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CHAPITRE 6. ETUDE 1 -Trajectoires développementales des processus inférentiels

1. Introduction

Au cours du premier chapitre concernant la description clinique du TSA, nous mettons en évidence la persistance de l’altération des aspects non-littéraux du langage chez les personnes présentant un TSA. Ces difficultés sont perceptibles et pénalisantes, même lorsque les capacités langagières et cognitives des enfants et adolescents porteurs d’un TSA sont préservées (Eigsti et al., 2011 ; Kalandadze et al., 2018 ; Plumet, 2020 ; Vermulen, 2019)

Dans le second chapitre, nous avons expliqué la manière dont la compréhension du langage non-littéral est déterminée par les processus inférentiels donnant accès au vouloir dire derrière les dires (Laval, 2016 ; Laval et al., 2016). Cet entre-deux correspond à l’implicite du discours dépendant du traitement inférentiel. De manière générale, comprendre un énoncé non-littéral nécessite donc la synergie de plusieurs indices contextuels, sémantiques et pragmatiques, afin d’inférer l’état mental du locuteur et de saisir l’intentionnalité tacite du locuteur (Laval, 2016 ; Laval et al., 2016 ; Le Sourn-Bissaoui & Dardier, 2016). Nous avons ensuite exploré le développement de ces processus inférentiels pragmatiques dans le cadre du développement typique et du TSA, à travers la compréhension de trois formulations non-littérales (les demandes indirectes, expressions idiomatiques et l’ironie), et de trois types d’inférences sociales (les fausses croyances de premier et de second ordre, puis les maladresses sociales) (cf.

Sections 1 et 2 du Chapitre 2). Au cours du développement typique la compréhension du langage non-littéral progresse avec l’âge (Aguert et al., 2016 ; Bernicot et al., 2007 ; Bosco &

Gabbatore, 2017 ; Clée, 2015 ; Filippova & Astington, 2010 ; Hattouti et al., 2016 ; Laval et al., 2006 ; Whyte et al., 2014). En effet, les enfants comprennent des formulations non-littérales plus complexes en grandissant. Plus l’opacité entre la signification littérale et le sens figuré s’intensifie, plus les processus inférentiels sont nécessaires à la compréhension de la dimension

implicite de l’énoncé (Calmus & Caillies, 2014). L’analyse sémantique s’avère insuffisante et doit être associée aux inférences pragmatiques et sociales pour comprendre l’état mental du locuteur (Bernicot, 2000 ; Calmus & Caillies, 2014 ; Wilson, 2013). Ainsi, la compréhension des demandes indirectes est possible avant celle des expressions idiomatiques qui advient avant l’ironie (Bosco & Gabbatore, 2017) (cf. Section 1 du Chapitre 2). Nous avons aussi mis en évidence l’interdépendance existant entre l’interprétation illocutionnaire et les aptitudes cognitivo-sociales du récepteur (cf. Sections 2.4 du Chapitre 2). Cette dimension socio-cognitive rattachée à la compréhension du langage figuré pourrait être rapprochée de la notion de théorie de l’esprit (cf. Section 2 du Chapitre 2). Ces notions de représentation de l’état mental de l’orateur en fonction de ses dires et du contexte, renvoient au lien existant entre des inférences langagières et sociales prenant appui sur le cadre conceptuel de la théorie de l’esprit (cf. Section 2.1 du Chapitre 2).

A travers la section 2.2 du chapitre 2, nous nous sommes plus spécifiquement intéressés au développement de ces inférences sociales chez les enfants présentant un développement typique et les enfants avec un TSA. En prenant appui sur plusieurs travaux (Astington et al., 2002 ; Badoud et al., 2016 ; Baron-Cohen, 2000 ; Baron-Cohen et al., 1985 ; Bernstein, 2018, Blakemore, 2012; Carpenter et al., 1998 ; Chanoni & Jacquet, 2003 ; Gaulmyn, 2015 ; Liszkowski et al., 2006; Nader-Grobois & Thirion-Marissiaux, 2011 ; Nelson et al., 2016 ; Tousignant et al., 2017 ; Slaughter, 2015 ; Wellman, 2018 ; Wellman et al., 2001; Wellman &

