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La création d’un CAI par une résolution du Conseil de sécurité

3. De l’importance de certaines sources particulières

3.2.3 La création d’un CAI par une résolution du Conseil de sécurité

La configuration qui nous intéresse plus particulièrement ici est celle où il n’existe pas de CAI dans les faits mais que le Conseil déclare dans une résolution adoptée sous le Chapitre VII qu’un tel conflit existe néanmoins239. Nous pouvons songer par exemple à des décisions qui affirmeraient l’existence d’un CAI alors que les violences d’un Etat A sont dirigées sur le territoire de l’Etat B contre un GA C ou contre des individus D ciblés pour leurs qualités240. Nous pouvons aussi imaginer la situation où le Conseil déclare que des violences internes sont un CAI du fait de leur intensité et du soutien logistique d’Etats tiers au GA C luttant dans l’Etat B contre ce dernier. Comme nous le verrons, notre définition du CAI de l’article 2 commun ne couvre pas ces situations241. Que faire si le Conseil déclare que de telles violences relèvent du droit des CAI? Cette question est intéressante puisqu’elle se trouve au cœur de certaines tensions de DIP et de DCA. Rappelons en effet que, selon la Charte des Nations Unies, le Conseil possède « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales »242 et que les Membres des Nations Unies « reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom »243. De plus, comme le précise l’article 25 de la Charte, les Membres des Nations Unies

« conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte », confirmant ainsi le caractère obligatoire des résolutions de cet organe, du moins celles prises sous le Chapitre VII244. Ce Chapitre VII est intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ». Il confère des pouvoirs d’action très larges au Conseil de sécurité, allant jusqu’à l’autorisation de l’usage de la force245, pour autant qu’il constate une situation de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d'agression246. Cette qualification est par ailleurs laissée au libre pouvoir du Conseil247. A cet élément contraignant des résolutions prises sous le Chapitre VII s’ajoute l’article 103 de la Charte qui énonce qu’« [e]n cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de

239 Ceci pourrait correspondre au titre que donne Robert Kolb à une partie d’un de ses ouvrages qui s’intitule

« L’applicabilité du droit des conflits armés internationaux par injonction du Conseil de sécurité des Nations Unies ». Voir Kolb, Ius in bello: le droit international des conflits armés: précis, p. 165-166.

240 Nous préciserons tous ces éléments dans notre Question V (voir infra, p. 370-441). Pour ces pages, retenons qu’une personne est ciblée pour ses qualités si son individualité est la raison de l’attaque dirigée contre elle et non un rattachement à un GA ou à un Etat. L’exemple topique est celui d’un individu D visé par un Etat A dans un Etat B du fait d’agissements criminels dans l’Etat A duquel il a fui. L’Etat A vise l’individu D en relation avec ce comportement criminel.

241 Ces cas seront traités à divers endroits de nos questions autour de l’acte déclencheur, notamment dans nos Question V et VII.

242 Article 24, paragraphe 1, Charte des Nations Unies.

243 Article 24, paragraphe 1, Charte des Nations Unies.

244 Il existe une controverse sur la question de savoir si seules les résolutions prises sous le Chapitre VII ou si toutes les résolutions du Conseil ont un caractère obligatoire. Voir Degni-Segui, « Article 24, paragraphes 1 et 2 », p. 896-897; Suy et Angelet, « Article 25 », p. 912-916; Peters, “Article 25”, p. 792-797.

