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CHAPITRE 2. Des Difficultés Langagières Et Sociales : Quel Point Commun ?

2. La Théorie de l’esprit : Développement typique et atypique

2.3. Les capacités de théorie de l’esprit chez les enfants et adolescents avec un TSA

Il existe un consensus empirique sur le développement sociocognitif atypique chez les personnes avec un TSA. Néanmoins, les recherches continuent d’investiguer les mécanismes explicatifs de cette caractéristique (Plumet 2011). Nous avons vu, dans le chapitre 1, que le TSA impactait très précocement le développement social, et perturbait ainsi la mise en place des prérequis essentiels au développement d’une théorie de l’esprit comme l’orientation du regard, l’attention conjointe et la réciprocité sociale (Cilia et al., 2018 ; Guidetti et al., 2004).

La notion de théorie de l’esprit déficitaire chez les personnes atteintes d’un TSA provient initialement des premiers travaux de Baron-Cohen (1989). Celui-ci fait l’hypothèse d’un développement troublé des capacités méta-représentatives permettant de construire une théorie de l’esprit chez les participants avec un TSA. L’auteur compare les compétences d’enfants avec TSA avec celles d’enfants au développement typique et d’enfants avec une trisomie 21. Cette étude s’appuie sur le protocole de changement de localisation « Sally et Ann » (Perner &

Wimmer, 1985) impliquant des inférences de 1er ordre. Les résultats montrent les moindres performances des participants avec TSA avec un biais égocentrique plus important pour la tâche de fausse croyance, en dépit de leur âge mental et niveau verbal supérieurs.

Des auteurs font l’hypothèse d’une acquisition plus lente de la théorie de l’esprit chez les enfants avec un TSA (Happé, 1995), malgré une amélioration significative de cette habileté dans le temps (Steele et al., 2003). Cette progression pose la question de la sensibilité de certaines épreuves de Théorie de l’esprit, habituellement réussies à l’âge de 4 ans chez les enfants typiques, et proposées à des enfants avec un TSA bien plus âgés (Bernstein et al, 2012 ; Scheeren et al., 2013). Ces choix méthodologiques contribuent également à expliquer les résultats parfois controversés retrouvés dans la littérature concernant l’existence d’une difficulté spécifique dans les épreuves de théorie de l’esprit chez les individus présentant un TSA (Pedreño et al., 2017). En effet, des études montrent que des enfants TSA sans déficience intellectuelle obtiennent des résultats équivalents aux enfants typiques aux tâches de fausses croyances (Bowler , 1992 ; Dahlgren & Trillingsgaard, 1996 ; Happé & Frith, 1996), même si les épreuves impliquant des inférences de second ordre demeureraient plus difficiles d’accès pour les participants avec un TSA (Baron-Cohen, 2001; Bowler, 1992, Peterson et al., 2012 ; Tager-Flusberg & Sullivan, 1994). Le niveau cognitif et langagier du sujet est aussi reconnu comme un facteur influençant considérablement la réussite aux tâches de théorie de l’esprit (Pedreño et al. 2017).

Les tâches de théorie de l’esprit avancée, comme les épreuves de détection des faux-pas, apparaissent plus sensibles aux difficultés des enfants et adolescents avec un TSA qui se trouvent plus en difficultés que leurs témoins pour résoudre ce type d’épreuves (Baron-Cohen, 2001 ; Baron-Cohen et al. 1999 ; Le Sourn-Bissaoui et al., 2009 ; Moran et al., 2011 ; Pedreño et al. 2017 ; Peterson et al., 2012 ; Thiébaut et al., 2016 ; Zalla et al., 2009, 2014). Cependant, concernant les épreuves de maladresse sociale, il semble y avoir une progression développementale pour les personnes avec un TSA. Chez l’enfant, l’étude princeps de Baron-Cohen et al. (1999) met en évidence une identification moindre des faux-pas par les enfants présentant un TSA que les enfants témoins, alors même qu’ils réussissent les tâches de fausses croyances de premier et second ordre. Baron Cohen et al. (1999) modifient ensuite le protocole initial en mêlant des histoires contenant une maladresse sociale parmi d’autres sans faux pas.

