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Définition, cadre thérapeutique et bref historique auprès des enfants en pédopsychiatrie

CHAPITRE 7. Etude 2. Elaboration et Evaluation d’un Groupe d’habiletés sociales

2. La remédiation cognitive dans le champ des habiletés sociales

2.1. Définition, cadre thérapeutique et bref historique auprès des enfants en pédopsychiatrie

Nos ressources cognitives influencent fortement nos possibilités d’adaptation (Rigard et al., 2016) et donc l’évolution de nos habiletés sociales et conversationnelles. Les particularités des personnes avec un TSA transparaissaient aussi à travers des comportements sociaux et conversationnels perturbés (cf. Sections 1 et 2 Chapitre 4). Le lien existant entre les inférences pragmatiques et les habiletés conversationnelles (cf. Section 1 du Chapitre 4) amènent à penser que le traitement inférentiel nécessaire à la compréhension des états mentaux en situation de conversation, pourrait faire l’objet d’un travail de remédiation cognitive.

La remédiation cognitive vise à soutenir les capacités d’adaptation personnelle, en agissant sur les fonctions cognitives et métacognitives (Franck, 2012 ; Amieva et al., 2019). Il s’agit de mettre en place un cadre thérapeutique bénéfique pour soutenir le sujet dans son développement et sa compréhension du monde environnant, afin de l’aider à s’y ajuster (Paour et al., 2009). L’objectif général de la remédiation cognitive est d’agir sur les mécanismes contribuant à la structuration et la cohérence des pensées, en intégrant leurs dimensions émotionnelles. La perturbation du développement de ces processus, impacte directement les possibilités d’adaptation des enfants au monde (Paour et al., 2009). En cherchant à favoriser l’efficience cognitive et la connaissance de soi, ce type d’accompagnement vise une amélioration du sentiment de bien-être et d’autonomie sur le long terme (Baudon-Vanesse, 2017). Dans le cadre de la cognition sociale, les remédiations cognitives peuvent s’orienter vers un travail sur « les processus engagés dans la lecture intentionnelle. Inférer les intentions d’autrui permet de comprendre et de prévoir son comportement et donc d’interagir positivement avec lui » (Franck, 2012, p. 135). Les habiletés sociales, dont les compétences conversationnelles font partie intégrante, apparaissent donc comme un objectif d’accompagnement pertinent, notamment pour les jeunes présentant un TSA pour lesquels l’accès aux codes sociaux et à l’implicite du langage se complexifient (cf. Section 2.3 du Chapitre 2).

L’introduction de cette pratique auprès des enfants et adolescents en pédopsychiatrie est apparue relativement récemment (Lussier et al., 2018). Au début du XXème siècle, les travaux traitant de la neurologie chez l’adulte aboutissent à la mise en place des premières remédiations cognitives. Celles-ci se déploient plus tardivement en psychiatrie (Prouteau & Laroi, 2019). En effet, l’implication clinique des neurosciences dans ce domaine est récente (Lussier et al., 2018). Elle se base sur les troubles cognitifs repérés chez les patients présentant des pathologies psychiatriques, initialement dans le champ de la schizophrénie, ainsi que sur les bénéfices effectifs de la remédiation cognitive démontrés sur le plan scientifique et expérimental (Amieva et al., 2019 ; Doyen et al., 2015 Franck, 2012 ; Lussier et al., 2018). Depuis une vingtaine d’années, leur pratique s’étend auprès des enfants et des adolescents (Lussier et al., 2018).

La pratique de la remédiation cognitive se fonde sur la notion de plasticité cérébrale (Baudon-Vanesse, 2017 ; Lussier et al., 2018 ; Renou & Doyen, 2019). Lussier et al. (2018) expliquent que la progression des techniques d’investigation en neuroscience, met en lumière l’évolution de la maturation cérébrale prénatale (naissance de cellules, migration cellulaire, différenciation cellulaire, maturation cellulaire, début de la synaptogenèse) et post- natale

(synaptogenèse, mort cellulaire, myelogénèse). Globalement, ces auteurs décrivent trois aspects successifs de la plasticité cérébrale. Le premier correspondrait à une phase d’organisation corticale déterminée par la génétique. La seconde phase serait celle de « la synaptogenèse concurrente », entraînant une élimination compétitive et une amplification sélective des circuits neuronaux. Ces phénomènes favorisent l’optimisation et la spécialisation des fonctions cognitives. Selon Lussier et al. (2018), la 3ème phase renvoie à la modification de ces réseaux neuronaux sous l’effet de contraintes internes et/ou environnementales. Les modifications synaptiques engendrées par ces influences témoignent de l’adaptation continue du cerveau au cours de la vie. La remédiation cognitive s’appuie donc sur l’hypothèse d’une possible influence de cette pratique sur la structuration de la pensée en lien avec son environnement (Doyen et al., 2015).

