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CHAPITRE 5. Problématique et Méthodologie Générale de la Thèse

1. Présentation de la recherche : contexte et objectifs

Le TSA est un trouble neurodéveloppemental précoce s’étendant sur un continuum d’intensité et de signes cliniques révélateurs de troubles communicationnels et sociaux (cf.

Chapitre 1). Un des enjeux de la recherche est de contribuer à la compréhension des mécanismes propres au TSA afin de mieux identifier les besoins des personnes avec un TSA en termes d’accompagnement et d’améliorer les perspectives d’indépendance sur un plus long terme (Lord et al., 2020). Les recommandations de la HAS (2012, 2018) s’inscrivent dans cette lignée.

Un autre défi de la recherche en lien avec le TSA porte sur « l’évaluation de l’efficacité des interventions mises en place […] en s’appuyant sur des repères conformes aux données actuelles de la science » (Le Guludec, 2018). En effet, la HAS (2012) préconise une évaluation régulière et développementale de l’évolution des enfants et des adolescents afin d’adapter le plus justement possible les axes de travail aux besoins et aux compétences émergentes des enfants.

Notre étude porte plus spécifiquement sur l’évaluation et la remédiation des processus inférentiels chez les enfants et adolescents porteurs d’un TSA sans déficience intellectuelle associée. Nous nous sommes intéressés aux inférences car celles-ci apparaissent intrinsèquement liées aux troubles communicationnels des sujets avec un TSA (cf. Chapitre 2).

Par ailleurs, cette altération de l’usage social et interpersonnel du langage compte parmi les problématiques fondamentales des personnes avec un TSA. En effet, ces perturbations persistent malgré des capacités cognitives préservées et un bon niveau langagier sur le plan formel (cf. Section 3.3 du Chapitre 1). De plus, les inférences apparaissent comme un point commun à ces difficultés langagières et sociales (cf. Section 2.4 du Chapitre 2).

Néanmoins, les mécanismes cognitifs interagissant ou influençant le développement de ce traitement inférentiel sont encore méconnus. L’étude de l’aspect non-littéral de la communication apparaît ainsi comme un outil privilégié pour explorer ces difficultés relevant davantage de la pragmatique (cf. Section 1 du Chapitre 2). Les enfants et adolescents avec un TSA sans déficience intellectuelle présenteraient une appréhension du langage pragmatique différente de celle observée chez les enfants au développement typique (cf. Section 1 du

Chapitre.1). Ces difficultés à saisir l’implicite sont souvent attribuées à la dimension socio-cognitive des interactions. Ces inférences métareprésentationnelles renvoient au concept de

« Théorie de l’esprit » inhérent à toutes situations communicationnelles (cf. Section 2.2 du Chapitre 2). Au travers de la littérature étudiée, les performances des participants semblent déterminées par différents facteurs tels que l’âge, les compétences cognitives et langagières, le niveau de difficultés des tâches inférentielles et la variabilité méthodologique. Cette fluctuation des performances suppose également des mécanismes sous-jacents complexes. Le rôle potentiel des fonctions exécutives et de leurs modalités d’interaction sur la réalisation des inférences nécessaires à la compréhension des états mentaux et de l’implicite, demeure source de débats et d’intérêts. L’émergence des processus inférentiels pourraient être conditionnée en amont par l’efficacité des fonctions exécutives (cf. Chapitre 3). En ce sens, de nombreux travaux (cf.

Section 2.3 du Chapitre 3) font état d’une possible co-occurrence entre les troubles exécutifs et les inférences langagières. Les capacités d’inhibition permettraient d’inhiber une compréhension spontanément explicite, la flexibilité mentale rendrait possible la génération de plusieurs interprétations alternatives et la mémoire de travail servirait le maintien simultané de ses multiples possibilités pour sélectionner une signification en fonction du contexte (Caillies, 2014 ; Caillies & Le Sourn-Bissaoui, 2013 ; Galinsky & Glucksberg, 2000 ; Monetta et al., 2008 ; Le Sourn-Bissaoui & Dardier, 2016 ; Poletti, 2011). Ces recherches supposent que les fonctions exécutives pourraient s’avérer nécessaires aux inférences permettant la compréhension des formulations non-littérales. De surcroît, plusieurs recherches questionnent une co-occurrence potentielle entre les troubles exécutifs et ceux de la théorie de l’esprit (cf.