245 Pour l’utilisation de la force armée, voir Article 42, Charte des Nations Unies.

246 Article 39, Charte des Nations Unies. Cette disposition énonce que « [l]e Conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

247 Degni-Segui, « Article 24, paragraphe 1 et 2 », p. 894; D’Argent, d’Aspremont, Dopagne, van Steenberghe,

« Article 39 », p. 1140-1145; Krisch, “Article 39”, p. 1275-1276.

tout autre accord international, les premières prévaudront ». Les résolutions du Conseil de sécurité adoptées sous le Chapitre VII de la Charte sont parmi ces « obligations » de l’article 103. Elles priment donc sur toute autre disposition de DIP248. Nous avons ainsi d’un côté des décisions qui possèdent un statut de primauté en DIP et qui peuvent décider de l’existence d’un CAI dans une situation particulière pour autant qu’elle soit qualifiée de menace ou rupture de la paix ou d’acte d’agression. De l’autre côté, nous trouvons néanmoins trois résistances à la possibilité que le Conseil crée un CAI alors que celui-ci n’existe pas dans les faits.

Premièrement, la notion de CAI de l’article 2 commun se veut factuelle. Un CAI existe lorsque deux ou plusieurs Etats se livrent à des hostilités. Le passage de la notion de

« guerre » à celle de CAI avait précisément pour objectif d’éloigner l’application du DCA de critères formels249. Permettre que le Conseil de sécurité crée un CAI alors qu’il n’en existe aucun sur le terrain menace cette analyse factuelle. A notre avis, de nombreuses conséquences néfastes pourraient résulter d’une telle résolution puisque nous aurions un régime de droit des CAI s’appliquant à des situations qui ne sont pas adéquatement régies par ce droit. Par exemple, il nous semble que les hostilités entre un Etat A et un GA C dans un Etat B sont règlementées de manière appropriée par le droit des CANI250. Si le Conseil décide que ces violences relèvent du droit des CAI, nous verrions l’application d’un régime qui à notre avis n’est pas le mieux adapté à la situation251. C’est ce qu’essaie d’assurer la définition factuelle de l’article 2 commun qui serait remise en cause par la possibilité que le Conseil de sécurité puisse créer un CAI. Deuxièmement, dans l’hypothèse où la décision du Conseil entraîne l’application du droit conventionnel des CAI, nous pouvons nous demander dans quelle mesure cet organe peut lier à un traité particulier, par exemple le PA I, des Etats qui n’y sont pas partie et ce au moyen d’une résolution contraignante. Prenons l’exemple où le Conseil décide que les hostilités que l’Etat A mène contre le GA C sur l’Etat B forment un CAI selon l’article 2 commun alors que ces deux Etats ne sont pas partie au PA I. Est-ce que de ce fait les Etats A et B sont liés par ce Protocole (par renvoi à l’article 2 commun) et ce même si, par hypothèse, l’Etat A n’a pas ratifié ce traité? Le Conseil possède-t-il les prérogatives pour lier des Etats à des obligations d’un traité qu’ils n’ont pas ratifié? Ceci n’a bien entendu de l’importance que si ces règles n’ont pas acquis de caractère coutumier252. Il n’est à notre avis pas impossible que le Conseil de sécurité possède de tels pouvoirs sous le Chapitre VII de la Charte. Il s’agit néanmoins d’un point de tension en DIP. Troisièmement, permettre au Conseil de sécurité de créer un CAI quand celui-ci n’existe pas dans les faits met la distinction entre ius ad bellum et ius in bello sous pression253. Nous consacrerons une de nos

248 Voir Thouvenin, « Article 103 », p. 2133-2148; Peters, “Article 25”, p. 850-854 (qui marque le lien entre les articles 25 et 103 de la Charte). Voir toutefois infra note 273.

249 Voir supra, p. 43-45 et infra, p. 53-55.

250 Nous arriverons en effet à la conclusion suite à un exercice interprétatif dans notre Question V que ces situations de violence transnationale sortent du droit des CAI. Nous soulignerons néanmoins que la doctrine majoritaire soutient une position différente de la nôtre. Voir infra, p. 403-426.

251 Voir Question V infra, notamment p. 412-413.

252 Si ces règles sont coutumières, par définition, elles lieront tous les Etats sauf les persistent objectors. Voir supra, note 96.