Sur le plan clinique, la remédiation cognitive porte initialement sur un principe de restauration de la fonction lésée (Franck, 2012). En effet, lorsque cette méthode émerge, elle s’adresse initialement aux adultes, notamment ceux ayant subi des lésions cérébrales. Elle s’avère davantage centrée sur un principe d’entraînements répétitifs à partir de médiation ciblant les processus cognitifs déficitaires à travailler (Douet, 2014 ; Franck, 2012). Dans ce cadre, quatre axes de réhabilitation peuvent être envisagés. D’une part, la « restauration » ou le

« rétablissement » s’appuie sur des processus mis en œuvre dans le fonctionnement « normal » par le biais de stimulations répétées (Eustache & Faure, 2000). Cet axe de rééducation concerne les représentations et les processus d’apprentissage. Il s’appuie sur des techniques de stimulations répétées (comme l’entraînement répétitif des fonctions d’attention par exemple).

D’autre part, le suivi neuropsychologique peut se baser sur des stratégies de « réorganisation ».

L’intervention de remédiation cherche à favoriser l’accès aux mêmes fonctions mais en les faisant s’appuyer sur une organisation différente du processus. En fait, il s’agit de réorganiser la fonction ciblée en faisant intervenir d’autres composantes de traitement plus efficaces. Les stratégies d’optimisation constituent également un principe de travail des accompagnements mis en place. Cela renvoie à l’exploitation de manière plus optimale des fonctions préservées.

Enfin, les stratégies de compensation ou de substitution renvoient à l’élaboration d’un ensemble de modifications de l’environnement ou d’aides externes contribuant à la diminution des conséquences du trouble cognitif dans la vie quotidienne (aménagement des conditions d’exercices, aide-mémoire, séquençage et scénario visuel, etc.).

Dans un premier temps, les professionnels pratiquant la remédiation chez l’enfant empruntent aux méthodes élaborées pour les adultes (Lussier et al., 2018).

Par la suite, plusieurs chercheurs et praticiens cherchent à faire évoluer la pratique de la remédiation cognitive afin de l’adapter à d’autres populations, notamment aux enfants présentant des troubles neurodéveloppementaux (Douet, 2001, 2014 ; Lussier, 2008, 2013 ; Radillo, 2009). Les modèles théoriques de la psychologie du développement soutiennent aussi le bienfondé de la remédiation cognitive chez l’enfant (Bader, 2014 ; Lussier et al., 2018 ; Paour et al., 2019). Ces théories accordent une place primordiale à la communication et l’ancrage social du langage dans le développement de l’enfant et la réussite de la remédiation proposée (Bader, 2014 ; Baudon-Vanesse, 2017 ; Feuerstein, 1990 ; Lussier et al., 2018 ; Paour et al., 2019). Initialement, cette méthode s’appuie sur les travaux de Feuerstein (1990) mettant en évidence la notion d’apprentissage médiatisé (Baudon-Vanesse, 2017). La croyance en « la modifiabilité » de l’individu, quel que soit son âge et les difficultés qu’il rencontre, fondent les idées de cet auteur. Ici, la médiation est d’abord pensée comme une interaction relationnelle dont la qualité va permettre à l’enfant d’utiliser ses expériences pour devenir acteur d’un processus d’apprentissage et d’adaptation face à son environnement. Feuerstein (1990) explique que sans médiation, il ne peut exister de changement. Le rôle crucial du médiateur, interprétant les expériences de l’enfant et guidant ses réflexions, doit répondre à certains critères qualitatifs pour être opérant : intentionnalité réciproque, « transcendance » (ces apprentissages s’inscrivent de manière cohérente dans le temps, au-delà du principe d’immédiateté) et enfin la signification.

L’ensemble de ces éléments se rapproche des théories socio-constructivistes pour lesquelles les interactions entre l’adulte et l’enfant constituent un médiateur crucial dans le développement de l’enfant en lien avec son environnement. Cette vision socioconstructiviste du développement est majoritairement portée par les théories des célèbres psychologues et chercheurs Vygotski (1896-1934) et Bruner (1915-2016). Ces principes de médiations constituent l’un des socles de la remédiation cognitive auprès de l’enfant (Bader, 2014 ; Baudon-Vanesse, 2017 ; Bruner, 1983 ; Lussier et al., 2018 ; Paour et al., 2009 ; Perret, 2016 ; Vygotsky, 1985). L’approche socio-constructiviste du développement repose sur l’idée que le langage et les interactions constituent des outils sociaux déterminants dans l’évolution des fonctions mentales supérieures (Bideaud et al., 1993). Le mouvement socio-constructiviste se base sur la progression indissociable et interactive du développement langagier et cognitif (Bideaud et al., 1993). En effet, les travaux de Vygotsky et Bruner placent le développement du langage et de la verbalisation intérieure de l’enfant, comme essentiels à la structuration de la pensée (Bideaud et al., 1993). En effet, comme pour la théorie de l’apprentissage médiatisé

citée ci-dessus, Bruner et Vygotsky démontrent que l’enfant construit ses connaissances à partir de ses expériences actives sur son environnement et des outils sociaux fournis et ajustés par l’adulte.

