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Des stratégies de séduction à l’égard de l’école

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 161-164)

Conclusion du chapitre

CHAPITRE 3 : DANSE A L’ECOLE

V. Paradoxes de l’action culturelle en milieu scolaire, tensions des politiques éducatives : ouvertures et enfermements

1. Des stratégies de séduction à l’égard de l’école

De manière récurrente les discours des acteurs mobilisés autour de projets visant à introduire la danse hip hop à l’école portent sur la question de la “ culture des élèves ”. Fondamentalement, c’est parce que le hip hop est pensé comme proche des pratiques et des expériences des élèves et particulièrement de ceux scolarisés dans des établissements classés en ZEP et/ou en REP que les actions en faveur de son introduction à l’école peuvent être justifiées. Néanmoins, ce consensus reste souvent implicite, notamment au niveau des concepteurs des projets. En effet, danseurs professionnels et associations revendiquent la reconnaissance artistique des “ arts urbains ” par opposition aux discours légitimistes ou misérabilistes à propos des cultures populaires. Les acteurs institutionnels doivent être attentifs à l’image du hip hop véhiculée par les dispositifs mis en œuvre. En effet, les partenariats avec des acteurs travaillant dans des logiques de promotion et de légitimation des “ danses urbaines ” via des institutions éducatives demandent aux responsables rectoraux de porter une attention particulière aux possibilités de stigmatisation des pratiques par leur introduction exclusive dans des établissements identifiés comme “ populaires ”. Dans le projet initié par ISM, les responsables académiques ont ainsi volontairement sollicité des établissements “ hors classement ” sans pour autant avoir pu susciter leur intérêt.

Extrait d’entretien

Professeur-Relais-Danse, coordinatrice pédagogique du projet “ Cultures urbaines ” dans le Rhône : “ [La personne responsable du

projet au rectorat] m’a demandé de trouver cinq établissements, au départ

c’était trois puis il a dit “ bon tu peux aller jusqu’à cinq ”. Cinq établissements mais divers (silence) et diversifiés pour que ce soit des tous des établissements de ZEP ou tous dans des Zones Sensibles ”.

Un travail d’information et de promotion du hip hop en milieu scolaire est mené depuis 1999 par les services de la MAAC du Rhône en partenariat avec ISM. Il s’est traduit par l’organisation de deux manifestations sous l’intitulé Cultures urbaines et

milieu scolaire.

En 1999, le rectorat et ISM ont organisé une journée d’information à propos des “cultures urbaines” réunissant des artistes, des enseignants témoignant de leur expérience de collaboration dans le domaine et des chercheurs a été organisée.

En 2002, un spectacle de danse, des interprétations de slam1 et une démonstration de capoeira ont été suivis d’une discussion autour des possibilités pour les enseignants de faire intervenir des artistes hip hop dans leur établissement. L’expérience menée dans le collège Victor Hugo a été présentée comme un exemple de collaboration positive entre enseignants et artistes.

Les responsables académiques de l’organisation de ces journées nous ont fait part à plusieurs reprises de leur difficultés à amener les enseignants à vouloir insérer des pratiques issues “cultures urbaines” dans leurs classes. Ils ont mis en œuvre des moyens financiers importants, notamment pour la manifestation de 2002 qui a demandé un budget conséquent pour rétribuer les artistes et louer une salle de spectacle, Les

Subsistances, à Lyon. Tous les établissements de l’Académie du Rhône ont reçu une

invitation ouverte aux enseignants pour ces journées. En 2002, quatre-vingt personnes ont répondu à l’appel.2 Une part importante d’entre elles était constituée d’enseignantes d’E.P.S. ayant pris part à une collaboration avec un(e) danseur(se) hip hop. La plaquette de présentation de la manifestation mettait en avant le fait que « les formes d’expression

réunies sous le vocable “ Cultures urbaines ” constituent les pratiques émergentes fortement portées par toute une jeunesse, mais présentes marginalement dans le milieu scolaire ».