Sous cette forme, les jeunes présentant un TSA repèrent quand personne ne commet d’impair, mais se trouvent à nouveau en difficulté pour retrouver les histoires avec des faux pas. Pedreño et al (2017) trouvent des résultats similaires auprès d’adolescents atteints de TSA, malgré une compréhension des récits équivalente entre les participants avec et sans TSA. La compréhension des faux-pas serait tout de même facilitée par une présentation à la fois visuelle et verbale des histoires, même si les performances des participants porteurs d’un TSA restent significativement inférieures aux enfants présentant un développement typique (Garcia-Molina

& Clemente-Estevan, 2019). Chez l’adulte, Zalla et al. (2009), à partir du protocole princeps de Baron-Cohen et al. (1999), ne retrouvent pas de différences entre les adultes avec un TSA et leurs témoins au niveau de la capacité à identifier la maladresse sociale. Néanmoins, il existe tout de même des différences significatives entre les deux groupes notamment en termes de métareprésentation. En effet, les questions ciblant l’intentionnalité et les émotions des personnages mettent plus en difficultés les participants porteurs d’un TSA. Même si ces derniers perçoivent les indélicatesses, ils peinent à expliquer ce qui les sous-tend et la manière dont cela peut impacter autrui (Zalla et al., 2009). Ces difficultés pour se représenter l’état mental d’un locuteur sont aussi repérées dans les travaux d’Happé (1995) qui utilise le protocole des Histoires étranges incluant des maladresses sociales. L’examen des réponses montre que les participants avec TSA fournissent des explications inappropriées au contexte sur l’état mental des personnages (Happé, 1994).

De plus, dans cette étude, les performances des participants aux épreuves de théorie de l’esprit dites avancées sont corrélées au niveau de réussite aux tâches de théorie de l’esprit de premier et second ordre. Zalla et al. (2009) expliquent que les participants avec un TSA

mentionnent peu la croyance erronée du personnage commettant une maladresse. Les auteurs indiquent que les justifications des personnes porteuses d’un TSA font fréquemment référence à des actes volontairement transgressifs d’une règle établie ou bien malintentionnés. En revanche, les participants sans TSA se montrent capables de saisir la dimension involontaire du faux-pas qu’ils ont perçu. Zalla et al., (2009) suggèrent que les individus présentant un TSA auraient tendance à interpréter les actes maladroits comme intentionnels en s’appuyant sur le droit d’évoquer un avis personnel, ou bien une morale et des règles sociales apprises au cours du temps. Ces considérations normatives viendraient compenser de manière assez rigide un défaut de théorie de l’esprit empêchant la représentation intersubjective des états mentaux (Zalla et al., 2009). Le développement de la théorie de l’esprit étant perturbé dès la toute petite enfance, les sujets atteints d’un TSA développeraient une théorie de l’esprit fondée sur un apprentissage progressif résultant d’une autre forme de raisonnement, davantage intellectualisé et logique qu’émotionnel et subjectif (Zalla et al., 2009). Happé (1995) supposait déjà dans ces travaux que les sujets porteurs d’un TSA pouvaient compenser leurs difficultés relatives à la théorie de l’esprit par d’autres mécanismes cognitifs. Par ailleurs, cette étude met en lumière un autre élément intéressant pour appréhender la manière dont les individus porteurs d’un TSA réalisent des inférences sociales. En effet, s’ils identifient correctement les histoires contenant des faux-pas, les sujets avec un TSA tendent également à percevoir des maladresses au cours des récits qui ne contiennent pourtant aucun quiproquo (Zalla et al., 2009). Cette propension est retrouvée dans d’autres travaux évaluant la perception des faux pas chez des adultes porteurs d’un TSA. Par exemple, Thiébaut et al. (2016) s’appuient également sur les récits issus des travaux de Baron-Cohen (1999). Cependant, les histoires, avec ou sans faux-pas, sont présentées sous forme de bande-dessinée. A la fin des saynètes, il est stipulé “embarrassant ?”.

Des questions de compréhension, ne faisant pas appel aux capacités de théorie de l’esprit, sont ensuite posées. A nouveau, les participants avec un TSA identifient aussi bien que leurs pairs sans TSA les maladresses des personnages, et ce malgré un niveau de compréhension semblable dans les deux groupes. En revanche, les personnes présentant un TSA montrent à nouveau une tendance à surdétecter la présence de faux-pas dans les vignettes qui n’en contiennent pas.

Les auteurs suggèrent que cette tendance au “faux positif” pourrait ainsi témoigner d’une sensibilité excessive à la gêne et de confusions pour discerner l’indélicatesse d’un interlocuteur. Par ailleurs, leurs résultats convergent avec ceux d’autres recherches (Hillier &

Allinson 2002) s’appuyant pourtant sur des protocoles différant des versions initiales de Baron-Cohen (1999).

Enfin, comme pour la compréhension de l’ironie, des résultats uniformes pour identifier les « faux pas » peuvent masquer un traitement cognitif plus coûteux chez les personnes atteintes d’un TSA. En effet, les participants avec un TSA marquent un temps de réponses plus long que leurs pairs au développement typique. Cette lenteur pourrait refléter une charge cognitive plus importante pour élaborer les inférences nécessaires à la résolution de ces tâches de théorie de l’esprit avancée (Thiébaut et al., 2016).

2.4. Langage non-littéral et théorie de l’esprit : une question d’inférence