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Danse à l’école : pour qui ? pourquoi ?

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 145-151)

Conclusion du chapitre

CHAPITRE 3 : DANSE A L’ECOLE

I. Genèse de “ danse à l’école ” : quelques traits pertinents

2. Danse à l’école : pour qui ? pourquoi ?

Le Bulletin Officiel du 9 mars 1995 définissant les cadres généraux de l’introduction de la danse à l’école Maternelle et à l’école Élémentaire indique que, dans le premier cas, la danse s’insère dans un programme pédagogique global permettant à l’enfant de “ développer sa sensibilité et sa créativité ” et de “ s’exprimer plus intensément par le mouvement ”.3 Dans le second cas, il s’agit pour l’élève d’intégrer des connaissances et des méthodes de travail personnel ; le mot clé est “ autonomie ” : l’enseignement doit l’amener à acquérir les éléments d’une autonomie personnelle.

1

J.-F. Chosson, « Les politiques publiques et la question du développement culturel », Toutes les

pratiques culturelles se valent-elles ? Hermès, CNRS éditions, 1997, p. 59-65.

2

J. Caune, « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social », Toutes les pratiques culturelles se

valent-elles ? Hermès, CNRS éditions, 1997, p. 169-175.

3

La danse y contribue par sa méthodologie consistant à explorer les différentes composantes du mouvement, à donner un sens esthétique aux gestes et à participer à un projet collectif. L’enfant apprend enfin à prélever « dans les œuvres qui lui sont présentées, des éléments susceptibles de l’aider dans son jugement ».1

Dans un autre bulletin officiel de la même année, portant sur la danse à l’école, Marcelle Bonjour (conseillère pédagogique en éducation physique et en danse dans le département de L’Eure-et-Loire et consultante pour “ danse à l’école ” au ministère de l’Éducation nationale) précise que la danse à l’école est un langage et un mode d’expression et d’interprétation de la réalité qui met en jeu le corps et qui doit être pensé dans sa transversalité avec les autres arts. La danse à l’école, pour elle, permet également d’orienter le “ trop plein d’énergie ” des élèves en la canalisant dans une démarche de création et dans une politique du projet. Enfin, si elle favorise l’autonomie de chacun et la constitution de l’identité, la danse à l’école est également un mode de connaissance du patrimoine culturel et des œuvres contemporaines propice à “ l’enracinement culturel ”.2

Concernant l’enseignement secondaire, les programmes officiels de 1999 précisent que l’enseignement de la danse à l’école est au croisement entre le champ artistique et celui de l’éducation physique et sportive. Il s’agit de connaître le langage chorégraphique en pratiquant et en allant voir des spectacles. L’enseignement inscrit l’élève dans “ un projet d’avenir ” en apprenant à mener à bien un projet chorégraphique collectif.3

Depuis 1995 la danse à l’école est ancrée, apparemment solidement, dans les programmes officiels. Son introduction dans l’univers scolaire n’a pourtant pas été de soi et a dû faire l’objet de combats militants de la part des enseignants d’éducation physique et sportive (généralement des enseignantes). Ce militantisme, moins nécessaire aujourd’hui, est toutefois encore mobilisé dans de nombreux discours actuels. Dans la période 1970-85, l’activité danse est associée aux activités physiques d’expression. Marcelle Bonjour comme Françoise Dupuy mettent en garde contre l’aspect ludique et distractive de la danse à l’école. Marcelle Bonjour souhaite que la danse soit associée à une “ culture artistique corporelle ” et soit considérée comme un moyen d’accéder à la culture contemporaine et au patrimoine culturel. Dans un même temps, elle valorise la “ pédagogie de l’acte créateur ” consistant à libérer pour autoriser puis à restreindre (par des consignes) pour réaliser.4 Sur le plan des acquisitions, Marcelle Bonjour insiste sur la revalorisation des sensations dans l’apprentissage en

1

Ibidem, p. 30.

2

B.O. du 8 juin 1995, Education artistique. La danse à l’école, n° 23.

3

B.O. du 5 août 1999, Arts : domaine danse. Enseignement de détermination et option facultative. Nouvel

enseignement, n° hors série.

4

M. Bonjour, « La danse en milieu scolaire », Actes du colloque : Quel enseignement pour la danse ?, ADDNZZ et le Conseil général, Saint-Brieux, 5-6 mars 1992.

associant forme et sensations éprouvées, proposition qui va donc à l’encontre des pédagogies formelles et académiques de la danse.

