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Les difficultés rencontrées avec les écrits sur le sujet

Nous avons rencontré certaines difficultés avec les écrits de doctrine et de jurisprudence s’arrêtant sur la question de la définition du CAI et/ou de son acte déclencheur. Tout d’abord, très peu d’auteures ont exposé des développements substantiels sur ce thème. La question de la qualification étant essentielle en DCA puisque les CG et le PA I ne s’appliquent que si une situation de CAI, CANI, guerre déclarée, occupation sans résistance ou GLN existe, presque tous les textes sur le DCA contiennent une partie sur ce sujet. Cependant, ces écrits s’axent en général plutôt sur la catégorie de CANI que sur celle de CAI. Les conflits qui sévissent de nos jours sont en effet, dans l’immense majorité des cas, des CANI et les auteurs semblent considérer que cette catégorie est plus difficile à délimiter que celle de CAI172. De plus, les sections dédiées à la notion de CAI se résument de manière générale à quelques lignes qui reprennent le Commentaire à l’article 2 commun et la définition de la notion de CAI posée par le TPIY dans l’affaire Tadic, précisent le détachement entre les concepts de « guerre » et de CAI, énoncent que de tels conflits trouvent naissance sur une base factuelle et concluent par quelques mots sur la question du seuil de violence173. Ces définitions se ressemblent toutes et ne nous permettent pas, sauf à les interpréter également, de déterminer ce qui caractérise l’acte déclencheur d’un CAI. Ceci s’explique néanmoins bien souvent par le fait que cette interrogation définitionnelle n’est qu’une question préliminaire à régler pour ces écrits. A titre illustratif, il est compréhensible qu’un texte ayant pour but de s’interroger sur la protection accordée aux civils en temps de CAI ne consacre que quelques développements à la notion même de CAI.

Ensuite, les textes sur notre sujet utilisent souvent des termes génériques ne nous permettant pas de saisir les détails de la notion de CAI et/ou de son acte déclencheur. On nous explique ainsi la plupart du temps que le CAI est caractérisé par des hostilités, sans que nous sachions

172 Ces deux éléments s’influencent l’un l’autre. Il semble que ce soit du fait que la majorité des conflits sont aujourd’hui des CANI que la doctrine et la jurisprudence y accordent une place centrale. Nous avons ainsi des ouvrages qui consacrent des parties très importantes de leur contenu à déterminer les éléments définitionnels des CANI alors que de tels développements sont rares pour les CAI. Mentionnons néanmoins l’ouvrage d’Eric David qui bien que portant sur le DCA dédie une section importante à la notion de CAI. Voir David, Principes de droit des conflits armés, p. 115-130 et 148-210. Notons aussi cette phrase de Paul Berman qui, après avoir énoncé un nombre important de questions autour des notions de CAI et de CANI, conclut que “[i]ronically, and at the risk of being provocative, the answer – in theory at least [à ces questions] – may be easier for non-international armed conflicts (NIAC) [que pour les CAI]”. Berman. “When Does Violence Cross the Armed Conflict Threshold: Current Dilemmas”, p. 36. Sur la même page, Paul Berman énonce les nombreuses questions qui à ces yeux ne trouvent pas encore de réponse concernant les CAI, questions qui se recoupent en partie avec nos interrogations: “we need to demonstrate that there is, in factual terms, an armed conflict – but does that always mean demonstrating the use of violence? And if so, what level of violence? What kind of violence? And what are the criteria for demonstrating that the threshold level of violence has been reached?”.

173 Voir à titre d’exemple Vité, Typology of Armed Conflicts in International Humanitarian Law: Legal Concepts and Actual Situations, p. 70-73; Marouda, “Application of International Humanitarian Law in contemporary armed conflicts: is it ‘simply’ a question of facts?”, p. 204-207; Pejic, “Status of armed conflict”, p. 81-82; Salmon (éd.), Dictionnaire de droit international public, p. 233; Partsch, “Armed Conflict”, p. 249-252; Kolb, Ius in bello: le droit international des conflits armés: précis, p. 156-160; Royaume-Uni, Ministère de la défense, The joint service manual of the law of armed conflict, para. 3.2-3.3, disponible à l’adresse suivante:

http://www.mod.uk/NR/rdonlyres/82702E75-9A14-4EF5-B414- 49B0D7A27816/0/JSP3832004Edition.pdf (dernière consultation: 16 octobre 2014).

