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CHAPITRE 6. ETUDE 1 -Trajectoires développementales des processus inférentiels

6. Traitements statistiques et analyse des données

6.2. Discussion de l’étude 1

6.2.2. Analyse des trajectoires développementales relatives aux inférences sociales

A propos des trajectoires développementales relatives aux inférences sociales, nous avions prédit que les participants avec un TSA auraient des performances inférieures à celles de leurs témoins pour tous les types d’inférences sociales présentées, c’est-à-dire aux épreuves de théorie de l’esprit de premier et de second ordre, ainsi qu’aux épreuves de maladresses sociales.

Même si l’ensemble des participants progressent entre les deux temps de mesures, nos résultats confirment notre hypothèse à savoir des compétences moindres chez les participants avec un TSA aux deux temps de mesure pour réaliser les inférences sociales.

Nos résultats concordent avec un grand nombre d’études montrant des difficultés chez les personnes avec un TSA sur les tâches sollicitant la théorie de l’esprit notamment à travers des tâches de fausses croyances ou impliquant la compréhension des maladresses sociales (Baron-Cohen, 1989, 2001 ; Baron-Cohen et al. 1999 ; Garcia-Molina & Clemente-Estevan, 2019 ; Happé, 1995 ; Le Sourn-Bissaoui et al., 2009 ; Moran et al., 2011 ; Pedreño et al. 2017 ; Peterson et al., 2012 ; Steele et al., 2003; Tager-Flusberg & Sullivan, 1994 ; Thiébaut et al., 2016 ; Zalla et al. 2008, 2009).

Cependant, nos résultats se dissocient de certaines études montrant des compétences analogues entre des sujets porteurs d’un TSA et leurs pairs d’âge pour résoudre les tâches de fausses croyances. Ces recherches laissent penser que ce type de tâches seraient faciles d’un point de vue développemental pour les enfants, et surtout pour les adolescents (Bowler, 1992 ; Dahlgren & Trillingsgaard, 1996 ; Happé & Frith, 1996). Ces conclusions discordantes peuvent renvoyer aux limites du modèle explicatif de la théorie de l’esprit pour rendre compte de l’ensemble des difficultés sociales des personnes avec un TSA (Dahlgren & Trillingsgaard, 1996). Les tâches de fausses croyances pourraient aussi s’avérer insuffisantes pour mesurer toute la complexité du concept de la théorie de l’esprit (Pedreño et al. ,2017). Il est aussi possible que ces résultats contradictoires soient le reflet de l’hétérogénéité des potentielles trajectoires développementales des sujets porteurs d’un TSA pouvant montrer des compétences plus ou moins développées en termes de théorie de l’esprit. Ces apparentes contradictions peuvent aussi être tributaires des différentes méthodologies utilisées pour mesurer les capacités de théorie de l’esprit chez les sujets atteints d’un TSA (caractéristiques des participants, manière de présenter les tâches, appariements, effet d’autres facteurs comme le niveau verbal des participants, etc.). Par exemple, dans la recherche de Bowler (1992) les sujets atteints d’un TSA et ne présentant pas de troubles montrent un taux de réussite équivalent sur des scénarios mettant en scène des fausses croyances de 1er et 2nd ordre. Néanmoins, les participants étaient adultes (environ 26 ans), donc peut-être plus avancés d’un point de vue développemental, que les jeunes participants de notre étude. Bowler (1992) précise que les jeunes adultes porteurs d’un TSA participant à cette recherche recourent peu aux termes mentaux pour expliquer leur choix, signe ici peut-être à nouveau des difficultés inférentielles plus complexes liées à la représentation des états mentaux. D’ailleurs, selon certains travaux, seuls certains sujets atteints d’un TSA sans déficience intellectuelle seraient à même de réussir les tâches de fausses croyances de second ordre (Le Sourn-Bissaoui et al., 2009). Les difficultés rattachées à la réalisation d’inférences sociales apparaissent également plus uniformes à travers les protocoles

utilisant des tâches de théorie de l’esprit plus complexes, comme celles impliquant la compréhension des faux pas (Baron-Cohen, 2001 ; Baron-Cohen et al. 1999 ; Le Sourn-Bissaoui et al., 2009 ; Moran et al., 2011 ; Pedreño et al. 2017 ; Peterson et al., 2012 ; Thiébaut et al., 2016 ; Zalla et al., 2009).

Nos résultats divergent de ceux de Zalla et al. (2009) trouvant des performances équivalentes chez les adultes avec ou sans TSA pour détecter des maladresses sociales.

Cependant, à nouveau il s’agit d’une population adulte et comme nous l’avons explicité dans la section 2.3 du chapitre 2, l’analyse qualitative des réponses met tout de même en exergue des différences significatives concernant la compréhension des intentions et des croyances des protagonistes. Chez une population adulte, Thiébault et al., 2016 constatent aussi des résultats différents de notre étude avec un taux de réussite équivalent chez tous les participants présentant un TSA ou non. Néanmoins, ces chercheurs observent un phénomène de « suridentification » chez les participants avec un TSA des maladresses sociales au sein de récit n’en contenant pas.

Cette tendance à percevoir des faux-pas là où il n’y en pas constitue aussi un signe de confusion pour saisir les maladresses sociales.

Plusieurs auteurs supposent aussi des mécanismes compensatoires chez les personnes présentant un TSA pour résoudre les tâches sollicitant la théorie de l’esprit. Dès 1995, Happé, montre que les enfants atteints d’un TSA nécessitaient un âge verbal plus élevé que leurs témoins pour résoudre les tâches de fausse croyance. Nous avons également détaillé dans le chapitre 2 la manière dont les personnes présentant un TSA pouvaient s’appuyer sur des considérations davantage morales et normatives pour expliquer les maladresses des personnages (droit d’évoquer un avis personnel, transgressions d’une règles sociale apprise, etc.) (Zalla et al.2009). Pour Zalla et al. 2009, ces considérations normatives pourraient venir compenser de manière assez rigide un défaut de théorie de l’esprit. Enfin, comme pour la compréhension de l’ironie, nous avons donné pour exemple des études mettant en évidence un traitement cognitif plus coûteux pour identifier les maladresses sociales (cf. Section 2.3 du chapitre 2), même lorsque les résultats aboutissent à un taux de réussite équivalent entre les participants porteurs ou non d’un TSA (Thiébault, 2016).

Par ailleurs, si nos résultats laissent transparaître de moindres performances chez les enfants et adolescents porteurs d’un TSA pour résoudre les tâches de fausses croyances de 1er et 2nd ordre, on observe aussi une progression entre nos deux temps de mesure. Comme pour le langage non-littéral, les difficultés inférentielles des sujets atteints d’un TSA ne

temps, peut-être sous l’influence d’autres facteurs. En ce sens, certains chercheurs font l’hypothèse d’une progression plus lente mais significative de la théorie de l’esprit chez les enfants avec un TSA (Happé, 1995 ; Steele et al., 2003)