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Collèges et trajectoires familiales

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 182-186)

Conclusion du chapitre

CHAPITRE 4 : DES DANSES URBAINES DANS DES COLLEGES.

A. Collèges et trajectoires familiales

Les trajectoires sociales/scolaires sont fortement liées, comme nous le rappelle Smaïn Laacher à des positions résidentielles : « en réalité une diversité de manières

d’habiter et de cohabiter (…) ne peut pas ne pas produire d’effet sur les rapports des familles à l’égard de l’école, notamment leur degré d’investissement scolaire ».1 Par conséquent, le contexte local dans lequel se trouvent les collèges, recoupé avec les éléments des trajectoires familiales de garçons (issus de familles populaires immigrées) qui se sont impliqués dans l’activité de hip hop à l’école, nous permet d’expliquer leurs modes différenciés d’engagement dans l’activité.

Les descriptions que fait Stéphane Beaud d’un quartier HLM de Sochaux- Montbéliard sont tout à fait en adéquation avec ce que nous avons observé dans le quartier du collège Henri Barbusse.

« Le “ quartier ” (le terme dans la suite du texte signifie toujours un quartier HLM) imprime un cadre contraignant à la socialisation familiale. Pour les familles qui n’ont pas pu “ faire construire ” et qui suivent avec attention la scolarité des enfants, leur éducation passe de plus en plus par le contrôle des usages sociaux de l’espace et les tentatives de “ fixer ” leurs enfants au domicile familial. A la relégation des familles populaires dans des lieux stigmatisés s’ajoute la peur d’être privées de leur droit à “ éduquer ” leurs propres enfants, de se voir déposséder de leurs prérogatives parentales et le soupçon insupportable de ne pas être de “ bons ” parents capables de produire de “ bons élèves ”. Aujourd’hui habiter un “ quartier défavoriser ”, c’est savoir qu’on ne peut échapper à ses affiliations obligées. Pour les enfants, c’est ne pas pouvoir échapper aux écoles et collège du quartier, aux “ copains ” de bloc ou d’école, aux “ bandes ” de copains, à la vie à l’extérieur et, au moment de l’adolescence, à “ la rue ”, etc. ».2

Le collège Henri Barbusse a mauvaise réputation auprès de la population locale. Les parents qui le peuvent inscrivent leurs enfants dans un établissement privé ou demandent des dérogations. La plupart des enseignants qui y travaillent font une demande de mutation dès que cela leur est possible. Le collège Henri Barbusse est ainsi dans une “ zone repoussoir ”3 qui coupe ses habitants et particulièrement les jeunes de l’extérieur, les enfermant dans l’espace local. Stéphane Beaud montre combien l’attachement au quartier, aux relations sociales intenses qu’il suggère rend difficile, notamment pour les garçons, « la construction et la gestion de l’identité sociale à l’âge adulte ».4 Les élèves issus du quartier où se trouve le collège, font ainsi en grande majorité partie de familles se percevant fréquemment comme “ prisonnières ” du quartier, avec peu de possibilités d’échapper à leur conditions sociales. Le collège lui- même est un lieu de relégation, où les élèves subissent fortement la violence symbolique. Les garçons issus de familles immigrées maghrébines sont dans un contexte urbain et dans des logiques familiales qui leur laissent, pour la plupart peu de perspectives d’amélioration de leurs conditions d’existence. Vivant dans un quartier

1

Ibidem, p. 33.

2

S. Beaud, 80% de réussite…, op. cit., p. 28.

3

Ibid.

4

stigmatisé, fréquentant un collège stigmatisé, parfois une classe “ spéciale ”, ils se différencient assez fortement des jeunes garçons de familles ouvrières immigrées fréquentant le collège Colette.

Cet établissement — le collège Colette —se trouve dans une petite ville du département de l’Ain qui compte 2300 habitants. Le collège regroupe les élèves de plusieurs communes alentours et ses bâtiments sont dans un cadre champêtre, près du camping municipal, en bord de rivière. Il y a, dans la ville où se trouve le collège, un petit quartier HLM où vivent majoritairement des familles ouvrières issues de l’immigration. Le collège ne fait partie ni d’un REP, ni d’une ZEP et jouit d’une bonne réputation auprès des élèves, de leurs familles et des enseignants.

Extraits d’entretien

[Q. : « Et dans le collèges y’a des problèmes de ce qu’on appelle de discipline ou… ?] DOMINIQUE M. : Non, moi j’trouve qu’il faut pas gonfler tous ces trucs, les gamins ils se sont toujours bagarrés, y’a toujours eu des bagarres dans les cours de récré, il faut pas non plus tout gonfler… Moi je trouve que les médias tout ça ils exagèrent, tu trouves pas ? [Q. : Oh

bah si, si (rire) c’est certain, c’est certain] Heu…qu’y’en ait qui s’insultent

plus facilement peut-être mais je veux dire qu’y’en a pas tant que ça, faut pas non plus… et puis nous on arrive à tout à fait gérer. [Q. : Oui, c’est plutôt un

collège tranquille ?] Oui, oui, oui bon et puis ça dépend des fournées hein

mais là ils se tiennent tranquilles , cette année y’a eu aucun problème , y’en a bien toujours , t’en as un qui s’est fait renvoyer parce qu’il est arrivé avec un couteau , il l’a montré aux copains , je veux dire qu’est ce que tu veux tu peux pas mettre un flic et puis… ou alors il faut faire comme aux Etats-Unis un détecteur de métaux … j’sais pas, c’est difficile hein ».