253 D’Aspremont et de Hemptinne, Droit international humanitaire: thèmes choisis, p. 358 (les auteurs traitent plus concrètement de l’exclusion de l’application du DCA par une résolution du Conseil comme atteignant à la

questions préliminaires au rapport entre ces deux corps de normes. Nous reviendrons également largement sur ce point dans chacune de nos questions autour de l’acte déclencheur d’un CAI lors de l’analyse du milieu juridique. Comme nous le verrons, la séparation entre ius ad bellum et ius in bello, acceptée par l’immense majorité de la doctrine et de la jurisprudence, est nécessaire à l’existence de ces ensembles et repose sur divers arguments254. En donnant le pouvoir au Conseil de sécurité, organe politique plus particulièrement attaché au ius ad bellum255, de décider de l’existence d’un CAI, nous pourrions toucher à la séparation entre ius ad bellum et ius in bello puisqu’un organe plus spécifiquement concerné par les questions de ius ad bellum va être compétent pour décider de l’identité de l’agresseur et de l’agressé selon la Charte et pour consacrer l’application du DCA. Surtout, le Conseil aura la possibilité d’affirmer l’existence ou l’absence d’un CAI. Concrètement, ceci veut dire que seuls des conflits que les Membres permanents du Conseil veulent créer (alors qu’il n’en existe pas dans les faits) prendront naissance (en plus de ceux qui existent du fait d’hostilités entre Etats). A notre avis, une telle conséquence serait fortement dommageable à la crédibilité du DCA et donc à son respect.

Nous voyons ainsi se dessiner les tensions entre des résolutions du Conseil de sécurité, obligatoires et primant sur les autres obligations de DIP, et des réticences du DIP même et du DCA à la possibilité que cet organe crée un CAI sans que les éléments factuels de la définition de ce type de conflit ne soient remplis. Nous ne trouvons cependant pas de possibilité de restreindre les pouvoirs du Conseil pour l’empêcher de faire une telle déclaration ou pour ne pas lui accorder son caractère de primauté256. Selon nous, lorsque le Conseil de sécurité qualifie de CAI une situation qui n’en est pas une selon les critères que nous développerons, un CAI prend néanmoins naissance de par les articles 25 et 103 de la Charte des Nations Unies et les Etats devront alors respecter le DCA257. Notons encore que la pratique des Etats qui suivrait cette résolution, donc en toute logique celle de l’application du droit des CAI, permettrait également de faire évoluer les définitions coutumière et conventionnelle du CAI258.

distinction entre ius ad bellum et ius in bello); Sassòli, Legislation and Maintenance of Public Order and Civil Life by Occupying Powers, p. 684 (concernant la fin d’une situation d’occupation par une résolution du Conseil);

Okimoto, The Distinction and Relationship between Jus ad Bellum and Jus in Bello, p. 123.

254 Voir infra, p. 78-81.

255 Une des deux exceptions à l’interdiction de l’usage de la force en DIP est d’ailleurs l’autorisation accordée par le Conseil de sécurité de recourir à la force armée selon l’article 42 de la Charte des Nations Unies.

256 Nous ferons néanmoins mention plus bas de certaines limites que des écrits avancent pour restreindre ou contrôler le pouvoir du Conseil. Voir infra, p. 52.

257 Dans le même sens, David, Principes de droit des conflits armés, p. 130 et 174; Sassòli, Legislation and Maintenance of Public Order and Civil Life by Occupying Powers, p. 683-684; Kolb, Ius in bello: le droit international des conflits armés: précis, p. 166 (l’auteur pose néanmoins des limites au cas où le Conseil qualifierait de CANI un conflit qui dans les faits est un CAI); Quidenus, The Continued Presence of the Multinational Force on Iraqi Request, p. 163-167.

258 Il s’agirait en effet d’une pratique étatique à même d’influencer la définition coutumière du CAI mais aussi la définition conventionnelle de par l’interprétation selon la pratique ultérieure.

3.2.4 Les qualifications directes et indirectes par le Conseil de sécurité et leurs