Il s’agit également de convaincre du bien-fondé de la pratique de danse sur le “ développement ” de l’enfant. La phase de persuasion des discours militants de l’époque tend alors à “ naturaliser ” la danse, quitte à engendrer une contradiction entre la danse comme “ besoin ” naturel de l’humain et la danse comme pratique artistique et culturelle transmise à l’école.

« L’enfant d’aujourd’hui, coupé de ses racines et de ses fonctions primordiales, a le droit, pour ses besoins d’énergie vitale, que lui soit restitué, d’une façon ou d’une autre, ce qui va permettre un accomplissement de la beauté et j’irai plus loin en pensant qu’un enfant qui n’aime pas danser, c’est un peu comme un enfant qui n’aime pas jouer… […] cette recherche de l’extase — ce besoin d’osmose avec les rythmes du monde, est un besoin que nous éliminons trop souvent de notre vie, mais qui reste là, présent, enfoui, à l’état latent ».1

En 1985 on assiste à l’institutionnalisation des activités physiques d’expression pour les collèges et lycées. Cela correspond également à une période de didactisation de la danse et des activités physiques d’expression basée sur l’émotion et la symbolisation du geste.2 Les années quatre-vingt-dix font entrer la danse à l’école dans une période de reconnaissance, encore fragile mais s’affirmant de plus en plus. À partir de 1996, participant dorénavant des APA (activités physiques et artistiques qui comprennent la danse contemporaine, la danse théâtrale, la post modern dance, le Butoh ainsi que les danses dites sociales : danses de rue, danse jazz, et les danses traditionnelles, ainsi que les pratiques de cirque, le mime, les activités théâtrales) la danse doit répondre aux finalités éducatives de l’école et aux principes généraux de l’E.P.S. et de “ développement de la personne ”.3 En effet, il s’agit de développer les “ capacités nécessaires aux conduites motrices ” et “ l’accès aux connaissances relatives à l’organisation et à l’entretien de la vie physique ” en vue, d’après Michelle Coltice, de contribuer au développement de la santé, de l’autonomie et de la responsabilisation des élèves.4 Dans un contexte dominé par la médiatisation des “ violences scolaires ” et par un discours quasi unanime sur la citoyenneté, la danse dans le cadre de l’E.P.S. à l’école n’échappe pas au sens commun qui veut que l’éducation physique et sportive contribue à former les citoyens en développant des notions de valorisation de soi, de

1

F. Dupuy, « Pourquoi la danse à l’école ? », Intervention au colloque : La danse et l’enfant, UNESCO- FFDACEC, 25 octobre 1986, p. 1.

2

G. Mons, « “ L’expression corporelle ”, discipline scolaire paradoxale », Staps, n° 29, octobre 1992, p. 67-73.

3

M. Cadopi, « L’enseignement de la danse en éducation physique et sportive : quelle(s) parole(s) sur le corps ? » article cité.

4

M. Coltice, La Danse au collège : le modèle de “ pratiquant culturé ”, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université Lumière Lyon 2, 2000.

maîtrise de soi et de la communication avec les autres, d’expression, auxquelles se rajoutent pour la danse les notions de démarche artistique et créatrice, de prise de décision dans l’action motrice, et de développement des perceptions sensorielles, d’émotion.

Parce que la danse en tant que pratique artistique relève aussi des politiques d’action culturelle à l’école (peut-être dans une volonté plus ou moins consciente de démarquer la danse de l’éducation physique et sportive en la rapprochant du pôle artistique), les discours sur la danse à l’école des années quatre-vingt-dix se sont fréquemment rapprochés de ceux émanant des acteurs de l’action culturelle. La culture (et l’art y participe) est interprétée en tant que “ clé ” pour comprendre le monde, mieux y vivre et s’y épanouir. Dispensée à l’école, la culture ou l’art aiderait à former des “ adultes responsables ”, des “ citoyens ”, en apprenant aux élèves à maîtriser les moyens d’expression et de communication et à se “ responsabiliser ”.1 Le sens (non univoque, comme nous le verrons) de ces actions relèvent de la “ démocratisation culturelle ” qui vise l’égalité des chances pour tous et l’intégration scolaire pour les élèves défavorisés.

