CHAPITRE 1 : Introduction générale
1. Alimentation dans la première année de vie : pratiques et enjeux
1.3. Diversification Alimentaire
1.3.2. Enjeux des pratiques de diversification
Un des éléments probablement le plus étudié concernant la diversification est l’âge
optimal de son introduction. Il existe en effet un compromis à trouver entre, d’une part
promouvoir une alimentation lactée, dans l’idéal un allaitement maternel exclusif,
suffisamment longue pour combler l’ensemble des besoins nutritionnels du nourrisson, et
éviter les risques digestifs, nutritionnels et infectieux bien décrits (cf. paragraphe 1.1 de ce
chapitre) en cas d’alimentation diversifiée survenant trop précocement, mais également un
risque possible d’allergie (risque admis en cas d’introduction de la diversification avant 4
mois) ou d’obésité future (encore discuté) ; et d’autre part, ne pas prolonger abusivement cette
alimentation lactée exclusive, afin d’assurer les besoins nutritionnels et de limiter le risque
allergique qui augmente en cas d’introduction trop tardive des aliments de diversification. Les
enjeux qui s’y rattachent sont donc complexes et multiples, et sont résumés dans la Figure 11.
Dans ce qui suit, nous aborderons plus précisément les enjeux de l’ensemble des pratiques
liées à la diversification (enjeu par enjeu et non pratique par pratique).
Figure 11. Complexité et défis de la compréhension du lien entre déroulement de la
diversification alimentaire et la survenue de pathologies ultérieures (modifié d’après
Przyrembel, 2012)
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a. Statut nutritionnel précoce
Dans les six premiers mois, l’alimentation lactée (lait maternel ou préparation
infantile) permet d’assurer un apport énergétique suffisant, et un apport relatif entre les
différents nutriments optimal. En effet cette alimentation lactée permet un apport suffisant
mais non excessif en protéines, un apport adéquat en matières grasses (MG), tant en quantité
qu’en qualité, notamment en acides gras essentiels et assure une croissance staturo-pondérale
et cérébrale correcte, tout en ayant une bonne digestibilité. Différents travaux montrent qu’à
partir de l’âge de six mois, un apport exclusivement lacté ne suffit plus à couvrir l’ensemble
des besoins nutritionnels du nourrisson, qui lui assure une croissance et un développement
psychomoteur optimaux (WHO 2001, 2002). Par exemple un risque de carence martiale plus
important (source d’infections, d’anémie, de retard de développement neurologique) peut être
observé en cas d’allaitement maternel exclusif prolongé au-delà de six mois, en l’absence
d’apport d’autres sources de fer (WHO 2003). Inversement, notamment dans les pays en
développement il est observé que, par rapport à des enfants encore exclusivement nourris au
lait, les enfants bénéficiant d’aliments de diversification à l’âge de 6-8 mois ont un risque
diminué de dénutrition et d’insuffisance pondérale (Arimond et al. 2004).
La qualité de l’alimentation diversifiée est également associée au statut nutritionnel du
nourrisson. Par exemple, plusieurs auteurs ont montré qu’un régime alimentaire
« suffisamment varié », ou « un régime minimal acceptable » tel que défini par l’OMS était
positivement associé au statut nutritionnel des enfants âgés de 6 à 23 mois (Arimond et al.
2004, Marriott et al. 2012, Mallard et al. 2014, Menon et al. 2015). Ce régime minimal
acceptable est défini par une diversification introduite à partir de 6 mois, la consommation
d’aliments appartenant à au moins quatre groupes alimentaires distincts parmi les groupes
céréales/racines/tuberculeuses, légumineuses/noix, produits laitiers, produits carnés/poissons,
œufs, fruits et légumes riches en vitamine A, autres fruits et légumes, un nombre
suffisamment fréquent de repas en fonction de l’âge et du mode d’allaitement (WHO 2007).