Le principal argument utilisé par les responsables institutionnels (DRAC, rectorat) pour susciter l’intérêt des enseignants pour les “ cultures urbaines ” est qu’elles correspondent aux goûts et aux pratiques d’une partie des jeunes. Il est alors suggéré

1

Slam vient de l’anglais “faire claquer les mots”. Il s’agit de préparer ou d’improviser des textes de manière rythmique et poétique. Cette pratique se différencie du rap essentiellement par l’absence du support musical.

2

qu’elles doivent entrer à l’école. Le discours du délégué académique à l’action culturelle tenu en 2002, à propos de la “ sensibilisation aux formes artistiques émergentes ” à l’école, s’appuie plus largement sur les politiques d’ouverture de l’école à l’œuvre depuis les années 1980. Pour expliquer l’acharnement des services académiques pour soutenir les stratégies de pénétration des “ cultures urbaines ” dans le domaine scolaire face à l’indifférence (parfois à la résistance) des enseignants, il faut se tourner vers les transformations récentes des politiques scolaires. En effet, dans la logique des localisations des politiques publiques, dans celle de l’autonomisation et de la responsabilisation des individus, l’école s’est vue contrainte, par des politiques éducatives, de s’ouvrir au local, aux classes populaires et de diversifier ses objectifs. Le travail politique des responsables académiques envers les enseignants s’inscrit dans la tension entre le souci d’universel et la gestion de l’hétérogénéité des élèves dans laquelle est prise l’école.

« Il y a là une grande fracture, car l’école républicaine s’est construite contre le “ local ” ; contre l’influence des notables, du particularisme, dans la lignée de Jean-Jacques Rousseau, qui dit que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers mais ce qui est commun à l’ensemble des intérêts particuliers ».1

L’histoire de l’action culturelle en milieu scolaire montre combien elle est cœur de la “ fracture ” dont parle Bernard Charlot. Amorcée en 1977 par la création au sein du Ministère de l’Education nationale d’une Mission d’Action Culturelle, l’action culturelle en milieu scolaire a été renforcée en 1981. Son histoire est liée à l’émergence des “ pédagogies nouvelles ” centrées sur le développement de l’autonomie des élèves1 et aux politiques de “ discrimination positive ” à l’école. D’ailleurs, l’action culturelle disparut du Ministère de l’Education Nationale avec Jean-Pierre Chevènement qui orienta sa politique dans le sens de la construction d’une “ citoyenneté ” (1984).

En 1988, des négociations entre le Ministère de l’Education Nationale et le Ministère de la Culture ont officialisé les ateliers artistiques en milieu scolaire. Enfin, le Plan de 2000 proposé par Jack Lang, comme nous l’avons évoqué in supra, renforce la présence des arts et de la culture à l’école par leur intégration dans des temps scolaires tout en favorisant les partenariats locaux. La tension entre l’universalité et la localité se conjugue avec les oppositions entre les logiques disciplinaires et celles de l’action culturelle. Le délégué académique à l’action culturelle dans le Rhône a ainsi souligné au cours d’un entretien une des contradictions majeures entre sa mission et les logiques portées par les Inspecteurs Académiques Régionaux (IPR). Les oppositions sont

1

B. Charlot, « Pour le savoir, contre la stratégie », F. Dubet (sous la dir.), Ecole et famille, le malentendu, Textuel, 1997, p. 69.

renforcées, selon lui par le fait que les IPR détiennent un pouvoir institutionnel auprès des enseignants que la Délégation Académique à l’Action Culturelle (DAC) n’a pas. L’analyse des tensions et contradictions de l’introduction de pratiques artistiques qui ne sont pas intégrées dans les enseignements artistiques au sein du système éducatif peut être finement réalisée en observant les logiques à l’œuvre dans l’introduction du hip hop en milieu scolaire.

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 161-164)

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