Ces courants théoriques réfutent l’idée selon laquelle les facteurs endogènes président au développement des individus, et priorisent le rôle des interactions sociales et de l’environnement sur le développement (Deleau, 1999 ; Guerini, 2017). Selon Vygotsky, le développement des fonctions supérieures (attention volontaire, mémoire logique, concepts, raisonnement et activité langagière) résulte de la communication elle-même (Guerini, 2017 ; Siksous, 2008). Cette évolution s’opère via l’intégration progressive des outils psychologiques transmis à l’enfant par l’adulte au cours de son développement (Guerini, 2017). De manière générale, ces instruments constituent une forme d’abstraction permettant de représenter le monde (comme différents types de langage oral ou écrit, manières de compter et calculer, schéma, art, etc.) et permettent à la pensée de se structurer (Guerini, 2017). Ces signes, médiatisés vont permettre à l’enfant de développer son raisonnement et comprendre le monde qui l’entoure. Grâce aux relations interpersonnelles, l’enfant accorde progressivement une signification aux outils psychologiques et se les approprie. En ce sens, Vygotsky conceptualise la loi de double formation. Ce passage de l’inter à l’intrapsychique est fréquemment évoqué dans la littérature à travers cette citation de Vygotsky (Guerini, 2017) :« Dans le développement culturel de l’enfant, toute fonction apparaît deux fois : dans un premier temps entre personnes (interpsychique) et dans un deuxième temps à l’intérieur de l’enfant lui-même (intrapsychique).

Ceci peut s’appliquer de la même façon à l’attention volontaire, à la mémoire logique et à la formation des concepts. Toutes les fonctions supérieures trouvent leur origine dans les relations entre les êtres humains » (p. 19).

Cette transmission s’opère par le biais de la communication sociale visant à étayer le développement de la pensée de l’enfant. Vygotsky théorise ensuite cet étayage à travers la notion de « zone proximale de développement ». Celle-ci correspond aux fonctions psychiques supérieures en émergence (Guerini, 2017). L’auteur distingue deux niveaux de réalisation chez l’enfant pour expliquer la manière dont celui-ci intériorise les outils psychologiques, et individualise ses fonctions psychiques (Guerini, 2017 ; Perret, 2016). Le premier correspond à ce que l’enfant est capable de faire de manière autonome à un moment donné, et le second à ce que l’enfant pourra faire avec l’aide de l’adulte. La zone proximale de développement se situe entre ce que l’enfant sait faire, et ce qu’il parviendra à réaliser avec l’aide de l’adulte par le biais des outils psychologiques.

La zone proximale de développement est la distance entre ce que l'enfant réalise quand il est seul, et ce qu'il peut réaliser quand l'adulte apporte des instruments psychologiques adaptés (Guerini, 2017). La finalité de ce processus est d’amener l’enfant à faire seul sans l’étayage de l’adulte. Ce cadre théorique englobe la perspective développementale dans laquelle nous inscrivons la mise en place du GEHS visant à développer les habiletés conversationnelles d’adolescents avec un TSA. En effet, nous décrirons ci-après la manière dont nous avons ajusté nos médiations aux besoins et particularités de nos participants, et créer un climat de confiance pour le groupe (cf. Section 4 du Chapitre 7).

Bruner s’inscrit dans la continuité de cette théorie socio-constructiviste en accordant une place prépondérante aux interactions dans le développement de l’enfant. En effet, une partie des travaux de Bruner illustre le concept de zone proximale de développement en spécifiant qualitativement les interactions entre l’adulte et l’enfant face à un problème à résoudre (Delahousse, 2017 ; Guerini, 2017). Cet ancrage social du langage permet à l’adulte de guider l’enfant dans ses expérimentations (Delahousse, 2017 ; Guerini, 2017). Cette analyse est issue de l’étude initiale de Wood, Ross et Bruner (1976) qui avaient étudié les comportements interactifs d’une trentaine d’enfants âgés entre 3 et 5 ans avec un de leur parent en situation de résolution de problème ludique (construction d’une pyramide en cubes) (Guerini, 2017). Les auteurs ont mis en avant des schémas interactifs au sein desquels l’adulte étaye l’enfant en prenant appui sur différents comportements de tutelles. Leurs observations et cotations permettent de catégoriser ces aides apportées par l’adulte (Guerini, 2017 ; Perret, 2016 ; Wood et al., 1976).