Le fait que le régime comporte des aliments riches en fer est également associé à un meilleur
statut nutritionnel, évalué par les rapports poids pour âge, poids pour taille et taille pour âge
(Marriott et al. 2012, Mallard et al. 2014).
En revanche, l’introduction trop précoce (avant 12 semaines) d’aliments autres que le
lait peut avoir des conséquences néfastes sur la santé à court terme de l’enfant.
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b. Croissance précoce
Si le lait maternel ou les préparations infantiles sont adaptées aux besoins nutritionnels
du jeune nourrisson, ce n’est pas le cas par exemple du lait de vache (non adapté pour
l’enfant) qui s’il est introduit trop tôt, peut entraîner des saignements digestifs parfois occultes
en raison de l’immaturité du tube digestif, entraînant à la fois un retard de croissance
pondérale ainsi que des carences en fer, pouvant entraîner à leur tour infections et retard de
croissance. Par ailleurs, plusieurs auteurs se sont intéressés aux conséquences sur la
croissance précoce du moment de l’introduction des aliments de diversification. La majorité
des études ne retrouvent pas d’effet, positif ou négatif de l’introduction des aliments de
diversification sur le poids de l’enfant jusqu’à l’âge de deux ans. Les études longitudinales
manquent, et la diversité des schémas alimentaires rend la comparaison entre les études
difficile (Przyrembel 2012). Toutefois, deux essais randomisés contrôlés menés au Honduras
(Cohen et al. 1995) et en Islande (Wells et al. 2012) comparant la croissance d’enfants allaités
exclusivement au sein pendant 4 mois contre 6 mois ne retrouvaient pas d’effet à court terme
sur la croissance. Ces résultats concordent avec ceux d’un autre essai randomisé qui
comparait, chez des enfants nourris par formule infantile l’effet de l’introduction des aliments
solides à 4 mois contre 6 mois (Mehta et al. 1998).
Certaines études suggèrent même plutôt une causalité inverse avec un effet de la
croissance précoce sur l’introduction d’aliments autre que le lait : ainsi les enfants prenant du
poids le plus rapidement sont diversifiés plus tôt (Wijndaele et al. 2009, Vail et al. 2015).
c. Risque infectieux, allergique et maladies auto-immunes
Un AD avant 12-15 semaines semble accroitre le risque d’infections gastro intestinales
et respiratoires (Quigley et al. 2009), y compris dans les pays industrialisés, alors qu’il semble
que le système immunitaire digestif devienne plus efficace à partir de 4 mois.
Cette maturation immunitaire permet également une défense plus efficace contre les
protéines étrangères, et diminuerait ainsi le risque d’allergie alimentaire. La problématique
des allergies est en effet devenue prégnante dans la deuxième moitié du vingtième siècle dans
les pays industrialisés. Les principales allergies alimentaires chez l’enfant sont les allergies au
lait de vache, à l’œuf, les arachides, le blé, les fruits à coque, le poisson et les fruits de mer
(Muraro et al. 2014). Si plusieurs hypothèses ont été évoquées concernant les causes
possibles, certains auteurs ont pu mettre en lien l’introduction de la diversification avant l’âge
de 12 semaines et l’augmentation du risque allergique, au sens large (allergies alimentaires
mais aussi respiratoires, eczéma, autres manifestations atopiques, etc.), en particulier chez les
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enfants à risque, i.e. ayant des antécédents familiaux d’allergie (Forsyth et al. 1993, Zutavern
et al. 2006, West 2017). Il a donc été suggéré initialement de retarder l’introduction les
aliments à risque après l’âge de 12 mois, avec parfois des recommandations différentes d’un
pays à l’autre. Toutefois, ces données étaient surtout issues d’études observationnelles, et peu
d’essais d’intervention avaient été menés pour investiguer les effets d’une introduction des
allergènes au-delà de la première année de vie par rapport à une introduction entre 4 et 6
mois. Les essais randomisés contrôlés ont plutôt mis en évidence une absence de bénéfice,
voire un effet délétère des introductions tardives (Ierodiakonou et al. 2016). Perkin et al., par
exemple, ne retrouvaient pas d’augmentation du risque de développer une allergie alimentaire
si les allergènes étaient introduits entre 5 et 6 mois par rapport à une introduction à 6 mois
(Perkin et al. 2016). Quigley et al. mettaient en évidence une diminution du risque d’allergie à
l’arachide chez des enfants à risque et bénéficiant d’un allaitement maternel exclusif pendant
six mois mais exposés à l’arachide dans leur première année de vie, comparativement à des
enfants recevant de l’arachide seulement après l’âge d’un an, suggérant une « fenêtre de
temps » au cours de laquelle il serait possible d’induire une tolérance à un allergène donné.