Liù, 2004 ; Perner & Wimmer, 1985 ; Yott & Poulin-Dubois, 2016 ; Zalla et al., 2009, 2014), nous avons retracé une trajectoire développementale typique allant d’un niveau de présentation vers un niveau progressif de représentation des états mentaux de plus en plus perspicace (Duval et al., 2011). Cette progression débute durant la toute petite enfance par une connaissance implicite des états mentaux de 0 à 2 ans (cf. Section 2.2.1 du Chapitre 2) pour s’orienter vers une connaissance explicite des états mentaux d’autrui à travers la réalisation d’inférences de plus en plus complexes. (cf. Sections 2.2.2 et 2.2.3 du Chapitre 2). Celles-ci permettent progressivement d’adopter la perspective d’autrui pour avoir une compréhension plus subtile de son point de vue et de ses intentions inscrites dans un contexte social (Banerjee et al., 2011).

Concernant le développement des processus inférentiels chez les enfants et adolescents porteurs d’un TSA, il existe une variabilité des résultats semblant dépendre de la diversité des méthodologies employées dans ce domaine (comme le niveau de complexité des formulations non-littérales étudiées, l’âge ou le niveau cognitif et langagier des participants) ou de potentiels mécanismes compensatoires (Begeer et al., 2012; Bowler , 1992; Dahlgren & Trillingsgaard,

1996 ; Deliens et al., 2018 ; Happé & Frith, 1996 ; Kissine et al., 2015 ; Scheeren et al., 2012;

Pedreño et al., 2017). Néanmoins, de nombreuses études mettent en exergue une altération des processus inférentiels nécessaires à la compréhension du langage non-littéral chez les enfants et adolescents présentant un TSA sans déficience intellectuelle. Ces perturbations apparaissent plus uniformes lors des inférences complexes (Baron-Cohen, 2001; Bowler, 1992 ; Caillies &

Le Bissaoui, 2008 ; Deliens et al., 2018 ; Filippova & Astington, 2010 ; Le Sourn-Bissaoui et al., 2011; Le Sourn-Sourn-Bissaoui & Dardier, 2016 ; MacKay & Shaw, 2004 ; Peterson et al., 2012 ; Tager-Flusberg & Sullivan, 1994 ;Vogindroukas & Zikopoulou, 2011; Wang et al., 2006).

Concernant les inférences sociales relatives aux capacités de théorie de l’esprit, il existe un consensus empirique mettant en avant une altération chez les personnes avec un TSA, malgré des résultats parfois inconsistants dans la littérature (Baron-Cohen, 2001 ; Baron-Cohen et al.

1999 ; Le Sourn-Bissaoui et al., 2009 ; MacKay & Shaw, 2004 ; Moran et al., 2011 ; Pedreño et al. 2017 ; Peterson et al., 2012 ; Plumet, 2011, 2020 ; Tager-Flusberg & Sullivan, 1994 ; Thiébaut et al., 2016 ; Zalla et al. 2008, 2009). Comme pour le langage figuré, il est possible de mettre ces discordances sur le compte des multiples méthodologie utilisées (le choix des épreuves en fonction des âges, le mode de présentation des épreuves de fausses croyances de premier et second ordre, le niveau cognitif des participants, etc.) (Pedreño et al., 2017). Si certains auteurs font l’hypothèse d’un développement plus lent des compétences en théorie de l’esprit chez les sujets porteurs d’un TSA (Happé, 1995 ; Steele et al., 2003 ; Whyte et al., 2015), d’autres évoquent davantage une altération de ces capacités métareprésentatives trouvant son origine précocement au cours du développement (Baron-Cohen, 1989 ; Cilia et al., 2018 ; Guidetti et al., 2004). Similairement aux travaux portant sur les inférences langagières, les difficultés des individus présentant un TSA dans le domaine de la théorie de l’esprit apparaissent plus uniformes sur les tâches de théorie de l’esprit avancées (Baron-Cohen, 2001

; Baron-Cohen et al. 1999 ; Le Sourn-Bissaoui et al., 2009 ; Moran et al., 2011 ; Pedreño et al.

2017 ; Peterson et al., 2012 ; Thiébaut et al., 2016 ; Zalla et al., 2009).

