• Aucun résultat trouvé

Confrontation de valeurs autour du “ métissage ” : à propos d’un débat au sein d’une MJC et co-organisé par un centre culturel, dans le cadre de

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 130-133)

LES PROCESSUS D’INSTITUTIONNALISATION DE LA DANSE HIP HOP EN FRANCE

D. Des stéréotypes sociaux et sexuels

4. Confrontation de valeurs autour du “ métissage ” : à propos d’un débat au sein d’une MJC et co-organisé par un centre culturel, dans le cadre de

Danse-Ville-Danse, avril 2001, Configuration de la Loire

Dans un débat organisé dans une MJC de la Loire et entrant dans le cadre de l’action régionale dirigée par la DRAC Rhône-Alpes “ Danse-Ville-Danse ” (débat que nous étions chargée d’animer) et qui faisait rencontrer des professionnels de la danse et des musiques actuelles ainsi que des jeunes pratiquants amateurs, ces stéréotypes ont pu s’exprimer dans une confrontation d’idées assez virulente de part et d’autre. D’après les jeunes hip hoppeurs amateurs reprochant aux professionnels de chorégraphier, il était supposé que ces derniers introduisaient dans leurs spectacles et dans leur danse des principes (sexuels) différents de ceux de la danse hip hop, ce qui les amenaient à « trahir » le hip hop.

Les contradictions étaient nombreuses, puisque, ayant interviewé ces mêmes pratiquants qui nous avaient rappelé à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas, selon eux, d’esprit hip hop, ces mêmes pratiquants se confrontaient avec les professionnels autour de l’idée que l’“ autre ” ne respectait pas les principes du hip hop. Une seconde contradiction exprimée était le reproche des danseurs amateurs aux pratiquants professionnels de faire de la chorégraphie (cela se traduisait par l’idée d’un ralliement à la danse contemporaine) pour se faire de l’argent, alors même que dans les entretiens ces jeunes pratiquants voulaient devenir des professionnels, et gagner leur vie de cette manière. C’est sans doute en partie la méconnaissance de la danse contemporaine et des conditions d’existence et de travail dans le champ chorégraphique qui conduit à de tels positionnements de la part des jeunes breakers, mais aussi l’éloignement de leurs

1

F. de Singly, « Les habits neufs de la domination masculine », Esprit, n° Masculin/Féminin, novembre 1993, p. 54-64, p. 59.

valeurs et système de représentations de cette culture chorégraphique légitimée par les institutions publiques.

Cette rencontre visait à faire débattre de jeunes hip hoppeurs et rappeurs de la MJC de la ville avec des professionnels. Les invités étaient Giacomo Spica, auteur, compositeur et formateur en musiques actuelles et rap ; Stéphane Valier, danseur actuellement dans la compagnie Azanie de Fred Bendongué, professeur de capoeira et assistant du chorégraphe ; Franck II Louise, danseur, chorégraphe et compositeur musical, se présentant et présenté comme un des “ pionniers ” de la danse hip hop en France. À ces trois invités principaux, se sont ajoutés des danseurs et un chorégraphe de la compagnie de danse hip hop Saïlence qui dirigeaient des stages durant les deux journées des rencontres.

Il a d’abord été demandé aux invités de présenter leur parcours professionnel. Franck II Louise renvoie à l’histoire de la danse hip hop “ à sa façon ”.1

Extrait du débat

Franck II Louise : « À l'époque ce n’était pas une compagnie, c'était un groupe, un “ crew ”, il y avait une autre vision du groupe. C'est à dire qu’on ne parlait pas de “ compagnie ” tout simplement parce qu'on n’avait pas envie ; enfin, on ne pensait pas aller sur des scènes de théâtre. C'était de la danse de rue, avant tout. Donc on a formé une équipe de 3 danseurs, à la base, et puis après ça s'est agrandi. Et on a... on dansait aussi bien dans la rue que dans les discothèques. Et on n’écrivait pas, il n’y avait pas d'écriture chorégraphique comme on l'entend aujourd'hui : avec une mise en espace, avec tout ça, un propos, et puis travailler avec des lumières et tout ça. Tout simplement c'était sur la performance pure, ce qu'était la danse hip hop à la base. C'est vraiment une danse sur la performance et c'est souvent sous forme de défi quoi. Et puis, il y a eu cette première, j'ai eu la chance de participer à cette émission sur TF1 (en 1983-84). Pendant 3-4 ans on a parcouru un peu toute la France mais essentiellement dans les discothèques. Et on ne parlait pas du tout de théâtre quoi. Et puis, il y a eu une période de traversée du désert un peu, parce que le phénomène de mode étant retombé, on en a payé le prix quoi. Plus personne ne voulait entendre parler de cette danse. Mais elle a continué à exister dans un noyau dur. Il y a eu la transmission des grands frères aux petits donc transmission de génération en génération. Et début des années 90, il y a une ouverture de la part du milieu culturel on va dire, des théâtres qui se sont intéressés à cette danse, à cette pratique. On a alors commencé à travailler avec des chorégraphes contemporains puisque, évidemment, on ne pouvait pas accéder directement comme ça sur des plateaux de théâtres puisqu'on ne connaissait pas le milieu, on ne savait pas à quoi ça ressemblait : qu'est-ce que c'était que ce rapport au public ? C'est à dire une scène avec un public assis, et non pas debout ; travailler avec des lumières, travailler dans cette boîte noire c'est à dire avec des pendrillons pour pouvoir faire des entrées, des sorties tout ça, sur le plateau. Et puis surtout : qu'est-ce que c'est que de présenter un spectacle, un spectacle vivant avec un propos chorégraphique. Voilà. Donc, j'ai connu les 2 périodes. »

1

Nous empruntons l’expression de Dominique Boivin, chorégraphe contemporain, qui a fait une création s’intitulant « la danse, une histoire à ma façon » pour souligner l’importance des réappropriations multiples par les artistes, de faits et de courants artistiques.

