• Aucun résultat trouvé

Le caractère restreint ou répétitifs des comportements, des intérêts ou des activités

CHAPITRE 1. Le Trouble Du Spectre De L’autisme

4. Description clinique actuelle du TSA

4.2. Le caractère restreint ou répétitifs des comportements, des intérêts ou des activités

comportements, des intérêts ou des activités ». Cette deuxième sphère du TSA rassemble l’hyper ou l’hypo sensibilité aux stimuli sensoriels, les mouvements ou comportements répétitifs et stéréotypés, une intolérance aux changements, ainsi qu’une adhésion inflexible aux routines, intérêts restreints ou fixes anormaux dans leur intensité ou dans leur but.

Des particularités sensorielles sont fréquemment observées chez les personnes avec un TSA quelle que soit l’intensité du trouble (Howe & Stagg, 2016). Concernant les enfants et adolescents présentant un TSA sans déficience intellectuelle, l’étude de Dunn et al. (2002) montre qu’il existe des schémas de traitement sensoriel atypiques par rapport à leurs pairs d’âge ne présentant pas de troubles. Ces réactions inhabituelles aux stimuli sensoriels varient selon différents niveaux d’intensité allant d’une absence de réaction, à l’excès de réactivité (Lheureux-Davidse, 2019). Giacardy et al. (2018) définissent plus spécifiquement trois types de comportements sensoriels décrits chez les personnes avec un TSA. L’auteur répertorie d’abord des phénomènes hypersensoriels renvoyant à une sensibilité excessive soit par son intensité ou par sa durée.

A l’inverse, l’hyposensorialité correspond à une réponse inexistante ou de faible envergure à un stimuli sensoriel impliquant un niveau de réactivité habituellement plus élevé.

Enfin, Giacardy et al. (2018) évoquent la tendance à rechercher des expériences sensorielles spécifiques (comme des tournoiements, luminosités, pressions, balancements, etc.). Ces trois formes d’atypicités sensorielles peuvent coexister chez une même personne (Degenne-Richard et al., 2014).

Par ailleurs, les profils sensoriels des participants avec un TSA sont hétérogènes (Tardif

& Gepner, 2019 ; L’heureux-Davidse, 2019) au niveau intra-individuel (l’intensité des atypicités sensorielles diffère selon les modalités sensorielles) et interindividuel (les signes sensoriels peuvent varier d’un individu à un autre et revêtir une ou plusieurs modalités à la fois).

Des méta-analyses récentes (Cruveiller, 2019; Degenne-Richard et al., 2014) illustrent ces atypicités pour chaque modalité sensorielle chez les personnes avec un TSA. Au niveau visuel, il est souvent repéré une préférence pour la vision périphérique et la tendance à se focaliser sur des détails. En effet, plusieurs études mettent en évidence de meilleures performances chez les personnes avec un TSA pour traiter les informations visuelles de manière locale et détaillée.

Baron-Cohen et al. (2009) expliquent que ces excellentes aptitudes concernant l’attention sélective visuelle découleraient d’un phénomène d’hypersensibilité sensorielle qu’ils élargissent à la notion d’hypersystématisation visuelle. Il s’agit d’un mode d’appréhension privilégiant les aspects perceptifs, informatifs et matériels du monde environnant (stimuli visuels, mouvements, mécanismes, etc…). Attwood (2018, 2019) explique que les personnes avec un TSA sans déficience intellectuelle auraient tendance à penser « en images plutôt qu’en mots » (p.299). Certaines personnes avec un TSA présentent d’ailleurs des pics de compétences dans le domaine visuo-spatial, associés à des talents pour les activités graphiques et picturales (Planche & Lemonnier, 2011) ou bien sollicitant la visualisation comme les échecs et le billard (Attwood, 2018, 2019). Cette pensée visuelle et localisée pourrait aussi être à l’origine des attraits naturels pour les lettres et les chiffres fréquemment observés chez les jeunes enfants avec un TSA (Vermulen, 2013). Sur le plan auditif, ces méta-analyses (Cruveiller, 2019 ; Degenne-Richard et al., 2014) donnent des exemples d’hyposensibilité comme l’absence de réaction aux voix humaines. Il est aussi observé des manifestations d’hypersensibilité auditive comme des difficultés à supporter des bruits de fond souvent inaudibles pour la population sans TSA, ou encore des intolérances à certains bruits. Ceux-ci sont souvent considérés comme des phénomènes d’hyperacousie. La modalité tactile est aussi source d’hyper ou d’hyposensibilté (Cruveiller, 2019 ; Degenne-Richard et al., 2014).