Ainsi, la compréhension du langage non-littéral et de la théorie de l’esprit pourraient partager des processus inférentiels communs (cf. Section 2.4 du Chapitre 2). L’altération de la compréhension du langage non-littéral serait sous-tendue par les perturbations métareprésentationnelles entravant la représentation des états mentaux d’autrui. Or, les mécanismes cognitifs influençant le développement des inférences relatives à la compréhension du langage implicite et aux capacités de théorie de l’esprit demeurent méconnus (Caillies & Le

Sourn-Bissaoui, 2013 ; Champagne-Lavau & Stip, 2010 ; Champagne-Lavau et al., 2012 ; Dardier et al., 2003 ; Landa & Goldberg, 2005 ; Le Sourn-Bissaoui & Dardier, 2016 ; Matthews et al., 2018 ; Poletti, 2011). Ils constituent un sujet d’investigation pertinent pour approfondir la compréhension des facteurs qui déterminent les inférences et envisager des interventions thérapeutiques ajustées (Bernstein, 2018 ; Moreau & Champagne-Lavau, 2014 ; Tanet-Mory, 2014).

Après avoir investigué l’influence de l’âge et du niveau verbal sur la compréhension des inférences, nous avons investigué plus particulièrement l’influence potentielle des processus mentaux supérieurs, telles que les fonctions exécutives, sur l’émergence et la régulation de ces inférences. Cette hypothèse s’appuie sur plusieurs travaux mettant en avant un lien entre les particularités cognitives et développementales des personnes avec un TSA et la perturbation précoce du développement exécutif (Craig et al., 2016 ; Demetriou et al. 2018 ; Demetriou et al., 2019 ; Gillet & Bonnet-Brilhault, 2018 ; Hill, 2004 ; Lai et al., 2017), entre le développement des processus exécutifs et celui des capacités métareprésentationnelles nécessaires à la compréhension du langage non-littéral (Kouklari et al., 2018 ; Wade et al., 2018), et la relation entre les fonctions exécutives et la théorie de l’esprit, notamment dans le cadre du TSA (Gökçen et al., 2016; Joseph & Tager-Flusberg, 2004; Kouklari et al., 2018 ; Miranda et al., 2017 Pellicano, 2007) (cf. Section 2.3 du Chapitre 3).

L’altération des processus inférentiels communs à la compréhension du langage non-littéral et à la théorie de l’esprit pourrait ainsi refléter un dysfonctionnement exécutif sous-jacent. (Caillies & Le Sourn-Bissaoui, 2013 ; Galinsky & Glucksberg, 2000 ; Glucksberg et al., 2001 ; Le Sourn-Bissaoui & Dardier, 2016 ; Poletti, 2011). Plus spécifiquement les capacités d’inhibition et de flexibilité mentale pourraient contribuer à la mise à distance de l’interprétation littérale initiale et favoriser la recherche de significations/perspectives alternatives nécessaires à la compréhension des intentions du locuteur (Champagne-Lavau &

Joanette, 2009 ; Le Sourn-Bissaoui & Dardier, 2016 ; Monetta et al., 2008). Par ailleurs, les capacités des participants à prendre en compte les indices contextuels disponibles, tout en envisageant simultanément différentes perspectives concernant les intentions et les points de vue d’autrui, pourraient être en partie déterminées par la mémoire de travail (Caillies &

Sandrine Le Sourn-Bissaoui, 2013).

En résumé, nous questionnerons une altération conjointe du langage non-littéral et de la compréhension des états mentaux à la lumière du concept d’inférences pouvant être sous-tendue par un dysfonctionnement des fonctions exécutives telle que l’inhibition, la flexibilité mentale

et la mémoire de travail. Les perturbations exécutives et pragmatiques compte parmi les problématiques cruciales du TSA. Malgré leur impact psychologique et social important, il existe encore peu d’étude ciblant spécifiquement l’impact des fonctions exécutives sur les inférences pragmatiques chez les enfants et adolescents avec un TSA. A travers cette première étude nous cherchons donc à étudier les trajectoires développementales des processus inférentiels sociaux et langagiers chez les enfants et adolescents avec un TSA comparativement à leurs témoins afin de spécifier les différences potentielles, et d’explorer l’influence de facteurs prédictifs.

Nous récapitulons, ci-après les objectifs et hypothèses générales de cette première étude.

Nous précisons ensuite les caractéristiques de la population, la procédure et le matériel d’évaluation. Ce descriptif sera suivi de la présentation des traitements statistiques et de l’analyse des données concernant les trajectoires développementales et les facteurs prédictifs de la production de l’influence. Nous terminerons ce chapitre en discutant nos résultats, et conclurons en mettant en avant les limites et perspectives de cette première étude.