• Aucun résultat trouvé

L’origine de la guerre déclarée

Comme nous l’avons vu, dès le XVIIème siècle, la théorie de la guerre juste est progressivement évincée en DIP au profit de théories positivistes610. La guerre est alors considérée comme une relation licite entre Etats réglementée par un droit particulier, le droit de la guerre, qui trouve application suite à une déclaration de guerre611. En réalité, avant l’adoption en 1907 de la Convention III relative à l’ouverture des hostilités, l’institution de la déclaration de guerre n’est fixée dans aucun texte et les Etats semblent y recourir de manière aléatoire. Certains auteurs notent en effet que, malgré le soutien exprimé à l’institution de la déclaration de guerre, de nombreux Etats usent de la force sans s’y référer612. La situation est clarifiée en 1907 puisque l’article 1 de la Convention III susmentionnée précise que « [l]es Puissances contractantes reconnaissent que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque, qui aura, soit la forme d'une déclaration de guerre motivée, soit celle d'un ultimatum avec déclaration de guerre conditionnelle ».

L’article 2 énonce quant à lui que « [l]'état de guerre devra être notifié sans retard aux Puissances neutres et ne produira effet à leur égard qu'après réception d'une notification qui pourra être faite même par voie télégraphique ». Ainsi, suite à l’adoption de ces dispositions codifiant une certaine pratique et volonté des Etats, la déclaration de guerre occupe un rôle central un DIP en permettant l’application du droit de la guerre tout en marquant le passage de

609 Article 31, paragraphe 2, Convention de Vienne sur le droit des traités. Pour les détails, voir supra, p. 20-21.

610 Voir supra, p. 73.

611 Commentaire aux CG, Article 2, CG I, p. 29; Brown, Application, en cas d'hostilités non accompagnées d'une déclaration de guerre, des Conventions de Genève, p. 458-459; Voelckel, Faut-il encore déclarer la guerre?, p.

8; Lauterpacht, The Legal Irrelevance of the “State of War”, p. 61-62; Milanovic et Hadzi-Vidanovic, “A taxonomy of armed conflict”, p. 258-261; Bartels, Timelines, borderlines and conflicts: the historical evolution of the legal devide between international and non-international armed conflicts, p. 57; Neff, War and the Law of Nations: A General History, p. 173; Prakash, Exhuming the Seemingly Moribund Declaration of War, p. 114-118; Eagleton, The form and function of the declaration of war, p. 21; Rousseau, Le droit des conflits armés, p.

30-34.

612 Eagleton, The form and function of the declaration of war, p. 20-21 (et références afférentes); Voelckel, Faut-il encore déclarer la guerre?, p. 8; Grignon, L'applicabFaut-ilité temporelle du droit international humanitaire, p. 31.

l’état de paix à l’état de guerre613. Il est ainsi important de se rappeler que l’institution de la déclaration de guerre prit naissance à un moment où la guerre était une relation licite entre Etatset où le DIP était divisé en droit de la guerre et en droit de la paix614. Ces deux éléments ne correspondent plus à l’état de la société internationale suite à la Deuxième Guerre mondiale. D’ailleurs, certains auteurs avancent que la déclaration de guerre pourrait même être illicite en DIP depuis 1945 car il s’agirait d’une menace à la paix constitutive d’une violation de la Charte des Nations Unies615.

Malgré son importance, avant la Première Guerre mondiale déjà, la déclaration de guerre est au cœur de nombreuses incertitudes sur des questions aussi essentielles que celles concernant la forme qu’elle devait revêtir, les parties pouvant la prononcer, le moment où elle devait être émise ou encore ses conséquences exactes. Ces difficultés définitionnelles se poursuivront bien au-delà de la Grande Guerre616 et l’on peut même poser que la situation se complexifie encore plus suite à la Première Guerre mondiale puisque le DIP entame alors son mouvement vers une mise hors la loi de la guerre. Parallèlement, des auteurs commencent à soutenir une application du droit de la guerre qui soit factuelle, détachée de l’institution de la déclaration de guerre. On constate en effet à cette époque que de nombreuses situations d’hostilités échappent au droit de la guerre de par l’absence de déclaration, ce qui est insatisfaisant au niveau de la protection des individus potentiellement affectés par ces violences617. Des propositions sont ainsi émises pour élever au titre de déclaration de guerre certains actes d’hostilités (i.e. considérer ces actes comme des déclarations de guerre) ou encore pour fonder l’application du DCA sur ces autres actes (i.e. considérer que ces actes mènent à l’application du DCA au même titre que les déclarations de guerre)618. Ainsi, dès 1934, le CICR se