Plus loin dans l’interview, Franck II Louise évoque le “ rêve américain ”, l’identification des pionniers français aux hip hoppeurs nord-américains, tant en danse qu’en musique. Il insiste sur le lien entre les deux pratiques, la danse étant pour lui « la

musique du corps » qui émerge de l’écoute des boîtes à rythme (à l’époque), des

bricolages musicaux et techniques ; il s’est alors mis à faire de la musique pour servir sa danse et présenter de courts spectacles dans les discothèques, ce qui permettait au groupe de « gagner un peu d’argent ». Dans la rue, le groupe faisait la “ manche ” pour pouvoir acheter de petits matériels, quelque chose à manger.

Le compositeur Giacomo Spica décrit un processus un peu similaire des débuts de son métier, avec la création d’un collectif de musiciens travaillant dans une friche à Lyon, à la fin des années quatre-vingt. Cette friche s’est rapidement ouverte à d’autres types de musique ainsi qu’à des graffeurs. Ces musiciens ont alors ouvert des ateliers d’écriture rap et de travail sur samplers et musiques assistées par ordinateurs, en direction des jeunes des quartiers, jouant ainsi, dit-il « les grands frères ».

Progressivement, plusieurs groupes de jeunes ont suivi ces ateliers, alors que la friche a été fermée par les pouvoirs publics. Le travail de formation se poursuit, plus de dix ans après les débuts, s’ouvrant sur la formation de formateurs en musiques actuelles.

Le danseur Stéphane Valier explique quant à lui, qu’il a connu la danse hip hop grâce aux émissions télévisées de Sydney ; il poussait alors la table et s’entraînait devant son téléviseur. Quand la « mode s’est éteinte », il n’a pas su comment poursuivre, étant donné qu’il ne vivait pas dans une région où la danse hip hop continuait à s’exercer dans des quartiers ou dans des lieux spécifiques. Le seul moyen qu’il a trouvé pour poursuivre la danse a été de s’inscrire dans un cours de modern-jazz, il avait 18 ans. Puis il a rejoint une école internationale de danse classique, celle de Rosella Hightower à Cannes, où il dit avoir appris à être « rigoureux avec son corps ». Son expérience en danse classique l’a conduit à prendre des cours de danse contemporaine et modern-jazz dans cette école. Il précise qu’il était un peu dans l’attente de voir émerger, à nouveau, la break dance et que la danse contemporaine l’a aidé à saisir les mouvements du break : « Tu te cantonnes plus à faire des choses

seulement dans ce but, mais tu sais que pour arriver là, et bien tu peux te servir d'autre chose. Pour arriver à faire un ninety ou autre chose, tu n’es pas obligé de faire que du ninety toute la journée, que faire du tomas, tu peux passer par pleins d'autres choses pour comprendre qu’il faut se servir de tout en fait ». Il a connu « fatalement » la

capoeira, trouvant dans cette pratique un « mixte entre le hip hop, la danse, le défi ». Nous retrouvons dans ses propos un rapport au corps dansant similaire de celui d’autres danseurs hip hop qui ont eu une rencontre heureuse avec la danse contemporaine. Ses facteurs explicatifs sont de deux ordres. En premier lieu, elle émane d’une fréquentation assidue d’artistes hip hop qui ont pu faire les intermédiaires entre danse hip hop et danse contemporaine dans un contexte socio-historique où la logique du battle n’existait pas encore (ou était peu diffusée) et ne pouvait donc pas servir de contre-exemple. En

second lieu, pour beaucoup de ces danseurs, il s’agit d’activer des dispositions sociales à une certaine “ docilité ”, terme qui n’a rien de péjoratif, mais qui renvoie à une volonté (ou disposition) à apprendre dans un sens scolaire, et donc à se réapproprier des éléments de la danse contemporaine. Cette disposition est relative à leurs origines sociales (même si les conditions de vie sont économiquement faibles) non éloignées de la culture légitime/scolaire (l’exercice d’une profession par la mère, notamment dans un domaine social, éducatif ou dans celui de la santé peut être un facteur explicatif de ce “ rapprochement ” vis-à-vis de la culture scolaire) qui semblent faciliter l’acceptation de “ conseils ” institutionnels (avec l’injonction du “ métissage ”) et la transformation de leur hexis corporelle issue de leur suivi régulier de cours de danse contemporaine (même s’ils la critiquent).

À la question de savoir quel sens cela peut-il avoir d’aller voir du côté de la danse contemporaine, du classique, d’autres formes de musique, les trois professionnels s’orientent vers le thème de l’ouverture culturelle et artistique, évoquant la rencontre avec les autres, la prise en compte des différences identitaires et la « richesse qui en vient pas d’une seule source » (Franck II Louise), que la forme artistique mise en œuvre n’est pas « une fin en soi » (Giacomo Spica). Les artistes évoquent ainsi le danger qu’il y a de ne pas s’intéresser aux autres pratiques artistiques, aussi bien celles du champ dans lequel on évolue, que celles des autres champs. Ils parlent alors de la nécessité d’être curieux, d’apprendre constamment et de travailler.

Extraits du débat

Franck II Louise, chorégraphe et compositeur musical : « Mais c'est vrai que

Dans le document Danse des villes et dans d'école : Le hip-hop (Page 130-133)

Outline

Documents relatifs