• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2. Des Difficultés Langagières Et Sociales : Quel Point Commun ?

2. La Théorie de l’esprit : Développement typique et atypique

2.2. Développement typique de la théorie de l’esprit

2.2.2. La connaissance explicite des états mentaux de 2 ans jusqu’à l’adolescence

La connaissance explicite des états mentaux est fréquemment étudiée à travers la compréhension des fausses croyances de premier ordre et de second ordre advenant progressivement au cours de l’enfance. Après 2 ans, Wellman et Liù (2004) décrivent différentes étapes de progression menant aux représentations des fausses croyances. La connaissance implicite des états mentaux décrite précédemment précèderait celle de la compréhension des croyances émergeant vers l’âge de 3 ans (Nader-Grobois & Thirion-Marissiaux, 2011 ; Slaughter, 2015 ; Wellman, 2018 Wellman, 1990, 1991 ; Wellman & Liù, 2004 ; Wellman & Slaughter, 2012). Ce type de raisonnement du type « je pense que X pense que… » constitue une première théorie sur l’esprit de l’autre permettant d’anticiper ses comportements (Duval et al., 2011). A ce stade, la pensée de l’enfant est encore guidée par l’égocentrisme cognitif. En effet, le jeune enfant ne peut se décentrer de son point de vue et se figurer différentes perceptions d’une même réalité (Gauthier & Bradmetz, 2005). De ce fait, il parvient difficilement à concevoir que les croyances d’autrui puissent être fausses. Cette pensée égocentrique l’amène ainsi à projeter sur l’autre ses propres émotions et perceptions (Tanet-Mory, 2014).

En 2004, Wellman et Liù construisent une échelle visant à évaluer les séquences développementales liées à l’évolution des capacités de théorie de l’esprit chez le jeune enfant.

Ces auteurs présupposent différents niveaux de théorisation sur l’esprit d’autrui.

Ils intègrent alors à leur outil sept tâches exploitant différents aspects de la représentation des états mentaux. La première évalue la compréhension de désirs. Dans ce cas, les questions sont ciblées sur le désir d’un personnage (en fonction d’informations données au préalable sur ses goûts). Une autre tâche vise la compréhension de croyances chez autrui. Pour cette tâche, les questions nécessitent d’anticiper la manière dont un personnage va agir face à un choix en fonction de sa croyance initiale. Wellman et Liù (2004) incluent aussi une épreuve cherchant à évaluer l’accès aux connaissances d’autrui. L’enfant est alors amené à identifier ce que pense trouver un personnage dans une boîte dont le contenu n’est pas clairement identifiable, mais dont lui a vu l’intérieur. Cette épreuve se rapproche de la tâche de fausse croyance intégrée au protocole. Pour celle-ci, les enfants sont invités à identifier ce que pense trouver le protagoniste dans un contenu clairement identifiable (boîte de crayon), mais contenant un autre objet que l’enfant a vu au préalable. De plus, une tâche de fausse croyance explicite est présentée aux enfants. Ils sont alors invités à anticiper l’action d’un protagoniste en fonction de fausse croyance sur l’emplacement d’un objet. Le protocole reproduit également une épreuve proche de « connaissance d’autrui » mais, cette fois-ci les enfants doivent inférer l’émotion du personnage découvrant un contenu décevant auquel il ne s’attendait pas. Enfin, les enfants réalisent une tâche d’identification émotionnelle « réalité-apparence » pour laquelle il leur est demandé d’identifier l’émotion apparente d’un personnage, puis celle réellement ressentie en fonction du contexte (ex., des moqueries). Chacune des épreuves suit un procédé similaire. Les adultes animent les figurines, et présentent les histoires ainsi que les choix de réponses à partir d’images (illustrations représentant deux émotions, contenus, ou lieux selon les tâches). De plus, chaque scénario est suivi de deux types de questions. Le première porte sur l’état mental ou les comportements des protagonistes. La seconde cible plutôt la compréhension de la réalité de la situation par le jeune. Par exemple, dans le cas de la tâche de fausse croyance explicite, les intervenants attirent l’attention de l’enfant sur la figurine d’un jeune garçon et une feuille proposant deux choix d’images (pour cet exemple un sac-à-dos et un placard). Ils énoncent ensuite le contexte (« Scott cherche ses gants. Ils sont dans son sac à dos. Scott pense qu’ils sont dans le placard »), puis les questions ciblant le comportement du petit garçon (« Où Scott va-t-il aller chercher ses gants ? », « Va-t-il les chercher dans son sac ou bien dans le placard ?». La tâche se termine par une question de compréhension de la situation réelle (« Où se trouvent réellement les gants ? », « Dans le sac à dos de Scott ou bien dans le placard ? »). De manière générale, les items de la première partie de l’échelle amènent les enfants à juger si deux personnes peuvent avoir des désirs différents envers un objet en fonction de leur expression faciale. Ceux de la seconde tâche concernent la compréhension de

croyances pouvant être vraies ou fausses à propos d’un objet. Ensuite, les enfants sont évalués sur la compréhension de fausses croyances explicites pour laquelle les participants doivent prédire comment une personne orientera sa recherche d’un objet, en prenant en compte une croyance erronée. Lors de l’avant dernière étape, les enfants sont questionnés sur leur représentation de l’émotion d’une personne en prenant en compte sa croyance erronée. La dernière tâche implique une représentation des états mentaux potentiellement différente de ce qui est directement observable. Pour cette dernière tâche, les questions portent sur la capacité à détecter qu’un individu peut ressentir une chose mais présenter une émotion différente de ce qu’il éprouve réellement (Wellman & Liù, 2004).