613 Voir supra, note 611.

614 Voir notamment Brown, Application, en cas d'hostilités non accompagnées d'une déclaration de guerre, des Conventions de Genève, p. 458-459. Sur ce thème voir aussi supra, note 611.

615 Bula-Bula, Droit international humanitaire, p. 95; Dinstein, War, Aggression and Self-Defence, p. 32; David, Principes de droit des conflits armés, p. 122-123; Kolb, Ius in bello: le droit international des conflits armés:

précis, p. 160.

616 David, Principes de droit des conflits armés, p. 122; Eagleton, The form and function of the declaration of war, p. 21-35. A noter que la Convention III relative à l'ouverture des hostilités de 1907 a également participé à cette confusion. En effet, l’article 1 de ce texte ne subordonne pas l’existence d’un état de guerre (et ainsi l’application du droit de la guerre) à une déclaration mais pose simplement que les Etats doivent déclarer la guerre avant de la mener. On pourrait ainsi l’interpréter dans deux sens: soit le droit de la guerre ne s’appliquait que s’il y avait eu déclaration de guerre, soit toute guerre devait être précédée d’une déclaration mais l’absence de celle-ci n’empêchait pas forcément l’application du droit de la guerre. Enfin, il n’était pas clair si une déclaration unilatérale suffisait à entraîner la création de l’état de guerre ou s’il fallait des déclarations réciproques. L’article 1 de la Convention III relative à l'ouverture des hostilités semblait prévoir qu’une déclaration unilatérale suffise. Concernant toutes ces questions, voir aussi Schindler, “State of War, Belligerency, Armed Conflict”, Vol. 1, p. 16; Eagleton, The Attempt to Define War, p. 265-267; Eagleton, The form and function of the declaration of war, p. 2; Prakash, Exhuming the Seemingly Moribund Declaration of War, p. 110; Wright, When Does War exist?, p. 363-365; Paenson, Manual of the terminology of the law of armed conflicts and of international humanitarian organizations, p. 62; Neff, War and the Law of Nations: A General History, p. 175.

617 Commentaire aux CG, Article 2, CG I, p. 29-30; CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, p. 9; Brown, Application, en cas d'hostilités non accompagnées d'une déclaration de guerre, des Conventions de Genève, p. 468-472 (qui explique pourquoi les Etats ne déclarent plus la guerre dans l’entre-deux-guerres).

618 Commentaire aux CG, Article 2, CG I, p. 30-31; Greenwood, The Concept of war in modern international law, p. 284-287; Wright, When Does War exist?, p. 363-365; Schindler, “State of War, Belligerency, Armed Conflict”, Vol. 1, p. 16; Paenson, Manual of the terminology of the law of armed conflicts and of international