Il est fréquemment rapporté une perception singulière de la douleur (réaction d’indifférence, perçue comme excessive ou bien idiosyncrasique) (Laranjeira & Perrin, 2013).

Les difficultés à supporter le contact physique s’avèrent également régulièrement rapportées dans la description des comportements sensoriels des personnes avec un TSA. Ces sensations engendreraient un sentiment de dérèglement sensoriel intense selon le témoignage de Williams (1992), elle-même porteuse d’un TSA (Degenne-Richard et al., 2014). L’olfaction peut également être perturbée (Cruveiller, 2019 ; Degenne-Richard et al., 2014). Certaines odeurs, habituellement considérées comme inodores ou légères, peuvent être perçues comme trop fortes voire insupportables dans le cas des hypersensorialités. Il existe également des hyposensibilités olfactives conduisant certains enfants à rechercher des stimulations sensorielles dans ce domaine. Ces atypicités au niveau de l’odorat peuvent être associées à des particularités gustatives. Similairement aux autres sens, il est observé des aversions pour certains aliments ou textures, ou à l’inverse des prédilections pour certains types de nourritures (Chistol et al., 2018 ; Laranjeira & Perrin, 2013). Des atypicités concernant la proprioception et le système vestibulaire sont également présentes et se rapportent à une instabilité du contrôle posturale statique ou une diminution des dimensions proprioceptives globales (Laranjeira & Perrin, 2013 ; Morris et al., 2015 ; Riquelme et al., 2016 ; Rosario et al., 2018).

Les situations sociales, en multipliant le flux d’informations sensorielles, exacerbent les ressentis sensoriels des personnes avec un TSA (Gepner, 2001, 2005 ; Gepner & Tardif, 2009 ; Tardif et al., 2018). En entravant leur disponibilité pour être en relation, ce phénomène de saturation sensorielle contribue à leurs difficultés d’adaptations sociales (Giacardy et al., 2018 ; Lheureux-Davidse, 2019). Dans la continuité, Gepner et Tardif (2009) expliquent que le monde irait trop vite pour les personnes porteuses d’un TSA. Ces auteurs développent le concept d’un désordre du traitement temporo-spatial des informations sensorielles impactant la perception des interactions sociales.

Les comportements répétitifs observés chez les personnes avec un TSA sont communément divisés en deux sous-groupes (Condy et al., 2019). En effet, la littérature différencie les comportements restreints d’ordre inférieur (plutôt moteurs et sensoriels) des comportements dits d’ordre supérieur (recherche de similitude et d’immuabilité au quotidien) (Condy et al., 2019 ; Jiujias et al., 2017 ; Joyce et al., 2017). Ces comportements stéréotypés émergent précocement et persistent tout au long du développement des enfants et adolescents avec un TSA jusqu’à l’âge adulte, même s’ils peuvent aussi évoluer en termes de formes et d’intensité (Jiujias et al., 2017 ; Zandt et al., 2007).

Dans leur revue de littérature, Jiujias et al. (2017) constatent que la fréquence des stéréotypies motrices et sensorielles serait plus importante au cours de la petite enfance, tandis que celle des comportements rattachés à la recherche de similitude et au développement d’intérêts restreints augmenterait au cours du développement. Cette deuxième catégorie de comportements deviendrait plus importante à l’adolescence et chez les adultes, notamment chez les personnes avec un TSA sans déficience intellectuelle (Vermeulen, 2013).

Les comportements de premier ordre correspondent à des mouvements stéréotypés comme les recherches d’expériences sensorielles précédemment citées (Cruveiller, 2019 ; Maffre, 2013). Celles-ci couvrent un large éventail de manifestations cliniques telles que l’attention ou la manipulation répétitive et non-fonctionnelle d’un objet, ou d’un détail sensoriel (agitation, tournoiement ou la contemplation d’une animation) ou encore un mouvement corporel répétitif (rotation, flapping des mains, balancements, etc.). Ces préférences sensorielles pourraient venir apaiser ou compenser les phénomènes d’hypo ou l’hypersensorialité décrits ci-dessus. De manière générale, Mottron (2016) réunit l’ensemble de ces mouvements stéréotypés et répétitifs sous trois types de fonctions : des comportements répétitifs « associés à des émotions ou favorisés par elles » (battement des mains pour la joie, automutilation ou tics en cas de contrariété ou d’anxiété, etc. ), des comportements répétitifs « liés à la réduction d’input informationnel » dans le but de « produire de l’information à un système qui manque » (p. 27) (balancements, mouvements d’aller-retour, persévération sur un objet, etc..), et enfin les comportements répétitifs rattachés à « des orientations spontanées vers une information spécifique plus ou moins complexe » (p.28). Ces derniers peuvent être considérés comme des prémices aux focalisations thématiques. Ces intérêts privilégiés et investis avec des degrés atypiques d’intensité et de focalisation, renverraient davantage à la seconde catégorie des comportements répétitifs évoquée ci-dessus. Ceux-ci correspondent à des intérêts restreints en quantité, et à des signes de rigidité comme le besoin obsessionnel de similitude (Condy et al., 2019 ; Levallois et al., 2007 ; Zandt et al., 2007, 2009).