« Qu’est-ce que l’intégration ? Ce n’est pas un fait, un constat, ce n’est pas une captation, une mise au pas, un garde à vous, un alignement culturel,

l’intégration est une démarche intentionnelle. L’on s’intègre, on n’est pas intégré,

capté par une communauté qui s’évalue hiérarchiquement, culturellement supérieure, mais au contraire c’est parce que j’ai une démarche intentionnelle de proposition et d’échange de mes propres normes et de mes propres valeurs, dans l’appropriation des codes culturels des autres et des symboles communs, que je peux m’intégrer. Je reviens sur cette idée, car, pour moi, l’art est facteur

d’interculturalité et d’intégration ».2.

« [La danse à l’école] est chemin d’éducation […] dont l’enjeu principal va être d’aider l’enfant à situer, épanouir, affirmer sa singularité et tenter de construire son identité à travers l’expressivité corporelle. Ainsi, la danse peut-elle être facteur de réconciliation avec soi-même et participer à ce titre à la réussite et à l’intégration de tous les élèves à l’école ».3

Le discours institutionnel sur la démocratie et l’intégration par la culture prend deux voies : la première a pour objectif de dispenser la “ Culture ” à tous les individus ; l’autre prône la pluralité culturelle.

1

C. Montférier, La Culture au secours de l’école. Pour une pédagogie renouvelée, Paris, L’Harmattan, 1999.

2

M. Bonjour, « Danse à l’école. Relation sensible et intelligente aux artistes, aux œuvres, élan et histoire », texte dactylographié de conférence, Canne, 24 mars 1995, p. 2.

3

Dans une interview, Claude Rouot précise que : « (pour elle) comme pour d’autres agents du ministère (de la Culture), le dépassement des incantations sur la démocratisation culturelle implique de s’ouvrir à la question du sens, à l’acceptation anthropologique du mot culture. Si on reste sur le patrimoine et la culture générale stricto sensu, on manque les appels et apports d’une société plurielle qui ne fera Cité que prise dans son ensemble. C’est ici que la recherche socio-anthropologique a sa place, pour avancer l’idée de penser en termes de civilisation ».1

Ces deux pôles ne sont pas propres à quelques auteurs défendant la danse, la culture ou l’art à l’école ; nous les retrouvons dans des discours officiels des institutions culturelles, et dans ceux de l’Education nationale. La loi d’orientation sur l’éducation (10 juillet 1989) se fonde ainsi sur l’objectif d’un enseignement de savoirs fondamentaux, de la participation à la réussite de tous, de l’encouragement de l’acquisition de méthodes (apprendre à apprendre), du développement de l’interdisciplinarité et de l’aide à la construction du projet de l’élève (autonomie) en vue de “ préparer le citoyen de demain ”.2

Dans le cadre des politiques culturelles, Virginie Milliot estime que le but est de reconnaître positivement une jeunesse fortement stigmatisée par la médiatisation des “ violences urbaines ”. Il s’agirait de « valoriser les formes culturelles issues de ces espaces de diversité, afin de construire des référents positifs et d’accroître le sentiment d’appartenance de ces populations ».3 Au niveau de l’école, Raymond Cittério précise que l’action culturelle s’est développée pour aider l’école à prendre en compte un public de plus en plus hétérogène, à réagir devant les difficultés sociales et celles liées à l’urbanisation (il cite la perte des racines, les difficultés d’insertion professionnelles, les cultures importées). De fait, l’action culturelle a émergé dans l’école pour trois raisons :

1°) des raisons sociales (dévalorisation des modes de vie des populations diversifiées, de leurs valeurs souvent méprisées, ignorance des cultures des jeunes et celles des familles d’origine immigrée) ;

2°) des raisons éducatives (pour aider l’école à varier ses pédagogies notamment en ne laissant plus de côté l’artistique et la technique) ;

3°) des raisons pédagogiques (pour privilégier la voie expérimentale dans l’acquisition des savoirs et pour aider à l’autonomie des élèves dans une classe où chacun peut être valorisé).4

1

« Croiser les politiques urbaines et artistiques », entretien avec Claude Rouot, chargée de mission au Ministère de la Culture et animatrice du programme de recherche “ culture, ville et dynamiques sociales ”, article cité, p. 61.

