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La pratique ultérieure

La pratique des Etats va dans le sens de confiner les CAI à des hostilités entre Etats. Tout d’abord, mentionnons les récentes réactions des Etats d’Israël et des Etats-Unis à l’adhésion de la Palestine aux CG du 2 avril 2014. Suite à la notification du dépositaire des CG aux Etats parties, Israël et les Etats-Unis ont précisé que la Palestine ne pouvait être une Haute Partie contractante car elle n’était pas un Etat, confirmant ainsi la lecture des mots « Hautes Parties » de l’article 2 commun dans le sens d’« Etats »795. D’une manière plus générale, les manuels militaires se réfèrent systématiquement aux Etats dans leur définition du CAI (parfois en renvoyant à l’article 2 commun, d’autres fois sans le faire) et nous n’avons trouvé aucun exemple de manuel mentionnant d’autres entités comme potentielles parties à un CAI796.

794 Voir à ce sujet nos développements dans « L’interaction entre les CAI et les CANI pour notre travail » supra, p. 109-111.

795 Nous reviendrons sur ce cas infra, p. 172-173. Pour un aperçu des positions d’Israël et des Etats-Unis, voir les réactions de ces Etats à la notification du dépositaire disponible à l’adresse suivante:

http://www.dfae.admin.ch/etc/medialib/downloads/edazen/topics/intla/intrea/depch/warvic/2014.Par.0006.File.t mp/140521-GENEVE_fr.pdf (dernière consultation: 29 septembre 2014). Le gouvernement étatsunien énonce par exemple qu’il “does not believe the ‘State of Palestine’ qualifies as a sovereign State and does not recognize it as such. Accession to the said treaties is limited to sovereign States. Therefore, the Government of the United States of America believes that the ‘State of Palestine’ is not qualified to accede tothe said treaties and affirms that it will not consider itself to be in a treaty relationship with the ‘State of Palestine’ under the said treaties”. La Palestine a réagi aux communications des Etats-Unis, d’Israël mais aussi du Canada par une communication du 18 juin 2014 que la Suisse en tant qu’Etat dépositaire des CG a transmis aux Hautes Parties contractantes en date du 27 juin 2014. Dans ce texte, la Palestine rappelle qu’elle est “a State recognized by the United Nations General Assembly on behalf of the international community”. Voir la notification de la Suisse aux Etats parties aux CG dans: Suisse, Département fédéral des affaires étrangères, Notification aux Gouvernements des Etats parties aux Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre, disponible à l’adresse suivante: https://www.dfae.admin.ch/content/dam/eda/fr/documents/eda_140627-geneve_fr.pdf (dernière consultation: 9 décembre 2014).

796 A titre d’exemple, voir Australie, Ministère de la défense, Law of Armed Conflict, para. 1.51, disponible à l’adresse suivante: http://www.defence.gov.au/adfwc/documents/doctrinelibrary/addp/addp06.4-lawofarmedconflict.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); Canada, Ministère de la défense, The Law of Armed Conflict at the Operational and Tactical Levels, p. 223, disponible à l’adresse suivante:

http://www.fichl.org/uploads/media/Canadian_LOAC_Manual_2001_English.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); Espagne, Ministère de la défense, El derecho de los conflictos armados, Vol. 1, para. 1.9 -

1.2.b.(1), disponible à l’adresse suivante:

http://www.cruzroja.es/pls/portal30/url/ITEM/69270FCC468A4A99E04400144FEAD1A6 (dernière consultation: 16 octobre 2014); Argentine, Ministère de la défense, Manual de Derecho Internacional de los

Conflictos Armados, para. 2.01, disponible à l’adresse suivante:

http://www.mindef.gov.ar/publicaciones/pdf/Manual-de-derecho-humanitario-de-los-conflictos-armados.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); Mexique, Ministère de la défense, Manual de derecho internacional

De plus, rappelons que les Etats ont de fortes réticences à admettre l’application du droit des CANI lorsqu’ils se livrent à des hostilités contre des groupes non étatiques797. Il nous semble ainsi difficile d’envisager qu’ils acceptent de voir régir ces situations par le droit plus détaillé des CAI. D’ailleurs, si les Etats possèdent déjà des craintes d’une reconnaissance de la légitimité ou d’un certain statut juridique de leur adversaire en appliquant le droit des CANI à des violences qui les opposent à des groupes, on peut imaginer leur peur de concéder l’application du droit des CAI à des affrontements qui les opposent à des entités non étatiques798.

