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CHAPITRE 6. ETUDE 1 -Trajectoires développementales des processus inférentiels

6. Traitements statistiques et analyse des données

6.3 Conclusion sur l’étude 1

Cette première étude porte sur l’étude des trajectoires développementales des inférences sociales et langagières afin de décrire les trajectoires évolutives des enfants et adolescents avec un TSA comparativement à leurs témoins tout en essayant de mieux comprendre les facteurs prédictifs de la production d’inférences sociales et langagières. Aussi, dans ce travail de thèse, nous avons étudié les trajectoires développementales dans le cadre d’une étude longitudinale intégrant deux temps de mesures espacés de +/- 2 mois. Cette étude prend appui sur un protocole visant à évaluer : les inférences pragmatiques nécessaires à la compréhension du langage non-littéral (plus précisément 3 formes présentant un degré de difficultés progressif : les demandes indirectes, les expressions idiomatiques et l’ironie) ; les inférences sociales

métareprésentationnelles nécessaires à la compréhension des états mentaux d’autrui (tâches de fausses croyances de 1er et 2nd ordre et de faux pas) ; le fonctionnement exécutif (inhibition, flexibilité mentale et mémoire de travail ) et le niveau langagier (raisonnement verbal, compréhension et vocabulaire). 24 enfants et adolescents âgés entre 8 et 14 ans, donc douze dyades, ont été pris en compte dans l’analyse des données. Les participants du groupe TSA ont reçu un diagnostic de TSA sans déficience intellectuelle associée. L’échantillon témoin comprend 12 enfants et adolescents au développement typique sans historique de difficultés d’apprentissage ou de troubles neurologiques sévères dans la famille. Ils sont appariés avec les participants avec un TSA par le genre, l’âge chronologique, et leur niveau langagier.

Nos résultats montrent que l’ensemble des participants, porteurs ou non d’un TSA, progressent entre les deux temps de mesure avec une progression hiérarchique similaire chez les deux populations concernant les inférences langagières, sociales et le fonctionnement exécutif. En effet, les trajectoires développementales concernant les processus inférentiels (langagiers et sociaux) et exécutifs paraissent suivre des étapes similaires chez nos participants âgés de 8 à 14 ans, porteurs ou non d’un TSA. Malgré ces séquences développementales analogues, on observe de moindres performances chez les participants présentant un TSA. Plus précisément, concernant les inférences langagières, ces taux de réussites inférieurs apparaissent au niveau des formulations non-littérales plus complexes (comme les expressions idiomatiques non-décomposables et les énoncés ironiques sur soi) au deuxième temps de l’étude longitudinale. Sur le plan des inférences sociales, toutes les formes évaluées sont moins bien réussies par les enfants et adolescents atteints d’un TSA par rapport à leurs témoins et ce aux deux temps de mesures. Au niveau exécutif, les sujets avec un TSA s’avèrent moins performants que leurs pairs ne présentant pas de TSA sur les tâches sollicitant à la fois l’inhibition et la flexibilité au 2ème temps de l’étude. Ainsi, les compétences des participants porteurs d’un TSA se différencient majoritairement sur les tâches d’inférences et de mesures exécutives plus complexes, et ce principalement au deuxième temps de mesure de l’étude longitudinale. Ces résultats suggèrent une progression plus lente, mais significative, des processus inférentiels et exécutifs chez les enfants et adolescents avec un TSA par rapport à des sujets présentant un développement typique.

Ces observations laissent transparaître une représentation nuancée des difficultés relatives à la pragmatique du langage chez les enfants et adolescents atteints d’un TSA. En effet, nos résultats s’accordent avec ceux des travaux argumentant en faveur d’une altération partielle de la compréhension du langage non-littéral, différant d’une vision déficitaire globale.

En effet, les difficultés inférentielles des sujets porteurs d’un TSA n’apparaissent pas uniformes. Cette hétérogénéité et préservation partielle transparaît également dans la littérature portant sur d’autres périodes développementales et différents types de formulations non-littérales. Nos résultats concordent également avec les recherches montrant une bonne compréhension des formulations non-littérales simples chez les sujets avec un TSA contrastant avec la compréhension du langage implicite plus complexe, car dépendant du contexte et de la représentation d’un état mental chez autrui. C’est précisément ce type de compétences métareprésentationnelles qui impliquent les inférences sociales telles que la théorie de l’esprit, apparaissant significativement moins effectives chez les enfants et adolescents de notre étude porteuse d’un TSA. Les résultats de notre étude laissent penser qu’après 8 ans, voire au début de l’adolescence, l’écart entre les compétences des sujets avec ou sans TSA émergerait plus clairement lors de la réalisation d’inférences plus complexes (opacité entre les dimensions locutoires et illocutoires) et nécessitant de se représenter des états mentaux en contexte. Les formes plus simples ou plus fréquentes et familières seraient plus accessibles. L’adolescence représente d’ailleurs une période de changement importante, notamment sur le plan de l’intégration et de la spécialisation des différentes dimensions de la cognition sociale (Badoud et al.,2016).

