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Une pratique de danse “ didactisée ”

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 151-155)

Conclusion du chapitre

CHAPITRE 3 : DANSE A L’ECOLE

II. Une pratique de danse “ didactisée ”

Qu’est-ce que la “ danse ” ? Les didacticiens de la danse à l’école n’apportent pas vraiment de réponse à cette question ; en revanche, leurs projets s’orientent tous vers un même objectif : apporter des éléments pratiques permettant aux enseignants de mettre en œuvre des situations pédagogiques en danse.

Il est vrai que la danse n’est pas un objet en soi, uniforme. Elle prend des significations sociales-historiques et des orientations esthétiques totalement différentes selon les lieux de la pratique et selon les pratiquants. Objet variable par excellence, notre souci ici n’est pas définir en quelque ligne ce qu’est la danse, mais bien d’éviter le sens commun consistant à faire “ comme si ” observer les modes d’apprentissage de la

1

M. Romain, La danse…, op. cit.

2

B.O. du 5 août 1999, Arts : domaine danse…, op. cit., p. 8.

3

V. Milliot, « Culture, cultures et redéfinition de l’espace commun : approche anthropologique des déclinaisons contemporaines de l’action culturelle », article cité.

danse pouvait être pensé toute chose égale par ailleurs. La pratique de danse festive de “ caractère ” exercée lors d’une fête de village, la pratique d’une danse rituelle, la pratique du bal, la danse contemporaine dans un conservatoire, la danse à l’école, la pratique du hip hop en autodidacte ou au contraire dans un cours de MJC, l’atelier danse d’improvisation, le montage d’un spectacle de danse, etc., sont autant de pratiques différentes qui impliquent des conditions et des modalités d’apprentissage dissemblables.

De fait, nous estimons que les pratiques de danse dont il est question dans le cadre scolaire relèvent du modèle socio-historique de la “ danse chorégraphiée ”, autrement dit de la “ danse représentative ”, visant la représentation et l’expression du corps et comportant une fonction de symbolisation dans laquelle, comme le notre Thierry Tribalat, l’artiste est à la fois objet et sujet de l’activité.1 La danse chorégraphiée est donc une pratique artistique visant à maîtriser une technique du corps en vue, logiquement, de l’inscrire dans une démarche de création et de production d’une œuvre ou d’un court “ ouvrage ” présenté à un public.

Cette pratique ne peut être séparée de l’histoire du champ chorégraphique occidental qui trouve ses marques à la Renaissance grâce à la formation d’un corps de professionnels (les maîtres de danse) qui se sont mis pour certains à écrire sur leur art pour en définir le sens esthétique ou pour le transmettre, pour d’autres à tenter de transcrire le corps dansant et mis en scène en inventant des systèmes de codification.2

Ainsi, les traités de danse qui s’énoncent à la Renaissance jusqu’aux XVIIème et XVIIIème siècles dessinent les premiers éléments de structuration d’un “ art de la danse ”, qui n’est plus une danse distractive et festive (ou pas uniquement), mais une danse de représentation sur une scène. Les procédures pratiques et les procédures d’écriture de cette forme de danse alors naissante n’imposent pas uniquement un ordre éphémère des pratiques (une chorégraphie) ; elles participent à instituer de nouveaux rapports au corps, à l’espace, au mouvement qui s’inscrivent dans les savoirs et les savoir-faire mis en œuvre dans la danse chorégraphiée, et qui impliquent en même temps des appropriations et des modalités d’incorporation particulières. De fait, la nature de ces savoirs et savoir-faire délimite le champ des possibles des appropriations individuelles.

La danse à l’école qui est aujourd’hui pensée par les didacticiens résulte, en définitive, de ce large processus socio-historique. La “ danse didactisée ”3 — dispensée dans le cadre scolaire — repose sur des savoirs spécifiques du corps dansant, ce que les didacticiens désignent aussi par “ fondamentaux ” de la motricité et de la composition

1

T. Tribalat, La danse et la leçon – E.P.S. et la mise en activité physique artistique, cours de préparation à l’agrégation E.P.S., CNED, texte fourni par l’auteur, sans date.

2

S. Faure, Corps, savoir et pouvoir…, op. cit., Cf. la première partie de l’ouvrage.

3

scénique, auxquels s’ajoutent des considérations psychologiques. Toutefois, elle n’impose pas un style de danse, ni des savoirs prédéfinis. Elle est censée être orientée par les “ savoirs ” des danseurs, et mettre en jeu des sensations, l’imaginaire des pratiquants, leurs émotions, en retravaillant leurs stéréotypes concernant ce qu’est la danse. De là, elle reconstitue des formes gestuelles en intégrant des savoirs “ fondamentaux ” sur le mouvement dansé. En cela elle se distingue totalement de l’expression corporelle1 (et ne doit pas être associée à elle, malgré éventuellement des ressemblances de certaines situations d’apprentissage, qui peuvent paraître fondamentales à des non initiés de ces deux activités) qui repose sur une expression individuelle dans des formes gestuelles et artistiques précises et historiquement fondées.