Les intérêts restreints correspondent à ces attraits accrus et privilégiés sur des thématiques spécifiques pour lesquelles les personnes avec un TSA se passionnent et développent un savoir très précis. Attwood (2018, 2019) catégorise différents types d’intérêts restreints ou fixes comme l’acquisition de connaissances expertes dans un domaine de prédilection et les collections. Les domaines investis deviennent prépondérants au quotidien.

Ils font souvent l’objet de nombreuses questions et de recherches parfois sans limite. Ces connaissances peuvent prendre la forme de compilation et de listes accumulées tel un savoir

encyclopédique (Attwood, 2018, 2019 ; Aussilloux & Baghdadli, 2008). Les sujets investis par les personnes avec un TSA ne diffèrent pas toujours des intérêts de leurs pairs d’âges. Il existe d’ailleurs des centres d’intérêts fréquemment retrouvés chez les enfants et adolescents avec un TSA comme les moyens de transport, les dinosaures, certaines périodes de l’histoire ou des domaines scientifiques et astronomiques. Dans ce cadre, ces thématiques interpellent davantage par leur caractère exclusif et envahissant au quotidien (Aussilloux & Baghdadli, 2008). Néanmoins, la classification de ces connaissances peut aussi concerner des détails plus incongrus ou originaux. Par exemple, l’intérêt pour la Russie peut évoluer vers celui des chars de l’armée rouge, celui des avions vers la connaissance exhaustive des noms d’aéroports dans le monde, etc. Ce savoir expert est souvent associé à des collections d’objets en lien avec la thématique appréciée. L’obtention et la présence de ces objets est souvent marquée d’un attachement intense et atypique, d’autant plus que ces objets peuvent s’avérer également plutôt inhabituels (Attwood, 2018, 2019).

Ces centres d’intérêts restreints limitent parfois l’élaboration d’un lien social réciproque, tant ils sont investis de manière singulière et autocentrée (Vermulen, 2013). Cependant, ces inclinations, utilisées de manière constructive, peuvent aussi représenter un premier point d’appui pour tisser des relations et des conversations (Attwood, 2018 ; 2019 ; Vermulen, 2013).

De plus, ils constituent un moyen de valorisation aux yeux des autres (Attwood, 2018, 2019).

Par ailleurs, Vermulen (2013) compare ces obédiences personnelles à des « activités bouées de sauvetages » (p. 70). L’auteur explique qu’il est possible que ces intérêts atypiques se développent naturellement pour compenser un défaut de flexibilité mentale et d’imagination, celui-ci entravant la capacité à initier une occupation en lien avec l’environnement. Attwood (2018, 2019) associe d’autres fonctions à ces préférences spécifiques. L’auteur parle d’abord du plaisir communément rattaché à un centre d’intérêt apprécié. Il ajoute la fonction anxiolytique de ces connaissances expertes pour les participants avec un TSA. Développer un savoir exhaustif sur un domaine constitue parfois un moyen de le comprendre et ainsi de faire face à des phénomènes potentiellement inquiétants à ce sujet. Dans la continuité de cette idée, certains auteurs établissent un lien entre l’anxiété, les comportements et intérêts restreints.

Selon Joyce et al. (2017), ces réactions peuvent être considérées comme des réponses adaptatives à l’angoisse. Réciproquement, l’anxiété peut favoriser la rigidité et la stéréotypie des comportements. Ces thématiques spécifiques apparaissent également fréquemment sous forme de classement. Ces catégorisations personnelles permettent d’organiser de manière prévisible et scientifique un environnement pouvant à l’inverse être perçu comme incertain et

déroutant (Attwood, 2018, 2019 ; Vermulen, 2013). De manière générale, l’ensemble de ces comportements restreints et stéréotypés renforcent le sentiment d’évoluer dans un environnement stable et rassurant (Levallois et al., 2007).