Dans le cadre de cette étude, cette échelle est présentée à 75 enfants âgés de 2 ans 11 mois et 6 ans 6 mois. Wellman et Liù (2004) rapportent une cohérence au niveau de la progression développementale dans le sens où si une épreuve est résolue correctement, les enfants réussissent également les tâches précédentes. Selon la trajectoire développementale qu’il en ressort, les désirs seraient compris avant les croyances vraies, elles-mêmes accessibles avant la représentation des fausses croyances (Wellman & Liù, 2004). La reproduction de cette progression auprès d’enfants dans différents pays permet de confirmer cette évolution des capacités à inférer les états mentaux d’autrui chez les jeunes enfants (Slaughter, 2015 ; Wellman

& Slaughter, 2012 ; Wellman, 2018).

La compréhension des fausses croyances renvoie à une progression essentielle du développement cognitif. L’enfant comprend que les pensées d’autrui peuvent différer de la réalité. Cette capacité à différencier sa connaissance de celle de l’autre implique des capacités représentationnelles et permet d’anticiper les comportements d’autrui (Yott & Poulin-Dubois, 2016). En effet, au cours du développement, l’évolution de la pensée est marquée par un changement conceptuel déterminant associé à la diminution de l’égocentrisme cognitif (Mounoud, 1997, 2000 ; Wellman et al., 2001). Cette progression apporte avec elle la possibilité d’aller au-delà d’un niveau de compréhension perceptif des états mentaux pour accéder à un niveau de représentation (Thommen & Guidoux, 2011). L’enfant est alors en capacité de se décentrer et de concevoir que l’autre peut avoir un point de vue différent du sien et/ou une vision erronée de la réalité (Nader-Grosbois & Thirion-Marissiaux, 2011).

Les enfants réalisent ainsi que de multiples représentations du réel sont possibles et que chacun peut concevoir des croyances différentes sur le monde. La réussite aux traditionnelles tâches de « fausses croyances », incitant le sujet à se décentrer de son propre point de vue pour

Chanoni & Jacquet, 2003). Il s’agit par exemple de la tâche du « contenu insolite » (Perner et al., 1987) où l’enfant trouve des crayons à l’intérieur d’une boîte de smarties et qu’il doit inférer ce qu’une autre personne, qui n’a pas vu le véritable contenu, va imaginer à l’intérieur. Des chercheurs ont aussi développé l’épreuve du « changement de localisation » pour laquelle l’enfant est amené à prédire où une personne va aller chercher un objet posé à un endroit initial, puis déplacé en son absence (Astington et al., 2002 ; Baron-Cohen et al., 1985; Wimmer &

Perner, 1983). Cette évolution est généralement observée vers l’âge de 4 ou 5 ans. (Baron-Cohen, 2001). Ces représentations du type « je pense que X pense que A pense à/que… » sont dites de « premier ordre » car elles nécessitent d’adopter la perspective d’une personne (Duval et al., 2011 ; Miller, 2012).

Vers l’âge de 7 ans, les enfants atteignent un niveau plus complexe de théorie de l’esprit qualifié de « second ordre » correspondant à un raisonnement de type : « je pense que X pense que A pense que B pense à/que… » (Astington et al., 2002 ; Duval et al., 2011, Miller, 2012;

Perner & Wimmer, 1985). Dans ce cas, le sujet doit envisager les points de vue de deux personnes à la fois pour réaliser des inférences correctes (Duval et al., 2011). Les tâches de fausses croyances de second ordre sont régulièrement inspirées des premiers travaux de Perner et Wimmer (1985). Ces auteurs ont créé des histoires dans lesquelles deux personnages sont informés à des moments différents du déplacement d’un objet, le premier gardant ainsi une fausse représentation de l’emplacement réel de l’objet en question. Le sujet doit ainsi se figurer ce qu’un personnage perçoit des croyances d’un autre personnage (Ashington et al., 2002). Les travaux sur le développement de la théorie de l’esprit concernent majoritairement les jeunes enfants et les scores aux épreuves de fausses croyances de 1er et de 2ème ordre plafonnent généralement vers l’âge de 10 ans (Perner & Wimmer, 1985 ; Wellman, 2018).