précisément de quoi il s’agit174. On nous mentionne aussi que ce sont des Etats qui doivent se livrer à ces actions sans détailler ce que l’on entend par Etats ni expliquer quels organes étatiques peuvent déclencher un tel conflit175. De nombreux textes nous parlent également d’un seuil de violence avant de conclure à l’existence d’un CAI mais très peu d’entre eux fournissent des détails sur où est supposé se situer ce seuil176. Aussi, les auteurs font parfois preuve d’une certaine négligence dans leurs essais définitionnels, se contredisant ou généralisant. Nous avons par exemple trouvé des écrits qui, concernant la nature de l’entité à même de déclencher un CAI, utilisent les notions d’« Etats » puis de « forces armées » sans que nous sachions si la référence aux forces armées est illustrative ou définitionnelle177. Notons néanmoins que ce sont ces imprécisions autour d’une notion si importante que celle de CAI qui nous ont poussée à choisir ce sujet de thèse.

Une autre difficulté sur laquelle nous aimerions revenir est l’absence générale d’explication de la méthodologie suivie par les écrits se penchant sur la catégorie de CAI. Comme nous l’avons relevé, nous souhaitons dans ce travail définir l’acte déclencheur d’un CAI en interprétant la notion de CAI de l’article 2 commun aux CG et au PA I au moyen de la méthode de la Convention de Vienne sur le droit des traités178. La majorité des textes sur le DCA ne nous énoncent pas leur angle d’approche, rendant ainsi l’évaluation de la définition proposée compliquée. Si nous tentons néanmoins de dénicher la méthode adoptée, nous voyons que la doctrine et la jurisprudence semblent souvent construire une définition sur la base du Commentaire à l’article 2 commun et de la définition adoptée par le TPIY dans l’affaire Tadic en y ajoutant des éléments historiques (pour la différentiation entre le concept de « guerre » et la notion de CAI et pour la définition factuelle) et un peu de pratique des Etats (pour l’exigence ou non d’un seuil de violence). En ce sens, l’approche adoptée couvre certains aspects d’une interprétation similaire à la nôtre. Nous avons également trouvé des textes qui énoncent de nombreuses définitions de CAI trouvées dans la jurisprudence et la doctrine avant d’en dégager quelques traits caractéristiques179. Notons aussi certains textes qui se sont principalement attachés à la pratique et l’opinio iuris des Etats puisque leur focus est posé sur une définition coutumière de la notion de CAI ou de conflit armé180. Ces derniers écrits ont en ce sens une ligne méthodologique qui ne correspond certes pas à la nôtre mais qui a le mérite d’être claire181.

174 Nous reviendrons sur l’utilisation du terme « hostilités » dans notre Question II. Voir infra, p. 198-199.

175 Voir par exemple dans notre Question IV infra, p. 307-308.

176 Voir dans notre Question III infra, p. 304-305.

177 Voir dans notre Question IV infra, p. 307-308 et 311.

178 Si cette méthode ressort parfois de manière indirecte d’auteures s’étant arrêtées sur la notion de CAI ou de conflit armé, très peu d’entre elles l’énonce clairement. Voir néanmoins Farer, Humanitarian Law and Armed Conflicts: Toward a Definition of “International Armed Conflict” (qui utilise précisément la méthode de la Convention de Vienne mais poursuit un objectif un peu différent du nôtre au niveau de l’objet de ses recherches).

179 Voir par exemple Pejic, “Status of armed conflict”, p. 81-82; Grob, The Relativity of War and Peace: A Study in Law, History and Politics, p. 173-175.

180 Voir par exemple International Law Association, Use of Force Committee, Final Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law, p. 5.

181 Mentionnons encore l’approche de Krisztina Huszti Orban qui est de trouver “a (more or less) common understanding of the components necessary for the existence of an international armed conflict”. Orban, The Concept of Armed Conflict in International Humanitarian Law, p. 77.