Cette recherche d’immuabilité transparaît également à travers l’emprise des routines et des rituels sur le quotidien des personnes avec un TSA. Ce besoin de prévisibilité est souvent rapproché d’une intolérance à l’incertitude, source d’anxiété et d’embarras (Joyce et al., 2017).

Par exemple, les temps de transition se trouvent souvent mal vécus par les individus porteurs d’un TSA (Schovanec, 2012). Par leur dimension intermédiaire et hors-cadre, ces entre-deux les exposent à une multitude d’imprévus potentiels ou d’attentes implicites. Chez les personnes avec un TSA sans retard mental, cette résistance au changement peut apparaître plus subtilement à travers de petits détails ou bien dans la recherche de repères progressivement rigides face à l’adaptation à une situation nouvelle (comme la mise en place d’un accompagnement institutionnel et social) (Vermulen, 2013). Face à la perception parfois chaotique de leur environnement, les personnes avec un TSA sont sensibles aux règles et codes explicites permettant d’ordonner et de clarifier ce qui peut être attendu (Vermulen, 2013).

L’hypothèse d’un dysfonctionnement exécutif est aussi avancée par certains chercheurs pour expliquer l’apparition de ces comportements stéréotypés et restreints chez les personnes avec un TSA (Boyd et al., 2009 ; Jiujias et al., 2017 ; Lopez et al., 2005 ; Pastor-Cerezuela et al., 2020 ; Zandt et al., 2009). Plus spécifiquement, plusieurs études ont montré que la flexibilité cognitive et les capacités d’inhibition pourraient être fortement liés aux mouvements stéréotypés et comportements répétitifs observés chez les participants porteurs d’un TSA (Boyd et al., 2009 ; Lopez et al., 2005 ; Zandt et al., 2009).

Enfin, similairement au domaine social, Gillet et Bonnet-Brilhault (2018) expliquent que « la présence de conduites répétitives, le manque d’exploration spontanée, les défauts d’initiatives, les difficultés pour interrompre ou arrêter une activité, pour gérer les imprévus, et la présence d’intérêts restreints » pourraient être l’expression d’un trouble dysexécutif entravant l’efficacité du contrôle inhibiteur, de la flexibilité cognitive et de la planification (Gillet & Bonnet-Brilhault, 2018, p 37).

Ces troubles de la communication et phénomènes comportementaux témoignent d’un mode particulier d’exploration du monde environnant permettant à l’enfant de construire ses connaissances et de structurer sa pensée.

L’ensemble de ces signes cliniques décrits ci-dessus soulignent la singularité des trajectoires développementales des enfants avec TSA qui « n’intègreraient pas naturellement le développement de compétences sociales mais privilégieraient plutôt les intérêts et orientations vers les aspects non sociaux de l’environnement » (Chabane, 2012, p 462).

En conclusion, Le TSA est un trouble neurodéveloppemental précoce engendrant un développement atypique et protéiforme en fonction des personnes. Malgré ces disparités développementales en termes d’expression et d’intensité, deux principaux critères diagnostiques caractérisent le TSA. Le premier concerne les troubles de la communication et des interactions sociales observés dans différents contextes et le second, le caractère restreint ou répétitifs des comportements, des intérêts ou des activités.

La nouvelle description nosographique du TSA dans le DSM-5 (APA, 2013) différencie 3 niveaux de sévérité en fonction du besoin de soutien estimé. De plus, les participants avec un TSA peuvent présenter des profils cognitifs hétérogènes tant au niveau interindividuel (avec ou sans déficience intellectuelle) qu’intra-individuel (hétérogénéité des performances). Il en est de même concernant le développement du langage reflétant une grande variabilité clinique et développementale. En effet, des altérations langagières peuvent être associées au TSA allant de l’absence de langage jusqu’à l’acquisition tardive ou normale voire très élaborée d’un langage formel, même si celui-ci demeure perturbé dans ses aspects pragmatiques et implicites. Ces difficultés liées à la réalisation d’inférences langagières et sociales constituent un des noyaux des problématiques liées au TSA étant donné qu’elles persistent quel que soit le niveau cognitif et langagier des personnes présentant un TSA. Afin d’apporter un éclairage plus complet sur ces difficultés sociales et langagières, le chapitre suivant se focalisera sur les processus inférentiels sociaux et langagiers communs à ces difficultés et sur l’étude des trajectoires typiques et atypiques.

CHAPITRE 2. Des Difficultés Langagières Et