétiques durables de la régulation des gènes, cette exposition laisse une empreinte sur la

régulation du fonctionnement des cellules et des organes, de façon favorable ou défavorable,

influençant ainsi la santé future.

Depuis les années 1980, suite aux travaux de Barker et al. (Barker et al. 1986, Barker

1995, 2007) qui avait notamment montré qu’un petit poids de naissance lié à une

sous-nutrition fœtale augmentait le risque d’infarctus du myocarde à l’âge adulte, a été développée

l’hypothèse de l’origine développementale de la santé et des maladies (Developmental

Origins of Health and Diseases ou DOHaD). Cette hypothèse était que les conditions dans

lesquelles un individu débute sa vie, dès la période intra-utérine, voire au cours de la période

pré-conceptionnelle, influencent sa santé à très long terme. Il est maintenant clair que les

phases précoces du développement intra-utérin et les toutes premières années de vie sont des

phases critiques au cours desquelles s’établit une susceptibilité à de nombreuses maladies

chroniques. Mais ces pathologies ne se révèlent souvent que si l’environnement, le mode de

vie au cours de l’enfance, de l’adolescence et à l’âge adulte y sont propices. Le Tableau 2

recense certaines conditions environnementales précoces pour lesquelles ont été montrées des

conséquences à long terme sur la santé humaine (Junien et al. 2012).

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Tableau 2. Relations entre conditions précoces et maladies survenant à l’âge adulte décrites dans

la littérature (modifié d’après Junien et Charles, 2012)

Conditions précoces Conséquences à l’âge adulte

Restriction de croissance intra-utérine, faible

poids de naissance

Diabète de type 2, surcharge adipeuse

abdominale, hypertension artérielle, maladies

cardiovasculaires, maladie rénale chronique,

bronchopathies obstructives

Diabète gestationnel, obésité maternelle pendant

la grossesse, prise de poids gestationnelle

excessive

Obésité, insulino-résistance, diabète de type 2

Prématurité Retard cognitif et moteur, diabète de type 2,

hypertension

Croissance post-natale ralentie Diabète de type 2, maladies cardiovasculaires

Croissance post-natale excessive Obésité, Cancer

Exposition de la mère et du jeune enfant à des

toxiques

Retard cognitif et moteur, obésité, puberté

précoce, infertilité, cancer, hypertension,

maladies cardiovasculaires

Infection maternelle pendant la grossesse,

infections précoces de l’enfant

Asthme, maladies cardiovasculaires, autisme,

schizophrénie

Situations psychosociales dans l’enfance difficile,

carence affective

Retard cognitif et moteur, troubles émotionnels et

comportementaux, obésité

b. Les 1000 premiers jours

Suite à ces constats, l’OMS porte depuis peu l’initiative dite des « 1000 premiers

jours » (WHO 2018c), qui vise à promouvoir toute action favorisant une nutrition adéquate

pour la mère et l’enfant (et le père également puisque son influence sur l’alimentation, et plus

largement sur la santé de l’enfant est de plus en plus reconnue) (Lambrot et al. 2013,

McPherson et al. 2014, McPherson et al. 2015)). Cette initiative est suivie dans le monde

entier, dans l’espoir de freiner l’augmentation de 17% des maladies chroniques prévue pour la

prochaine décennie. De nombreuses données épidémiologiques et expérimentales (environ

130 000 publications à ce jour), montrent que cette période des 1000 premiers jours, qui inclut

la période péri-conceptionnelle, la grossesse et les deux premières années de la vie, constitue

une fenêtre de sensibilité particulière à l’environnement, incluant la nutrition, les toxiques

environnementaux, le stress ou l’environnement social.

La prévention précoce, illustrée Figure 9, est une stratégie clé dans la prévention des

maladies chroniques non transmissibles (Hanson et al. 2011, Junien et al. 2012): une

intervention précoce améliorerait les capacités fonctionnelles de l’organisme à répondre à de

« nouveaux challenges » de santé tels que certaines maladies chroniques comme le diabète,

l’obésité, le cancer, les maladies cardio-vasculaires, l’hypertension artérielle, classées comme

les maladies non transmissibles, dont les causes prennent leur source dans les premiers temps

de la vie (Tableau 2).

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Figure 9. Effet potentiel d’une intervention sur le risque de développer une pathologie à l’âge

adulte en fonction de la précocité de l’intervention (modifié d’après Hanson etal., 2011)

c. L’alimentation précoce : un déterminant de la santé future et un levier pour

la prévention précoce

La qualité nutritionnelle de l’alimentation des parents de l’enfant, de son alimentation

au cours des premières années de vie, tout comme son éveil sensoriel (variété des goûts, des

textures, etc.) joueraient un rôle dans la mise en place de son « capital santé ».

Par exemple l’obésité maternelle avant la grossesse ou une prise de poids excessive,

pouvant résulter d’une « surnutrition » est un facteur de risque de survenue d’une obésité chez

l’enfant (Tableau 2). Avant même la naissance, l’alimentation des parents pourrait donc avoir

un effet sur les marqueurs épigénétiques liés à la santé future de l’enfant.

Mais tout n’est pas joué au cours de la vie fœtale, et l’alimentation des premiers temps

de vie extra-utérine, de la naissance jusqu’à la fin de cette période des 1000 jours (au moins) a

une importance cruciale pour la santé de l’enfant, tant à court terme qu’à long terme. Tout

d’abord à court terme l’alimentation doit couvrir les besoins en énergie et micronutriments

pour assurer une croissance et un développement psychomoteur optimaux, prévenir certaines

carences, tout en limitant le risque d’allergies. Constituée idéalement dans les six premiers

mois d’une alimentation exclusivement lactée, cette période est suivie par une transition

progressive vers l’alimentation « familiale », de type « adulte », au cours de ce qui est

communément appelé en France la période de « diversification alimentaire », ou

« alimentation de complément ». Cette période débute lors de l’introduction d’aliments autres

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que le lait maternel ou préparations infantiles, et se poursuit avec une diminution progressive

de la part de l’alimentation lactée des apports nutritionnels du nourrisson, bien que celle-ci

doive rester importante, les recommandations françaises étant de maintenir un apport

minimum de 500 ml de lait (maternel dans l’idéal voire préparation pour nourrisson dite « de

croissance », ou lait de vache entier non écrémé au minimum) jusqu’à l’âge de trois

ans (PNNS 2015).

Ainsi, de nombreux travaux mettent en évidence le fait que l’alimentation précoce est

un déterminant majeur de la santé à long terme de l’enfant, possiblement par des mécanismes

« directs » (par exemple : modulation du microbiote intestinal, hyperplasie adipocytaire liée à

un excès d’apport, etc.) ou « indirects », via la formation de préférences alimentaires qui

perdureront au long de la vie et pourraient ainsi conditionner des habitudes plus ou moins

favorables à la santé. Nous allons donc maintenant exposer les deux aspects principaux de

l’alimentation précoce du nourrisson, en distinguant l’alimentation lactée de la diversification

alimentaire. Nous détaillerons leur définition, les enjeux, les recommandations ainsi que les

pratiques observées.