Une pratique intéressante à analyser à ce sujet est celle d’Israël concernant les affrontements qui l’opposent à différents groupes palestiniens qu’il qualifie de terroristes. Selon la Cour suprême israélienne, “the fact that the terrorist organizations and their members do not act in the name of a state does not turn the struggle against them into a purely internal state conflict […]. Indeed, in today's reality, a terrorist organization is likely to have considerable military capabilities. At times they have military capabilities that exceed those of states. Confrontation with those dangers cannot be restricted within the state and its penal law. Confronting the dangers of terrorism constitutes a part of the international law dealing with armed conflicts of international character”799. Et la Cour de conclure dans le même paragraphe que le conflit armé en question “is of an international character”800. Nous voyons ainsi que selon la Cour suprême israélienne des hostilités entre des groupes non étatiques et un Etat peuvent être qualifiés de CAI du fait des capacités militaires quasi-étatiques de ces groupes. Cette position humanitario para el Ejército y Fuerzas Aérea Mexicanos, p. 96, disponible à l’adresse suivante:

http://www.sedena.gob.mx/pdf/der_hums/bibliografia/2_M.D.I.H_EYF.A.M.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); France, Ministère de la défense, Manuel de droit des conflits armés, p. 33, disponible à l’adresse suivante: http://www.cicde.defense.gouv.fr/IMG/pdf/20130226_np_cicde_manuel-dca.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); Pérou, Ministère de la défense, Manual para las Fuerzas Armadas: derechos humanos, derecho internacional humanitario, p. 225, disponible à l’adresse suivante:

http://www.mindef.gob.pe/informacion/documentos/manual_ddhh_ffaa_2010.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); Etats-Unis, Ministère de la défense, Operational law handbook, p. 15, disponible à l’adresse suivante: http://www.loc.gov/rr/frd/Military_Law/pdf/operational-law-handbook_2013.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014); Russie, Ministère de la défense, Application of IHL rules - Regulations for the armed forces of the Russian Federation, para. 1; Allemagne, Ministère de la défense, Law of Armed Conflict – Manual, p. 29.

797 A titre d’exemple, la Russie considérait que les hostilités qui l’opposaient à des forces séparatistes tchétchènes relevaient d’opération anti-terroristes alors que dans ce cas précis, les éléments définitionnels du CANI semblent bien remplis. Comme nous le signalerons, cette tendance semble s’inverser lorsque les affrontements entre un Etat et un GA sont de nature transnationale. Voir par exemple International Law Association. International Law Association, Use of Force Committee, Final Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law, p. 4-5; Cullen, The concept of non-international armed conflict in international humanitarian law, p. 55-56.

798 D’où également le refus des Etats de reconnaître l’existence d’un CAI lors d’affrontements qui les opposent à des entités lors de guerre de sécession. Nous reviendrons sur ce point plus bas dans notre partie sur les guerres de sécession (infra, p. 187-193).

799 Israël, Cour suprême, Public Committee Against Torture contre Israël, Jugement, 13 décembre 2006, para.

21.