Une difficulté supplémentaire rencontrée réside dans des divergences de position que nous avons avec certaines auteures et qui empêchent les parallèles entre nos traitements respectifs de la notion de CAI. Nous venons de mentionner l’exemple d’écrits qui ne se fondent pas sur l’article 2 commun pour traiter du CAI, mais sur une notion coutumière182. Il sera compliqué de comparer nos différentes conclusions puisqu’elles ne reposent pas sur la même source du droit. De plus, nous soutenons une conception de la naissance d’une règle ou d’une notion coutumière qui semble éloignée de celle prônée par certains textes183. En effet, nous avons rencontré des écrits qui concluent très rapidement à un critère définitionnel coutumier de la notion de CAI sur la base de quelques cas de pratique d’Etats et sur le silence d’autres. Aussi, la pratique est souvent analysée sous un angle précis ne permettant pas de propositions alternatives. Nous reviendrons sur ce point dans notre Question III mais mentionnons ici à titre d’exemple les conclusions de l’ILA sur l’existence d’un seuil de violence pour tous les conflits armés. L’ILA arrive à ce résultat en se basant sur le fait que les Etats ne déclarent pas être dans un conflit armé lors d’incidents de peu de violence, en analysant d’une manière que nous trouvons un peu superficielle la pratique contraire et en ne se demandant pas si cette absence de reconnaissance de la création d’un CAI ne pourrait pas être due à un autre élément que le seuil, comme par exemple le fait que les cibles visées sont parfois des GA et non des Etats184. D’autres positions se distinguant de nos travaux et ne permettant que difficilement les parallèles sont celles qui cherchent à définir la notion de « conflit armé » de manière générique (et non celles de CAI et de CANI)185, ainsi que celles qui basent toute leur réflexion sur la volonté de faire reculer le plus possible l’application du DCA considéré comme moins protecteur que les règles en présence hors d’un conflit armé, notamment les DH186. Nous expliquerons dans notre travail en quoi nous rejetons ces deux postures187. Enfin, il est vrai

182 Nous aurons l’occasion d’expliquer plus bas les liens entre définitions coutumière et conventionnelle du CAI infra, p. 35-40.

183 Olivier Corten consacre une partie substantielle de son ouvrage Le droit contre la guerre à expliquer les approches extensives et restrictives du droit coutumier et les conséquences qui en découlent. Comme il ressort de son tableau récapitulatif (p. 10), l’approche extensive considère le droit coutumier comme une source privilégiée et policy oriented de DIP avec une place à la fois dans les sources formelles et matérielles du droit international.

Cette posture accorde un rôle particulier à la pratique (plutôt qu’à l’opinio iuris), laisse une place à la pratique d’autres entités que les Etats et tend à donner plus d’importance à la pratique des Etats les plus puissants. Cette posture favorise la reconnaissance d’une coutume instantanée ou à évolution rapide. De l’autre côté, l’approche restrictive voit dans le droit coutumier une source formelle égale à d’autres sources. Elle accorde une place prépondérante à l’opinio iuris et ne pense pas que certains Etats ont une pratique plus importante que d’autres.

Elle résulte en une coutume à évolution plus progressive et plus lente. Nous nous situons dans une approche restrictive du droit coutumier. Il nous semble que certains écrits de DCA s’étant penchés sur une définition coutumière du CAI sont des adeptes de l’approche extensive. Voir Corten, Le droit contre la guerre, p. 9-34.

Nous soutenons également la position de cet auteur sur d’autres éléments concernant le droit coutumier, notamment la place importante accordée à l’opinio iuris (il s’agit donc de différentier les revendications politiques et juridiques des Etats) et l’exigence d’une pratique adoptée ou acceptée par une très large majorité d’Etats. Voir Corten, Le droit contre la guerre, p. 35-59.

184 C’est une de nos réticences avec le texte de l’ILA. Nous y reviendrons longuement dans notre Question III infra, p. 290-294. Voir International Law Association, Use of Force Committee, Final Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law, 2010.

185 Voir par exemple International Law Association, Use of Force Committee, Final Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law.

186 Cette approche se retrouve de manière sous-jacente dans la plupart des écrits favorables à un seuil de violence pour les CAI. Nous y reviendrons dans notre Question III. Pour une auteure ayant poussé très loin cette posture, voir Balendra, Defining Armed Conflict.

187 Voir infra, p. 113-114 et 278-279.

que nous avons découpé notre analyse en quelques questions très précises qui ne correspondent pas nécessairement à celles utilisées dans d’autres écrits. Ainsi, à titre d’exemple, certains éléments qui selon nous devraient être traités sous le chapeau de la cible ou de la provenance de l’acte déclencheur d’un CAI se retrouvent pour certaines auteures dans une question de seuil de violence. Nous ne pouvons reprocher aux autres auteures de ne pas utiliser la même systématique que celle que nous employons, nous pouvons néanmoins constater les difficultés à mettre en parallèle nos réponses de ce fait.

2. Une définition coutumière versus une définition conventionnelle de la notion