Section 2.3 du Chapitre 3). Selon cette hypothèse, les fonctions exécutives sous-tendraient la prise de perspective nécessaire à la représentation de l’état mental d’autrui (Carlson et al., 2004 ; Carlson et al., 2015 ; Devine & Hughes, 2014 ; Duval et al. 2011 ; Gökçen et al.,2016 ; Habib et al., 2019 ; Kouklari et al., 2018 ; Lecce et al., 2017 ; Wade et al., 2018 ; Wang et al., 2017). La représentation de l’état d’esprit d’autrui serait dépendante de notre capacité à inhiber notre propre perception ou bien les informations pouvant induire en erreur. La flexibilité cognitive nous permettrait de modifier notre point de vue pour envisager d’autres perspectives possibles.

Enfin, la mémoire de travail contribuerait au maintien de plusieurs représentations mentales, ainsi qu’à la prise en compte simultanée des multiples indices sociaux et contextuels.

De manière générale, le contrôle exécutif permettrait de se décaler d’une perception initiale pour accéder aux intentions implicites et au point de vue d’autrui. Ainsi, il est possible que l’altération des processus inférentiels manifestes chez les personnes avec un TSA résulte d’une

perturbation du contrôle exécutif. La littérature questionne la nature du lien fonctionnel pouvant être établi entre les fonctions exécutives et ces capacités métareprésentationnelles. La littérature met aussi en lumière une variation de l’intensité et de la nature des processus exécutifs influençant possiblement la réalisation des inférences. Ces fluctuations sont aussi fonction du niveau de complexité des formulations non-littérales ciblées (cf. Section 1 et Section 2.3 du Chapitre 2).

L’ensemble de ces éléments non consensuels amène à de nouvelles investigations. Par ailleurs, il semble exister encore peu de recherches ciblant plus précisément l’impact des processus exécutifs sur la réalisation des inférences langagières dans le cadre du TSA, alors même que ces deux compétences constituent des problématiques centrales et récurrentes chez les sujets présentant un TSA. Nous avons également pointé précédemment la nécessité de développer des travaux permettant de préciser les trajectoires développementales des enfants et adolescents présentant un développement typique ou atteint d’un TSA. Ceci est d’autant plus important dans le domaine exécutif, encore source de questionnements et de résultats hétérogènes, et dans le domaine social et pragmatique, renvoyant à l’une des problématiques clef des sujets porteurs d’un TSA. En ce sens, notre étude présente l’intérêt de suivre une démarche longitudinale permettant de prendre en compte les changements au cours du temps chez une même population. Notre étude cherche ainsi à contribuer à la réflexion concernant le développement des inférences propres à la compréhension du langage non-littéral, chez les enfants et adolescents présentant un développement typique et ceux porteurs d’un TSA. Par ailleurs, les déterminants de cette progression restent source de débat et de questionnement.

Ainsi, nous cherchons à étudier les éventuels facteurs explicatifs des variations développementales mises en avant dans les recherches précédemment étudiées (cf. Section 2.2 du Chapitre 3). Nous analyserons spécifiquement l’influence de l’âge, du niveau verbal et de chacune des fonctions exécutives étudiées (inhibition, mémoire de travail et flexibilité mentale) sur les inférences sociales (théorie de l’esprit de premier et second ordre et les inférences langagières (les demandes indirectes, les expressions idiomatiques et l’ironie).