2

T. Perez, A. Thomas, E.P.S. Danse. Danser en milieu scolaire, CRDP des pays de la Loire, Nantes, 1994.

3

V. Milliot, « Vers une “ intégration pluraliste ” » article cité, p. 9.

4

Un des outils privilégiés de la “ démocratisation culturelle ” est donc l’art contemporain entendu comme un “ langage libérateur ” ou permettant de “ communiquer ” tout en participant à la lutte contre les inégalités culturelles et sociales. Cette idéologie s’appuie sur l’idée que les populations éloignées de la culture scolaire (les immigrés et leurs enfants) sont “ enfermées ”1 ; l’art devient donc un moyen de lutte contre “ l’enfermement des populations ” dans des “ ghettos ” sociaux et culturels ou dans des codes et des normes culturelles (comme ceux de la danse hip hop) qui ne sont vues que du côté des “ cultures plurielles ” et populaires, jamais ou rarement du côté de la culture contemporaine légitime. Ces présupposés idéologiques conduiront plus ou moins consciemment un grand nombre de didacticiens de la danse à l’école (au moins quand la danse se fait éducation artistique) à rechercher les fondamentaux de la Danse définie comme “ art du mouvement ” enseignés à “ l’Enfant ” ou à “ l’Adolescent ” pour qu’il s’ancre dans une démarche de création et atteigne une autonomie dans son travail.

« Il faut conquérir par la danse contemporaine et l’art contemporain, la culture de base qui permet de choisir d’aller vers les danses du patrimoine, vers la danse classique, etc. Les adolescents qui démarrent par le rap sont dans une culture contemporaine qu’il faut décoder et avec laquelle il faut composer ; c’est la culture de leur environnement […] Quand on propose à des adolescents de les faire travailler en danse, on retombe dans des modèles les plus prégnants, les plus habituels aux ados, et il est extrêmement difficile de les faire passer dans un travail de création ».2

« L’éducation artistique fait partie de l’éducation globale de l’enfant. Elle est pour le jeune enfant et pour l’adolescent un aspect majeur du développement de sa personnalité et de sa réussite dans la vie et dans sa vie […] En conséquence, l’acte éducatif vise à faciliter, à promouvoir, à étoffer tout ce potentiel d’humanité dont l’enfant est porteur ».3

Contrebalançant les orientations homogénéisantes (et légitimistes) de la “ Culture ” ou de la “ Danse ” à l’école, le discours pluraliste valorise l’altérité et les expériences “ métissées ” en prenant en compte la diversité des cultures, celles des immigrés, celle (s) de la “ jeunesse ”. Ce discours n’exclut cependant pas certains présupposés du premier ; de fait, la danse contribuerait à « l’éducation du citoyen en développant la curiosité pour le patrimoine des différentes cultures ».4 La pluralité culturelle est généralement requise comme “ moyen ” pour atteindre les élèves (comme

1

Nous renvoyons le lecteur au chapitre précédent.

2

M. Bonjour, « La danse en milieu scolaire », Actes du colloque : Quel enseignement pour la danse ?, ADDNZZ et le Conseil général, Saint-Brieux, 5-6 mars 1992, p. 81 et p. 91.

3

F. Leguil, Place et sens de l’éducation chorégraphique dans l’enseignement général et dans

l’enseignement artistique, rapport à la demande du directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des

spectacles, 1999, p. 23.

4

faire pratiquer la danse hip hop ou la capoeira aux élèves) et pour les faire accéder la danse chorégraphiée contemporaine, celle qui en fin de compte est reconnue par les structures culturelles.

« Si la danse est marquée par différents styles, il ne s’agit pas d’enseigner à l’école les techniques propres à chaque style, comme on le fait dans les conservatoires, mais plutôt ce qui est commun à toutes les danses ».1

« L’approche culturelle s’appuie le plus souvent possible sur des pratiques et des œuvres contemporaines proches de la sensibilité des élèves […] ou sur certaines danses ethniques, anciennes et actuelles. Elle s’attache à mettre en évidence l’évolution des langages chorégraphiques avec ses filiations et ses ruptures […] Pour se faire, l’approche culturelle exploite les ressources des programmations locales, des diffusions de spectacles, des manifestations proposées par les structures culturelles proches, des travaux d’artistes en résidence et, bien évidemment, des festivals nationaux lorsqu’ils sont accessibles ».2

Autrement dit, la compréhension d’un nombre important de discours didactiques sur la danse à l’école ne peut se dispenser d’une contextualisation sociale et politique. Ce contexte repose sur une tension idéologique constituée à partir d’un discours de démocratisation culturelle tendant à valoriser une culture universelle et laïque conforme au modèle républicain d’intégration (faire connaître aux enfants la culture contemporaine et leur patrimoine culturel pour mieux les intégrer à la société) et œuvrant contre la “ ghettoïsation ” “ l’enfermement ” culturel, et d’un autre revendiquant la pluralité culturelle pour elle-même pour une société “ métissée ” d’ “ inclusion ”.3

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 145-151)

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