prononce en faveur d’une application des conventions sur le droit de la guerre aux guerres déclarées et non déclarées619. En 1938, à la XVIe Conférence internationale de la Croix-Rouge, il fut proposé que, lors de la prochaine révision des CG, celles-ci se voient appliquées même aux guerres non déclarées620. La Deuxième Guerre mondiale et son lot d’absences de déclarations de guerre ne fit que confirmer la nécessité d’une application du droit de la guerre sur la base de la présence de violence et ce sans égard aux déclarations des Etats621. Ainsi, en 1946, le Rapport de la Conférence préliminaire des Sociétés nationales de la Croix-Rouge propose d’introduire dans chacune des CG une disposition sur le champ d’application qui précise que le texte en question « est applicable entre les Parties contractantes dès que les hostilités ont éclaté en fait, même si aucune déclaration de guerre n’est intervenue et quelle que soit la forme que revête l’intervention armée »622. En 1947, les mots retenus pour le futur article 2 commun sont les suivants: « La présente Convention est applicable entre les parties contractantes dès le commencement de tout conflit armé, qu’il soit reconnu ou non comme état de guerre par les parties »623. Le texte finalement retenu pour les CG énonce que « […] la présente Convention s'appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l'état de guerre n'est pas reconnu par l'une d'elles ». Nous constatons donc que les projets de 1946 et 1947 sont concentrés sur les hostilités alors que le projet de 1948624 et le texte finalement retenu accordent certes une place aux hostilités mais redonnent également de l’importance à la notion de « guerre déclarée » en tant que porte d’entrée indépendante vers le DCA. En d’autres mots, les projets de 1946 et 1947 soulignent que le DCA s’applique en temps de CAI sans égard à l’existence d’une déclaration de guerre alors que le texte finalement retenu avance que le DCA s’applique en cas de guerre déclarée et en temps de CAI sans égard à l’existence d’une déclaration de guerre. Il reste que la nouveauté amenée par les CG est l’application du DCA en présence d’hostilités même sans déclaration de guerre625.

Il est plus difficile de déterminer si les rédacteurs des CG souhaitaient réellement, par la formulation de l’article 2 commun, inclure l’éventualité de l’application des CG sur la base d’une guerre déclarée non accompagnée d’hostilités. Si ce cas est extrêmement rare, il est déjà arrivé par le passé que des Etats déclarent la guerre sans intervenir dans le conflit ou qu’ils n’usent de la force qu’un certain laps de temps suite à la déclaration626. D’un côté, le humanitarian organizations, p. 62; Eagleton, The Attempt to Define War, p. 265-267; Neff, War and the Law of Nations: A General History, p. 175; Prakash, Exhuming the Seemingly Moribund Declaration of War, p. 97-107.

619 Brown, Application, en cas d'hostilités non accompagnées d'une déclaration de guerre, des Conventions de Genève, p. 476 (pour les conclusions).

620 Rapport relatif à l’interprétation, la revision et l’extension de la Convention de Genève du 27 juillet 1929, p.

7-8.

621 Commentaire aux CG, Article 2, CG I, p. 30; Voelckel, Faut-il encore déclarer la guerre?, p. 10.

622 Rapport sur les travaux de la conférence préliminaire des Sociétés nationales de la Croix-Rouge pour l'étude des Conventions et de divers problèmes ayant trait à la Croix-Rouge, p. 16.

623 Rapport sur les travaux de la Conférence d’experts gouvernementaux pour l’étude des Conventions protégeant les victimes de la guerre, p. 8.

624 Le texte de 1948 est identique à celui qui sera adopté en 1949 en ce qui concerne la partie sur la guerre déclarée.

625 Commentaire aux CG, Article 2, CG I, p. 34; CICR, Comment le terme « conflit armé » est-il défini en droit international humanitaire?, p. 1.

626 Voir les exemples mentionnés par Schindler, “The different Types of Armed Conflicts According to the Geneva Conventions and Protocols”, p. 131-132.

mouvement amorcé depuis la Première Guerre mondiale et les projets d’article 2 commun de 1946 et 1947 semblent concentrer l’application des CG sur les hostilités, ce qui correspond à la vision factuelle de l’application de ces textes qui éclôt en 1949627 et va à l’encontre d’une porte d’entrée distincte « guerre déclarée » (sans hostilités). D’un autre côté, le libellé de l’article 2 commun suggère que les catégories « guerre déclarée » et CAI mène toutes deux à l’application des CG. La volonté d’une application large des CG, très présente en 1949, va également dans ce sens. Sur ce sujet, il est intéressant de noter que le Commentaire au Protocole I de 1977 soutient expressément que la guerre déclarée sans hostilités amène l’application des CG et du PA I628. Des auteurs reprennent cette hypothèse629 alors même que des textes récents de DCA ne font plus du tout référence à l’institution de la guerre déclarée pour leur application630.