Ali, (13 ans élève en 5ème au collège Collette, père : électricien dans une usine, mère : sans profession) : “ grâce au hip hop j’ai connu plein de filles et j’ai connu aussi…j’sais pas c’est…ce collège c’est le meilleur de ma vie quoi, grâce au hip hop je connais des filles, je connais des amis et tout ”.

SOCIOLOGUE : Et le collège là vous en avez…pour vous, votre opinion c’est un bon collège ? un collège qui pourrait être mieux ?

OPHÉLIE (13 ans, élève en 4ème au collège Colette, père : artisan ébéniste, mère : sans profession, actuellement en formation) : Bah il est bien et trop bien à comparer aux autres élèv…heu aux autres collèges. Ouais je pense que cette année les élèves ils sont plus… comme on voit à la télé avec la violence tandis que là …

NELLY (13 ans, élève en 4ème au collège Colette) : Quand on voit les problèmes qu’y’a dans tous les autres collèges, nous on est bien, on est dans notre p’tit village

LÉA (13 ans, élève en 4ème au collège Colette, père : contremaître chez EDF, mère : commerciale) : Non mais ouais justement y’a des bons trucs à être dans un p’tit collège quoi. »

L’ambiance bon enfant qui règne dans le collège n’empêche pas que certains élèves, des garçons notamment, issus de familles immigrées du Maghreb, aient des comportements perçus par les enseignants et les surveillants comme perturbateurs. Lorsque l’activité de danse hip hop a été proposée dans le collège, l’enseignante d’E.P.S. instigatrice du projet nourrissait l’espoir de voir cette catégorie d’élèves s’intéresser à la danse. Lors de la première séance, des garçons intéressés par le hip hop se présentèrent mais furent déçus par le cours. Nous n’avons pas pu interroger ces élèves qui ont abandonné l’activité, mais nous avons effectué un entretien collectif avec ceux qui ont persévéré, et qui ont ainsi pu nous donner, à demi-mot, les raisons des abandons.

Extrait d’entretien

SOCIOLOGUE : « Au début on m’avait dit qu’il y’avait beaucoup de garçons au premier cours

SOFIANE (13 ans élève en 5ème au collège Collette, père : ouvrier ; mère : agent d’entretien) : En fait au début ce qu’on avait fait ça leur…en fait c’est comme nous quoi des sportifs et c’est comme ils ont dit “ ça commence à être lent ” et tout, ils ont dit “ non on va pas aimer, c’est pas comme le hip hop qu’on voit à la télé ” et ensuite quand ils nous ont vus nous faire ce qu’on fait là ils regrettent un peu quoi parce qu’ils voyaient pas comme ça.

ALI : Ils croient qu’on allait être directement bien mais on met du temps ça fait de étape en étape

SOCIOLOGUE : ouais bien sûr et qu’est ce qui a fait que vous vous êtes revenus quand même ? parce que les autres ils ont abandonné très vite finalement

SOFIANE : Nous, nous on y croyait, moi j’ai vu mon frère il m’a expliqué comme quoi au début on va aller doucement et après des qu’ils vont nous… ils vont d’abord nous expliquer les bases du hip hop et ensuite bah après on va nous apprendre d’autres choses

D’après des filles participant au cours, les garçons auraient craint de ne pas être aussi bons qu’ils le pensaient :

LÉA (13 ans, élève en 4ème au collège Colette) : Au début de l’année, au début de l’année à la première séance où fallait voir qui en voulait, qui voulait en faire y’avait plein de garçons quoi , tout plein de garçons et autant de filles que de garçons et j’sais pas la première séance ça avait l’air vraiment dur quoi , c’était la première fois et puis il fallait apprendre à faire les pas et donc tout le monde était là ils disaient “comment est ce qu’il faut faire ? et tout” donc y’a…la séance d’après y’avait plus personne quoi.

OPHÉLIE : Je pense que c’est parce que ils sont peut-être moins assidus et ils ont peur de pas y arriver et je pense qu’ils ont peur de ce que les filles vont dire si ils y arriveront pas à y arriver voilà, parce que pour eux si ils y arrivent pas tout de suite “Ouais qu’est ce qu’ il va me dire ? Qu’est ce que les autres vont dire et tout” je pense.

NELLY (13 ans, élève en 4ème au collège Colette, père : représentant en d’élevage, mère : aide-soignante) : Ou alors ils vont se décourager très vite, ou alors ils vont venir “ouais moi je veux savoir faire ça ” et puis ils vont se décourager quoi.

LÉA : A la première vue quoi ils doivent se dire “ ah ouais c’est ça ! Moi je m’attendais pas trop à ça et ça, je croyais que c’était directement des trucs au sol et tout ” donc…

CAROLE (13 ans, élève en 4ème au collège Colette, père : artisan maçon, mère : cadre dans une banque) : Je pense qu’ils pensaient que c’était déjà plus facile et ils pensaient que les garçons allaient y arriver tout de suite c’est pour ça je pense qu’on a eu moins de garçons. »

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 182-186)

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