Une introduction trop tardive, après cette fenêtre serait donc un facteur de risque de
développer une allergie (Du Toit et al. 2008).
D’après une étude observationnelle, la prévalence d’allergies aux arachides chez les
enfants juifs habitant en Israël correspondait au dixième de celles des enfants juifs vivant au
Royaume-Uni. La plupart des nourrissons d’Israël consommaient des protéines d’arachides
pendant leur première année de vie, tandis que ceux nés au Royaume-Uni n’en consommaient
pratiquement pas (Du Toit et al. 2008). Cette observation a entraîné une modification de la
recommandation britannique concernant le moment de l’introduction de l’arachide en 2009.
Cet effet protecteur d’une introduction précoce a été confirmé par l’étude LEAP (Du Toit et
al. 2015).
Il est possible également que l’allaitement maternel prolongé au moins 6 mois soit un
facteur protecteur, bien que cela reste débattu (Fewtrell et al. 2017).
Des études plus récentes montrent même à l’inverse que l’introduction tardive de
certains aliments augmenterait le risque d’allergie alimentaire (Norris et al. 2005, Nwaru et al.
2010) ce qui a conduit à modifier les recommandations (Agostoni et al. 2008, Agostoni et al.
2013, Fewtrell et al. 2017, West 2017). Par exemple, en ce qui concerne la prévention de la
maladie cœliaque, la recommandation antérieure était de ne pas introduire le gluten avant
l’âge de 6 mois (voire pas avant un an chez les enfants à risque) ; les recommandations de
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l’ESPGHAN publiées en 2017 sont d’introduire le gluten progressivement, entre 4 et 12 mois,
en évitant les grandes quantités, bien que la quantité optimale ne soit pas déterminée (Fewtrell
et al. 2017). Il n’y a pas de preuve actuellement que la durée de l’allaitement maternel
influence le risque de développer une maladie cœliaque (Fewtrell et al. 2017).
Par ailleurs, l’AD ne semble pas influer sur le risque de développer un diabète de
type 1 dans la population générale (Piescik-Lech et al. 2017). Dans la population à risque,
l’AD, y compris l’introduction des céréales, avant 12-17 semaines, de même qu’un AD après
26 semaines augmente le risque de présence des autoanticorps associés au diabète (Fewtrell et
al. 2017).
En conclusion, en l’état des connaissances actuelles, si une introduction de la
diversification avant 12 semaines (4 mois) augmente le risque d’allergie et probablement de
maladies auto-immunes comme le diabète de type 1, il n’y a pas de preuve qu’une
introduction après 4 mois l’augmente, et plusieurs éléments indiquent qu’une introduction
après 6 mois pourrait même l’augmenter. De ce fait la position de l’ESPGHAN est de
recommander l’introduction de tout aliment en quantités progressivement croissantes entre 4
et 6 mois (17-26 semaines) indépendamment du risque allergique familial (Fewtrell et al.