800 Israël, Cour suprême, Public Committee Against Torture contre Israël, Jugement, 13 décembre 2006, para.

21. Pour un rejet de cette position voir Paulus et Vashakmadze, Asymmetrical War and the Notion of Armed Conflict – a Tentative Conceptualization, p. 111-112; D’Aspremont et de Hemptinne, Droit international humanitaire: thèmes choisis, p. 51; Milanovic et Hadzi-Vidanovic, “A taxonomy of armed conflict”, p. 274-275;

Kress, Some reflections on the international legal framework governing transnational armed conflicts, p. 10-11;

Hoffmann, “Squaring the Circle? – International Humanitarian Law and Transnational Armed Conflicts”, p. 240-241.

reste cependant très minoritaire puisque, comme nous venons de le souligner, les Etats ont plutôt tendance à réfuter l’application du droit des CANI (sans même aller jusqu’à la qualification de CAI) à ce type de violence. Il est vrai cependant que certains Etats, comme les Etats-Unis, ont cherché récemment à qualifier certaines de leurs opérations transnationales de CANI dans des situations où nous pouvions douter de l’existence d’un tel conflit801. Cependant, même dans ces cas, la catégorisation avancée est celle de CANI et non de CAI.

La pratique pertinente pour notre exercice est celle des Etats parties aux CG. Néanmoins, comme nous l’avons vu, certains auteurs admettent que la pratique d’autres acteurs peut être pertinente802. Sur notre question, nous avons déjà relevé que la jurisprudence se réfère systématiquement à des violences entre « Etats » et non à des violences entre « Hautes Parties contractantes »803. Dans le même sens, en 2008, dans sa prise de position sur les définitions de CAI et CANI, le CICR a posé qu’un CAI est un « recours à la force armée entre deux ou plusieurs Etats »804. Cette posture a été également reprise en 2011 dans le Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités de la Commission du droit international qui définit les CAI de « recours à la force armée entre Etats »805. Si cette pratique ultérieure n’est pas étatique dans le sens strict du terme, elle dénote une tendance nouvelle dans la définition de CAI, surtout que ces projets d’articles ont bien souvent pour prétention de prendre en compte la pratique des Etats, voire de codifier le droit international coutumier existant.

Enfin, la pratique ultérieure des Etats nous paraît intéressante à analyser aux fins de déterminer si les cas spécifiques d’hostilités entre un Etat et une organisation internationale ou une coalition d’Etats ou encore les affrontements entre un Etat et un GA se situant sur le territoire d’un autre Etat (i.e. les conflits armés transnationaux) sont des conflits armés entre Hautes Parties contractantes. Ces cas seront abordés dans respectivement dans la partie E de cette Question I et dans la Question V806.

801 En effet, les Etats-Unis semblent considérer, du moins sous la présidence de Barack Obama, que les hostilités qui les opposent à Al Qaida, aux Talibans et à leurs associés (selon la formule utilisée par les Etats-Unis) sont un CANI alors que nous pouvons douter que les critères d’organisation et de seuil de violence soient remplis dans les hostilités entre ces groupes. Cette position étatsunienne est du moins celle qui semble ressortir des documents présentés par les Etats-Unis lors de leur examen périodique universel devant le Conseil des droits de l’homme.

Voir Etats-Unis, Rapport national présenté conformément au paragraphe 15 a) de l’annexe à la résolution 5/1 du Conseil des droits de l’homme, para. 82 et 84. Noam Lubell arrive également à cette conclusion lors de son analyse de la position des Etats-Unis sur ces affrontements. Voir Lubell, “The War (?) against Al-Qaeda”, p.

428-429.

802 Voir supra, p. 23.

803 Voir supra, note 759.

804 CICR, Comment le terme « conflit armé » est-il défini en droit international humanitaire ?, p. 5. Dans ce même document (p. 2), le CANI est quant à lui défini par une références aux forces gouvernementales. Le CICR a par ailleurs réitéré sa position sur la définition de CANI en 2011 en posant qu’« un conflit armé international […] présuppose […un] emploi de la force entre deux États ou plus ». CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, p. 9.

805 Article 2, lettre b, Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités.

806 Voir infra, p. 159-167 et 403-426.