La didactique de la danse à l’école engage des situations pédagogiques particulières qui interrogent les démarches pédagogiques ordinaires de l’école. Cette pratique (ou encore la danse “ fondamentale ” comme l’évoque Nicole Guerber-Walsh2) est globalement appréhendée à partir d’une connaissance sensible et réfléchie des paramètres “ fondamentaux ” du mouvement dansé portant sur les sensations, les perceptions, le rapport à l’espace, au temps, les interactions, les qualités du mouvement, etc. Elle est orientée dans une démarche de création — qui aboutit souvent (mais pas nécessairement) à une composition, répondant alors aux exigences de l’écriture chorégraphique. Cependant, la chorégraphie dans le cadre scolaire n’est pas de même nature que ce qui s’apprend dans les écoles de danse ou les conservatoires. Elle a ses propres règles, ses propres principes, en fonction de “ modèles ” de corps qui ne représentent pas l’ensemble des possibles de la création contemporaine, mais s’appuient sur des variantes du modèle de corps d’une danse expressionniste (américaine et allemande)3 initiée dans la première moitié du XXème siècle (modèle qui repose sur l’idée d’une danse qui exprime l’individu, des émotions). De là, la danse est parfois comparée à un langage ou à de la poésie ; à une éducation complète (du corps et de l’intellect) et qui favorise ainsi le développement personnel ; à un mode d’expression d’une “ intériorité ” qui est, enfin, une exploration de différents états de corps.

« À travers ce premier support (le modèle] sont inculqués les principes de gestes qui semblent essentiels. Puis les différents niveaux de construction gestuelle sont abordés au cours des répétitions et transformations. L’enseignant insiste sur certains paramètres comme le temps […], le poids […], le corps considéré dans sa globalité, en parties isolées ou interconnectées. L’espace se traite sous diverses facettes […] Il convient aussi de préciser la qualité du mouvement (intensité) qui peut être doux, coulé, continu ou bien figé, cassé, haché, percussif, ou encore guidé, soutenu d’une façon homogène, etc. des contacts s’établissent entre les

1

Cf. Cl. Pujade-Renaud, Expression corporelle. Le langage du silence, Paris, E.S.F., 1977.

2

N. Guerber-Walsh, « Apprentissage fondamental à l’école », revue E.P.S., n° 254, 1995, p. 56-60.

3

En raison des liens entre les précurseurs de la danse expressionniste et les professeurs d’E.P.S. dans les années cinquante et soixante, d’abord à partir de la danse rythmique, puis à travers de stages de danse contemporaine avec des artistes.

danseurs qui évoluent sur scène ou dans la salle de cours en groupe […] Enfin il est question de composition scénique par la prise en compte de l’environnement, des

interactions multiples entre les personnes […], avec les objets, avec les

installations ».1

« En proposant aux enfants de danser à l’école, nous favorisons leur épanouissement, nous les aidons à grandir. Les compétences transversales telles que l’écoute, le regard, l’autonomie, l’engagement dans les activités proposées, la sociabilité, sont largement valorisées ».2

« Ainsi, la danse intégrée dans un processus d'éducation visant le développement optimum de l'individu (être multidimensionnel) dans des perspectives d'autonomie, de flexibilité et de créativité, pose une problématique particulière [...] Il s'agit de créer cet espace ouvert où l'être s'exprime comme il veut et le ressent. Il s'agit d'un travail de recherche esthétique sur le mouvement qui se présente comme l'expression de l'intériorité du sujet, de ses sensations et émotions ».3

La particularité des didactiques actuelles est de cibler un public scolaire (le public des écoles maternelles et/ou primaires et le public du secondaire) perçu comme une entité homogène, les différences entre élèves étant surtout des différences d’âge (et donc de cycle scolaire). Guère de didacticiens ne considèrent la formation en fonction de variables sociologiques tel que le sexe (celui des élèves et des enseignants) et encore moins (ou de façon implicite) les origines sociales des élèves.

Au-delà d’une didactisation d’un “ art du mouvement ” ancré dans une démarche de création, la danse à l’école se décline aujourd’hui en programmes répondant à des objectifs et visant l’acquisition de compétences par cycles. Ces analyses des situations pédagogiques conduisent logiquement les enseignants à élaborer des stratégies d’évaluation que l’on ne trouve pas sous la même forme dans les écoles de danse. Enfin, la danse à l’école s’insère dans un projet d’éducation scolaire qui obéit aux principes idéologiques que nous avons déjà évoqués : ceux de la citoyenneté, de l’autonomie des élèves, du respect des autres, de la confiance en soi, de l’épanouissement pu du développement personnel, d’ouverture culturelle.

1

N. Guerber-Walsh, « Apprentissage… », article cité, p. 58.

2

I. Bellicha, N. Imberty, La Danse à l’école maternelle, Paris, Nathan, col. Pédagogie, 1998, p. 26

3

D. Commeignes, Des discours et des hommes ou l’imaginaire libéré. Pratique et rapport à la pratique

en danse contemporaine à l’école maternelle et élémentaire, thèse de doctorat, université des sciences et

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