En ce sens, Kissine et al. (2016) expliquent que la préservation de certaines capacités pragmatiques chez les sujets avec un TSA pourrait être mises sur le compte de la distinction existant entre des aspects égocentriques et allocentriques des formulations à interprétées. Les premiers sollicitant moins les capacités métareprésentationnelles nécessaires à la représentation d’états mentaux. De plus, dans la logique de la progression développementale mise en évidence précédemment, Zalla et al., 2009 supposent que la construction d’une théorie de l’esprit serait davantage fondée sur l’évolution d’une forme de raisonnement logique plutôt que métareprésentationnel de la pensée d’autrui. Ce phénomène expliquerait que les différences significatives entre les personnes porteuses d’un TSA avec un bon niveau intellectuel et leurs pairs d’âges, apparaissent de manière plus significative sur des tâches complexes et/ou subtiles.

Ces éléments de discussions ne sont pas sans rappeler l’écart mis en évidence par Duval et al.

(2011) entre les niveaux de présentation et de représentation des états mentaux. Cette altération inférentielle apparaîtrait alors davantage sur les formes impliquant des inférences sociales plus complexes et dépendantes du contexte (Saban-Bezalel & Mashal, 2015). L’adolescence constitue aussi une période d’optimisation et de complexification du fonctionnement exécutif évoluant tardivement au cours du développement.

Il est possible que ce phénomène sous-tende l’écart significatif apparaissant également plus tardivement dans notre étude entre les jeunes atteints d’un TSA et les participants sans TSA au niveau exécutif.

Ces éléments posent aussi la question de l’évolution de cet écart après la période développementale que nous avons étudiée. Ce décalage progressif observé entre les enfants et adolescents avec ou sans TSA, pour comprendre le langage non-littéral, persisterait à l’âge adulte, malgré la progression des compétences pragmatiques au sein des deux populations (Kissine et al., 2016 ; Saban et al., 2015). Ces processus cognitifs et inférentiels continuent-ils de progresser selon des structures développementales similaires au sein des deux populations ? Les différences de performances augmentent-elles au cours du temps ou se trouvent-t-elles compenser par la progression parallèle d’autres mécanismes potentiels compensatoires ? Certains aspects de la compréhension du langage non-littéral pourrait alors se normaliser avec l’âge chez les sujets présentant un TSA, tandis que d’autres pourraient continuer d’être plus difficilement accessibles.

Les difficultés inférentielles des enfants et adolescents atteints d’un TSA ne constitueraient pas un déficit global stable dans le temps, mais continuerait d’évoluer dans le temps, sous l’influence de différents facteurs. En grandissant, les processus susceptibles d’être impliqués dans la cognition sociale paraissent se multiplier et se complexifier. Dans ce travail de thèse, nous avons examiné l’influence potentielle de l’âge, du niveau verbal, des fonctions exécutives et des inférences sociales sur la réalisation d’inférences langagières.

Selon nos résultats, ces facteurs n’impactent pas de la même façon le développement des processus inférentiels des enfants et adolescents avec un TSA et sans TSA. En effet, pour les participants de notre étude porteurs d’un TSA, la compréhension du langage non-littéral est prédite par l’âge chronologique. La mémoire de travail améliore cette prédiction au premier temps de l’étude longitudinale. Pour les participants présentant un développement typique, la compréhension du langage non-littéral est uniquement prédite par l’âge chronologique.

Ainsi, la compréhension du langage non-littéral progresse avec l’âge pour tous nos participants. L’effet significatif de la mémoire de travail chez les enfants et adolescents avec un TSA traduit peut-être un effort cognitif et exécutif plus coûteux pour comprendre le langage figuré. Chez nos participants avec un TSA, les capacités en mémoire de travail pourraient faciliter le traitement des informations contextuelles et la réalisation d’inférence.

Ce processus exécutif pourrait aussi favoriser le maintien de différentes significations possibles en mémoire, afin de sélectionner l’une d’entre elles compatibles avec l’intention implicite du locuteur.

En revanche, selon nos résultats, les inférences sociales, la flexibilité mentale et l’inhibition n’apparaissent pas comme des facteurs prédictifs de la compréhension du langage non-littéral. Cependant, notre recherche s’inscrit dans la continuité de travaux aboutissant à des résultats fréquemment contradictoires à ce sujet. La nature et l’intensité des facteurs influençant potentiellement la réalisation des inférences pragmatiques varient en fonction du type de population (participants présentant un développement typique, un TDAH, un TSA, etc.), du degré de difficultés des formulations non-littérales étudiées, ou encore de la période développementale ciblée. Ces différences compliquent la généralisation des résultats observés.

De surcroît, le rôle spécifique des fonctions exécutives, sur le développement des inférences langagières chez les personnes porteuses d’un TSA, demeure encore peu exploré. La variabilité des résultats entre les différentes études découle aussi de la diversité des méthodologies utilisées. La littérature recense des populations différant selon leurs âges ou leurs profils cognitifs. Les modalités d’évaluation des différents facteurs et du langage figuré varient également d’une étude à l’autre (présentation, types de questions, type d’analyse et de cotation, etc.).