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Des compétences politiques

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 122-124)

LES PROCESSUS D’INSTITUTIONNALISATION DE LA DANSE HIP HOP EN FRANCE

C. Des compétences politiques

Le “ métissage ” (qui n’est qu’une autre expression du thème de l’“ ouverture ” culturelle) renvoie au travail institutionnel qui a conduit à encourager les danseurs hip hop à se familiariser avec d’autres formes artistiques et surtout à apprendre les règles de l’art chorégraphique, généralement auprès de chorégraphes contemporains.

C’est donc au nom de cette volonté d’ “ ouverture ” à d’autres formes artistiques que les partenaires institutionnelles et associatifs ont suivi le travail des nouveaux chorégraphes, en les incitant à se professionnaliser selon les règles requises dans le champ chorégraphique : savoir mettre en place un spectacle scénique, passer au statut de compagnie, faire des projets de création (pour obtenir des subventions), se faire connaître auprès des diffuseurs, vendre les spectacles. C’est ainsi que des chorégraphes contemporains ont participé du processus de légitimation de la danse hip hop comme nouvelle forme de danse. Du côté des hip hoppeurs, certains ont accepté cette démarche en y trouvant leur compte, d’autres l’ont critiquée sans toutefois s’exclure du champ de pratiques aidées par les institutions, en raison de “ compétences politiques ” qui expriment positivement un « rapport de proximité et de conciliation avec les compétences attendues par les acteurs publics ».1

En revanche, des hip hoppeurs prenant de la distance vis-à-vis du jeu institutionnel et/ou manquant de telles compétences2 (c’est-à-dire celui qui consiste à jouer le jeu et à se faire entendre des institutionnels en adoptant les formes rhétoriques requises) — alors même qu’ils sont susceptibles de faire preuve de compétences artistiques et pédagogiques —, sortent du champ institutionnel : les acteurs institutionnels ne s’intéressent pas à eux et ne vont pas voir leurs spectacles, et eux- mêmes ne savent pas les solliciter.

1

L. Roulleau-Berger, Le Travail en Friche. Les mondes de la petite production urbaine, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 1999,p. 136.

2

La raison principale de telles difficultés renvoient aux dispositions et aux systèmes de valeur de ces danseurs (qui sont souvent les pratiquants des nouvelles générations mais aussi des danseurs confirmés plus âgés) qui les éloignent des comportements requis dans/par le champ de la culture dominante.

Certains (mais ce n’est pas systématiquement le cas de tous) ont une faible expérience des stages de danse et des formations que les acteurs institutionnels proposent régulièrement aux pratiquants du hip hop, et qui consistent globalement à transformer les comportements des individus, leur façon d’être à eux-mêmes et à leur groupe de pairs, et leur hexis corporelle en vue de les amener à participer du champ chorégraphique, en étant en mesure de proposer des œuvres conformes aux horizons d’attentes des programmateurs de scènes de théâtre. Or, il semblerait qu’un des problèmes rencontrés par les plus jeunes breakers face au travail de création soit précisément une difficulté d’ordre somatique : accepter de mettre son corps “ au service ” d’une pièce, et de n’y être qu’un maillon, essentiel certes, mais non unique, et de ne pas y montrer tout ce que l’on sait faire. Autant dire que la logique chorégraphique met en défaut le sens pratique des danseurs, et, contrairement à la logique des compétitions où le “ je ” participe à la réussite du groupe et défend son équipe en montrant ses exploits, mais d’être partie prenante d’une mise en scène globale, sans pouvoir improviser au sein de la composition, sans faire montre de tous les talents que l’on possède. Être danseur dans de telles circonstances c’est un peu l’être à moitié pour certains, et donc ne pas être tout à fait soi-même.

Ces résistances s’accompagnent parfois d’une prise de distance critique envers les orientations institutionnelles du hip hop. Ainsi, ces danseurs estiment que les “ institutionnels ”, loin de définir des règles équitables de la professionnalisation entre les divers types de danseurs, privilégieraient certains d’entre eux, ceux qui “ joueraient » le jeu des danseurs contemporains, qui en quelques sortes pervertiraient la danse hip hop en faisant de la “ création ” pour “ plaire ” à ces “ institutionnels ”. La critique porte également sur la méconnaissance de ces “ institutionnels ” du hip hop des “ battles ” qui est vu comme le “ vrai ” hip hop, le plus “ technique ” aussi.

Quelques-uns de ces pratiquants qui adressent de telles critiques estiment aussi que l’Etat n’a pas à interférer incessamment sur la danse hip hop, et qu’il faut les laisser faire. Enfin, il est reproché à ces mêmes acteurs “ institutionnels ” autant qu’aux danseurs “ subventionnés ” de ne pas (re)connaître les compétences des danseurs, de les voir à travers un filtre stigmatisant qui est celui du jeune potentiellement délinquant, et surtout “ enfermé ” sur ses valeurs et représentation de la danse hip hop jugées non valables pour développer une danse professionnelle.

Extrait d’entretien

Animateur, MJC « L » : « Après y’a tout un travail d’épuration j’dirais c’est à dire que la chorégraphie y’a le contenu , y’a les déplacements etc., mais c’est là où c’est le plus pénible (rire) j’dirais presque c’est là où il faut travailler sur la synchronisation, les placements dans l’espace… épurer la chorégraphie quoi et le contenu, puis travailler sur des mouvements etc. […] Y’a ce problème qui… et ça c’est commun à tout c’qui est artistique, dans le théâtre on retrouve aussi pas mal, c’est cette faculté à oublier son corps, c’est à dire à se dire que son corps c’est un objet “ pour ” et que ce corps ce n’est pas que moi, c’est à dire que finalement l’un des problèmes assez communs c’est de se dire “ bon qu’est ce que les gens vont penser de mon corps ” et passer de ça à : “ j’utilise mon corps, mon corps ce n’est pas moi, c’est à dire que les gens ce qu’ils vont penser de mon corps c’est pas ce qu’ils vont penser de moi et mon corps va me servir à exprimer autre chose, exprimer un sentiment etc. ” Donc là y’a une prise de distance par rapport à soit et c’est une pratique qui commence à se faire et puis là bah… ça devient plus facile quand cette démarche est comprise. C’est un milieu aussi qui est très porté, en général, sur le vestimentaire, sur le look , le paraître et c’est pas si facile que ça de se dégager de… de se dire “ mon corps, il sert à quelque chose ”, mais c’est intéressant. »

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 122-124)

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