2017).
d. Obésité, adiposité à court et long terme
En dépit d’une littérature abondante sur les effets de l’alimentation précoce du
nourrisson et de l’enfant sur les effets sur la santé dans l’enfance ou à l’âge adulte, le lien
entre pratiques de diversification (âge, types d’aliments) et risque d’obésité dans l’enfance et
à l’âge adulte est encore discuté. Les données sur le lien entre déroulement de la
diversification et croissance ou risque d’obésité après un an proviennent quasiment toutes
d’études observationnelles en dehors d’un essai clinique randomisé (Mehta et al. 1998) et de
l’analyse ancillaire de deux essais randomisés (Morgan et al. 2004).
Une revue de Moorcroft et al. de 2011 (Moorcroft et al. 2011) ne retrouvait pas
d’association franche entre l’âge de diversification et le risque de surpoids entre un et cinq
ans. En effet, quelques études montrent une prise de poids plus rapide chez les enfants
diversifiés plus tôt, mais qui s’accompagne d’une croissance staturale également plus rapide
et de l’absence de lien avec l’adiposité (Mehta et al. 1998, Burdette et al. 2006). De plus les
deux analyses provenant d’essais randomisés ne montraient pas de lien entre AD et croissance
à 3, 6 et 12 mois (Mehta et al. 1998), ou un lien non significatif à 12 semaines et 9 mois
(Morgan et al. 2004). Seule une étude retrouvait un lien entre AD inférieur à 3 mois et risque
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d’obésité à 5 ans, mais la durée d’allaitement n’était pas prise en compte (Brophy et al. 2009).
De même, une étude de la Copenhagen Perinatal Cohort montrait que parmi des enfants nés
en 1953 ayant reçu des aliments solides pour la première fois entre 2 et 6 mois, ceux qui ont
été diversifiés plus tôt avaient les IMC les plus élevés à l’âge de 42 ans (Schack-Nielsen et al.
2010), avec prise en compte de la durée d’allaitement maternel.
Les revues de Pearce et al. publiées en 2013 (Pearce et al. 2013a, Pearce et al. 2013b)
concluaient qu’« il n’y avait pas d’association claire entre l’AD et le surpoids ou obésité
infantile mais certaines preuves suggèrent qu’une introduction très précoce (à l’âge de 4 mois
ou avant, comparativement à 4-6 mois ou après 6 mois) pourrait augmenter le risque de
surpoids dans l’enfance » (Pearce et al. 2013b). Ils concluaient également que « certaines
associations étaient trouvées entre des apports protéiques élevés à l’âge de 2-12 mois et un
IMC ou une adiposité plus élevés dans l’enfance, mais pas dans toutes les études ». Ils
concluaient par ailleurs que « des apports protéiques et énergétiques élevés, en particulier des
protéines venant des produits laitiers, dans l’enfance pouvaient être associés à une
augmentation de la corpulence et de l’adiposité, mais que des recherches ultérieures devaient
être menées pour explorer la nature de ce lien. L’adhésion aux recommandations
nutritionnelles [de ne pas introduire la diversification avant 4 mois] est recommandée […] car
[elle est] liée à une augmentation de la masse maigre » (Pearce et al. 2013a). D’autres travaux
conduits depuis, notamment par l’équipe de Rolland-Cachera et al. montrent en complément
que les apports en lipides dans la petite enfance sont négativement associés à la masse grasse
et au taux sérique de leptine à l’âge de 20 ans, suggérant qu’un apport trop faible en lipides
chez le nourrisson pourrait augmenter la susceptibilité au surpoids et à la résistance à la
leptine à l’âge adulte (Rolland-Cachera et al. 2013). De plus d’autres éléments suggèrent que
c’est l’association, au sein d’un régime fréquemment observé chez les nourrissons, d’aliments
“riches en protéines-pauvres en graisses » qui expliquerait l’augmentation rapide de la
prévalence du surpoids infantile, par le biais d’une programmation métabolique liée à la
nutrition précoce (Rolland-Cachera et al. 2016). Ces éléments confortent les
recommandations actuelles qui sont de ne pas restreindre les apports en lipides chez le
nourrisson, voire même d’en ajouter.
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