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Louise lui répond : « Moi, j'ai galéré 10 piges sans toucher une tune, mais je vivais pour la passion de ça Tu vois ? Donc aujourd'hui, si je peux gagner ma vie

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 136-138)

à 35 ans, je suis content. Tu vois ? Ça fait 4-5 ans, ça fait 4 ans que je paie des impôts. Voilà, ça veut tout dire. Ça veut dire qu'avant... ben voilà. RMI, galère, tout ça, tous les petits boulots et. Donc si aujourd'hui avec un spectacle comme j'ai monté, Drop It, j'arrive à gagner ma vie, et que c'est reconnu par un public on va dire “ hip hop ”, ben je suis heureux. Tu vois ? Et j'inverse pas les choses, je fais pas ça pour gagner de l'argent, d'abord je fais ça par passion. Et je suis en train de mettre en place un cheminement qui permet de gagner de l'argent mais ce n’est pas l'inverse. Tu vois ? ».

Stéphane Valier : « Vous êtes en train de retourner dans un autre moule en fait, sans le vouloir. Vous étiez là, on vous a foutu dans un ghetto, le hip hop est arrivé c'était un moyen d'en sortir, de s'ouvrir sur le monde et puis bah, on lui donne des règles ben on le fout dans un autre ghetto ! […] Giacomo Spica : / On ne perd pas son identité, on ne perd absolument pas son identité de départ. On a choisi la culture hip hop, parce qu'on travaille avec d'autres gens, on reste quand même intègres, on est ce qu'on est quoi. On ne va pas se transformer. Mais ce qui est intéressant c'est vraiment, on parle de mixité aujourd'hui, j'crois que, on est en plein dedans ».

Les propos des professionnels rejoignent ceux des discours institutionnels sur les risques de l’ “ enfermement ” culturel, comme nous le trouvions dans ces extraits d’un texte d’une direction régionale des affaires culturelles concernant le schéma d’action régional des années 1996-97-98, qui indiquait que la “danse urbaine” s’est « codifiée dans nos périphéries urbaines » et qu’on « assiste actuellement à un enfermement dans un langage qui a ses limites propres — et qui peut devenir dangereux si l’on se réfère à certaines expériences nord-américaines — , soit à une ouverture vers d’autres formes de danse ou d’expression artistique ».1

Le débat s’oriente sur le travail du corps, Stéphane Valier, qui a expérimenté différents types d’entraînement du danseur, rappelle la nécessité de se remettre en question, d’être rigoureux dans le travail et cela en se servant de différentes techniques d’échauffement. Un jeune danseur de la MJC est de son avis et critique l’entraînement des hip hoppeurs, trop « gymnique » : « c'est... “ j'écarte les jambes, je m'étire à droite, à gauche, aller c'est bon là, j'y vais ”. Mais c'est pas ça. Ça tu vas être chaud pendant 5 ans, 6 ans, 7 ans ».

Franck II Louise va dans son sens précisant qu’à la huitième année, les genoux vont « péter », etc., tandis que d’autres styles de danse, comme le contemporain, travaillent d’autres aspects importants du corps, comme les lignes, le placement, et surtout « apprendre à faire une barre d’échauffement ». De fait, l’entraînement peut venir d’autres méthodes, sans pour cela, estime-t-il, faire du « classique ». Les jeunes amateurs ne se sentent pas concernés par ce sujet et en reviennent à la question de l’argent, selon laquelle, pour ceux qui prennent la parole en tout cas, est le problème crucial qui conduirait les professionnels à se perdre, à « tourner sur la tête dans un cirque », et surtout « faire des trucs avec des danseuses étoile ».

En fait, la crainte de nombreux jeunes danseurs relève du rapport à la “ danse ” qu’ils ont intériorisé et qui associe danse à l’image de la danseuse classique et donc à un rapport au corps très éloigné du leur. À cela s’adjoint l’imposition d’une valeur, celle de la passion (partagée par les professionnels témoins du débat) en tant que seule raison légitime du parcours dans la danse, opposée à une quelconque utilité de la danse (notamment financière). Aussi, l’accord tacite entre les générations présentes dans le débat porte-t-il sur un “ amour de l’art (du hip hop) ” même si cette valeur se rattache à des modalités de pratique et/ou de création différentes selon les espaces sociaux de la danse hip hop qu’ils légitiment (contre les autres espaces possibles).

Tout ce débat, qui visait au départ la transmission aux jeunes amateurs de valeurs et de conseils pour transformer leur pratique de manière plus professionnelle, s’organise en fait autour du problème de savoir qu’est-ce qui fait la valeur des œuvres et celle de l’artiste de hip hop ? Nous constatons qu’il n’y a pas de définition partagée, mais que ces problèmes trouvent des arguments différents selon les conditions sociales

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de l’exercice de la pratique (professionnelle ou amateur) et le champ social et professionnel où chacun agit ou bien estime possible de se faire reconnaître — grosso modo : le champ chorégraphique ou bien un champ artistique à orientation sportive (battles) ou empruntant des principes d’action et de pensée au champ sportif.

Jeune danseur hip hoppeur : « Moi ce que je voulais dire, faut pas aller se perdre par rapport à l'argent, stop. Moi j'ai dit, les danseuses étoiles et tout, moi je peux

aller danser avec elles ! Le problème c'est quoi ? C'est aller se perdre par rapport à l'argent. […] Je vais être franc, est-ce que dans vos spectacles, vous mettez pas des

danseuses en tutu, juste pour l'argent ? Franck II Louise : « Attends, attends, redis, redis, redis, j'ai pas compris. » Le jeune danseur : « Est-ce que vous faites, vous mettez des danseuses, juste pour l'argent ? » Franck II Louise : « Mais où tu as vu des danseuses de ballet ? Ah ! Est-ce que je suis prêt à le faire ? D'accord. Non, non, non ! En tout cas, en ce qui me concerne, j'peux parler que de moi, je vis des choses par passion, et je suis toujours animé par la même passion, d'accord ? Voilà. Après mon parcours ben j'ai fait comme ça, tac, mais je sais qu’aujourd'hui ça me permet de resserrer mon chemin et de faire toujours les choses par passion ! Et si je fais les choses par passion, ce ne sera pas pour de la tune, ce sera d'abord pour le kif. Tu sais quand on a monté Drop It, là, je peux te dire, tu peux leur demander, on a travaillé dans des conditions difficiles, même si c'est, on a été produit par La Villette et tout ça. N'empêche qu'on a travaillé dans des conditions difficiles, on était mal payé, dans une salle de gymnase euh, et donc ça veut dire qu’on a fait le truc par passion ! Et on ne savait pas si on allait cartonner, si le spectacle il allait cartonner, on ne savait pas ! On a fait un truc, on voulait le faire, on a inventé des costumes, des machins, des trucs, on a fait par passion. Voilà, c'est tout ».

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 136-138)

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