En résumé, l’étude des trajectoires développementales concernant les inférences sociales et langagières (étude 1) a pour objectif de décrire les trajectoires évolutives des enfants et adolescents avec un TSA comparativement à leurs témoins tout en essayant de mieux comprendre les facteurs prédictifs de la production d’inférences sociales et langagières. Aussi, dans ce travail de thèse, nous avons souhaité étudier les trajectoires développementales dans le

cadre d’une étude longitudinale (2 temps espacés de 12 mois +/-2 mois) en nous appuyant sur un protocole expérimental permettant d’évaluer :

a) Les inférences pragmatiques nécessaires à la compréhension du langage non-littéral

b) Les inférences sociales métareprésentationnelles nécessaires à la compréhension des états mentaux d’autrui

c) Le fonctionnement exécutif d) Le niveau langagier

Ces éléments théoriques amènent à questionner les implications cliniques. Ainsi, notre seconde étude concerne l’élaboration et l’évaluation des effets d’un GEHS proposé à quatre adolescents porteurs d’un TSA. Le travail mis en place dans ce groupe est axé sur le lien existant entre le raisonnement inférentiel et les habiletés conversationnelles (cf. Section 1 du Chapitre 4 et le cadre de travail détaillé dans le Chapitre 7). L’accès à des GEHS adaptés aux besoins des personnes avec TSA s’avère essentiel, d’autant plus à l’adolescence, période charnière du développement personnel et social (cf. Section 3 du Chapitre 4). En effet, sur le plan comportemental et social, les perturbations exécutives et inférentielles transparaissent à travers des particularités sociales et conversationnelles. Celles-ci se traduisent par des comportements moindres ou inhabituels pour initier et maintenir une interaction ou bien y répondre. A plus long terme, ces empêchements impactent le développement et le maintien des relations interpersonnelles et constituent un enjeu sur le plan du bien-être psychologique (cf. Chapitre 4). Par ailleurs, les recommandations de la HAS (2012) insistent sur le fait que les particularités des personnes avec TSA doivent amener à développer des interventions dans le domaine des interactions et de la participation sociale. La HAS (2012) recommande des dispositifs basés sur des approches structurées et cognitivo-comportementales dans lesquelles s’inscrivent les GEHS. Les médiations portant sur les différentes dimensions des habiletés sociales n’ont pas pour vocation de changer la personne avec TSA, ils ont pour objectifs généraux d’améliorer les habiletés relationnelles, conversationnelles, comportementales, et émotionnelles des patients avec TSA.

Il s’agit de lui apporter un soutien pour qu’il parvienne à comprendre et analyser l’environnement social organisé selon des règles pouvant lui sembler étrangères. Le but poursuivi est de favoriser l’intégration du sujet selon son rythme et ses possibilités (Ahade &

Corato, 2018 ; Cuny, 2012 ;). En ce sens, nous cherchons aussi à élaborer un cadre de travail sécurisant et bienveillant pour que les jeunes avec un TSA puissent expérimenter des interactions sociales positives (Ahade & Corato, 2018). Nous élaborons aussi des médiations

issues d’études cherchant à favoriser le raisonnement inférentiel et les habiletés conversationnelles chez les enfants avec un TSA (cf. Section 4 du Chapitre 7).

Deux modalités d’évaluation principales sont rapportées dans la littérature pour rendre compte des effets des GEHS (Bon et al., 2016 ; Hugues & Sullivan, 1988). Les recherches se portent soit sur des mesures « spécifiques » des fonctions cognitives sous-tendant le fonctionnement social, soit sur des mesures « d’impact » davantage centrées sur la progression du sujet dans son environnement (échelles et questionnaires) ». Il est toutefois rapporté peu d’études consacrées plus spécifiquement à l’évaluation des habiletés conversationnelles des adolescents avec TSA au sein d’un groupe (Bambara et al., 2018 ; Yuan & Chen, 2020).

L’ensemble des études mettent majoritairement en lumière des évolutions advenues entre un pré-test et un post-test ce qui n’offre pas une lecture affinée de l’évolution développementale et de la dynamique des habiletés conversationnelles. Notre travail se distingue des études existant dans ce domaine en apportant une évaluation dynamique et longitudinale des processus de changements et de progression chez les participants, apportant également la possibilité d’étudier les différences entre les trajectoires de développement individuelles (nous détaillons ces aspects de l’évaluation dans la description de la méthodologie du chapitre 7).