Le premier type de comportement étayant concerne la fonction « d’enrôlement dans la tâche ». L’adulte cherche à susciter l’intérêt de l’enfant. Cet engagement est permis par les caractéristiques propres de la tâche, mais surtout par la qualité de la relation qui va s’installer entre l’enfant et l’adulte.

Le deuxième comportement détaillé dans l’étude de Wood et al. (1976) est celui de « la réduction des degrés de liberté ». Cette formulation renvoie à la manière dont l’adulte va ajuster la tâche pour que celle-ci demeure accessible à l’enfant. Perret (2016) fait alors le lien avec la zone proximale de développement théorisée par Vygotski, car le médiateur pense son intervention afin qu’elle se situe entre l’état de développement actuel et l’état de développement potentiel de l’enfant (Montandon, 2016 ; Perret, 2016). Ce principe de transmission rejoint les réflexions de Bruner (1983) qui explique que l’adulte est amené à mettre à disposition des outils

ce processus interactif à une « simplification du réel » (p. 404) permettant au sujet d’intégrer et de s’approprier ces nouvelles connaissances (Bruner, 1983 ; Bideaud et al., 1983). Cette dimension interactive de la médiation renvoie également à cette notion de passage entre une forme interpersonnelle d’apprentissage vers une appropriation intrapsychique des processus assimilés (Montandon, 2016). Cibler ce développement potentiel représente un principe essentiel de la remédiation cognitive.

Se situer dans la zone proximale de développement permet aussi de favoriser la 3ème fonction d’étayage explicitée dans l’étude de Wood et al. (1976), c’est-à-dire « la fonction de l’orientation et de régulation de l’engagement attentionnel de l’enfant ». Il est important de penser le matériel de la tâche en fonction des éléments de réflexions et des informations que nous voulons mettre en lumière aux yeux de l’enfant. Il s’agit aussi d’aménager le cadre de travail et la tâche afin de limiter les sources de distraction en fonction des particularités et des besoins du sujet. L’adulte guide l’enfant en suivant les étapes permettant de l’orienter vers le but de la tâche (Guerini, 2017).

Le quatrième comportement de tutelle décrit par Bruner est celui du « signalement des caractéristiques déterminantes » pour résoudre la tâche. Le tuteur souligne les éléments à prendre en considération pour réduire l’écart entre la production actuelle du sujet et le résultat attendu (Guerini, 2017 ; Wood et al., 1976).

Bruner détaille ensuite « le contrôle de la frustration » comme cinquième attitude d’étayage. Cet aspect de l’intervention de l’adulte rejoint aussi la notion de zone proximale de développement dans le sens où le médiateur cherche à maintenir un niveau de difficultés cohérent avec le potentiel de l’enfant (Perret, 2016). Un degré d’exigence trop important pourrait majorer le sentiment d’échec et de frustration ressenti face à une situation problème et ainsi d’engendrer des processus défensifs comme l’évitement voire le refus. A l’inverse, les aides progressives de l’adulte ont pour but d’enrayer ce cercle vicieux, afin de développer des dynamiques d’ouvertures et d’apprentissage vers ce qui faisait empêchement auparavant (Perret, 2016). Il s’agit ainsi d’encourager la motivation de l’enfant pour la tâche (Guerini, 2017 ; Wood et al. 1976).

Le dernier type d’aide évoqué dans l’étude de Wood et al. (1976) est celui de la

« démonstration ». Il s’agit d’une forme de modélisation de la tâche à accomplir sous une forme partielle ou idéale afin de permettre à l’enfant de l’imiter puis de se l’approprier. L’imitation favorise le passage entre l’inter et l’intrapsychique énoncé précédemment.

L’action d’imiter constitue une base pour une zone proximale de développement (Guerini, 2017). Ces schémas interactifs sont sources d’expérimentations pour l’enfant qui apprend à interpréter les intentions communicatives du locuteur (Wood et al., 1976).

Ainsi, le courant socio-constructivisme insiste sur le rôle primordial de l’environnement social et du langage. Ce mécanisme de co-construction advient principalement lors des situations interactives avec l’adulte inextricablement liées au contexte socio-culturel (Bideaud et al., 1993 ; Lussier et al., 2018 ; Perret, 2016 ;). C’est aussi dans ce cadre que la remédiation cognitive des processus inférentiels sociaux et langagiers en groupe s’avère pertinente. Si notre étude n’a pas pour objet l’examen détaillé des caractéristiques intrinsèques de ce mouvement, il semble important de souligner que la pratique de la remédiation cognitive dans laquelle s’inscrivent les GEHS, relève de ces principes fondamentaux. En effet, cette représentation de l’autre et du langage comme médiateurs guide notre positionnement auprès des enfants et adolescents que nous recevons dans les groupes. Cette approche socio-constructiviste a contribué aux réflexions concernant le rôle du médiateur.