L’enfant typique acquiert progressivement ses habiletés conversationnelles par le biais de l’étayage. Nous postulons ici que l’ajustement du professionnel aux jeunes et les connaissances sociales acquises dans le GEHS permettront progressivement aux participants d’élaborer les représentations sociales nécessaires pour la conduite des échanges conversationnels tels que les initiatives et le maintien de l’échange. Nous supposons que ces GEHS. pourront susciter les prises de perspective nécessaires à l’émergence d’habiletés sociales telles que les régulations des tours de parole et les règles conversationnelles, ainsi que la prise en compte du contexte et des états mentaux et intentions d’autrui. Il s’agira donc d’étudier l’évolution de la dynamique interactionnelle des jeunes participants du groupe tout au long de l’année de prise en charge. Dans ce travail de thèse, nous avons ciblé trois compétences clefs de la conversation, qui représentent souvent des difficultés caractéristiques des personnes avec un TSA :

a) L’initiation, b) La réponse c) Le maintien.

Nous émettons l’hypothèse d’une amélioration des habiletés conversationnelles des jeunes au cours de l’année. Ainsi, les capacités d’initiation, de réponse et de maintien des

adolescents ayant participé au GEHS s’amélioreront entre la première et la dernière séance de groupe. Plus précisément, nous supposons que cette progression au niveau des habiletés conversationnelles suscitera davantage d’adresses spontanées entre les jeunes. De ce fait nous faisons également l’hypothèse d’une augmentation des initiations, réponses et maintiens conversationnels entre les jeunes associés à une diminution de l’aide apportée par l’adulte. Nous détaillerons plus précisément dans le chapitre 7 de notre thèse (portant sur l’élaboration et l’évaluation d’un GEHS) la méthodologie employée pour explorer l’évolution globale du groupe et les trajectoires développementales individuelles de chaque participant au fil des séances du groupe.

En résumé, cette thèse a un double objectif : 1) étudier les trajectoires développementales concernant le développement des processus inférentiels sociaux (théorie de l'esprit) et langagiers (compréhension du langage non-littéral) chez des enfants et adolescents avec un TSA comparativement à leurs témoins et 2) évaluer la progression développementale des enfants et adolescents avec un TSA participant à un GEHS portant spécifiquement sur les inférences sociales et langagières nécessaires au développement des habiletés conversationnelles.

Le Tableau 3 ci-après synthétise la présentation, les objectifs et hypothèses généraux de notre recherche.

Tableau 3. Présentation synthétisée de la recherche.

Présentation de la recherche :

En résumé, ce travail de recherche vise à approfondir notre compréhension des processus inférentiels chez les enfants et adolescents avec un TSA et à explorer des pistes de remédiations à travers la mise en place de GEHS. Ce travail de recherche comporte deux objectifs :

1) Etudier les trajectoires développementales concernant le développement des processus inférentiels sociaux (théorie de l'esprit) et langagiers (compréhension du langage non-littéral) chez des enfants et adolescents avec un TSA comparativement à leurs témoins.

Hypothèse générale n°1 : En ce qui concerne les inférences sociales et langagières, les performances des enfants et adolescents avec un TSA sont globalement inférieures à celles de leurs témoins sans TSA malgré une hiérarchisation identique des performances.

Hypothèse générale n°2 : La compréhension du langage non-littéral requiert des processus inférentiels nécessitant des compétences métareprésentationnelles (théorie de l’esprit) et des processus exécutifs.

2) Evaluer la progression développementale des enfants et adolescents avec un TSA participant à un GEHS portant spécifiquement sur les inférences sociales et langagières nécessaires au développement des habiletés conversationnelles. Nous postulons que ce GEHS pourra susciter les prises de perspective nécessaires à l’émergence d’habiletés sociales telles que les régulations des tours de parole et des règles conversationnelles. Il s’agira donc ici d’étudier l’évolution dynamique et longitudinale des performances des adolescents ayant participé à un GEHS.

Hypothèse générale n°3 : les habiletés conversationnelles des adolescents ayant participé au GEHS s’amélioreront au cours du suivi longitudinal notamment au niveau de l’initiation, la réponse et du maintien conversationnel.

Hypothèse générale n°4 : Les initiations, réponses et maintiens conversationnels entre les jeunes augmenteront tandis que les aides apportées par l’adulte diminueront.

Hypothèse générale n°5 : Le nombre total d’événements, incluant des initiatives, réponses et maintiens conversationnels, augmentera au cours du suivi longitudinal.