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CHAPITRE 6. ETUDE 1 -Trajectoires développementales des processus inférentiels

6. Traitements statistiques et analyse des données

6.2. Discussion de l’étude 1

6.2.4. Analyse des facteurs prédictifs de la production d’inférences langagières

Pour réaliser des inférences langagières pragmatiques, il est nécessaire que les enfants et adolescents avec un TSA comprennent que l’interprétation littérale pourrait constituer une fausse représentation de l’état mental d’autrui et qu’ils infèrent alors la véritable intention d’autrui en fonction du contexte. Pour cette seconde partie de notre étude, nous avions fait l’hypothèse que la compréhension des énoncés non-littéraux par les personnes avec un TSA serait expliquée par les compétences métareprésentationnelles telles que les inférences sociales et les processus exécutifs. Nous avions aussi souligné l’importance de prendre en compte l’effet de l’âge et du niveau langagier sur les inférences sociales et les fonctions exécutives.

Nos résultats ne confirment que très partiellement nos hypothèses. Concernant les sujets avec un TSA, l’âge apparaît comme le premier facteur prédictif aux deux temps de mesure. Au temps 1, la mémoire de travail apparaît comme le deuxième prédicteur. Pour les participants ne présentant pas de TSA, seul l’âge prédit la compréhension du langage non-littéral.

L’effet de l’âge supposent que la compréhension du langage non-littéral et donc les processus inférentiels qui s’y rattachent progressent avec l’âge pour tous nos participants ce qui rejoint les conclusions des travaux portant sur le développement de sujet au développement typique (Bernicot et al., 2007 ; Caillies & Le Sourn-Bissaoui, 2012 ; Caillies et al., 2014 ; Dardier, 2004 ; Laval, 2003 ; Laval et al., 2016) ou sur le développement d’enfants et adolescents porteurs d’un TSA (Kalandadze et al., 2018 ; Whyte et al., 2015).

L’effet de la mémoire de travail apparaît comme second prédicteur chez les enfants et adolescents avec un TSA au 2ème temps de notre mesure, mais pas pour les sujets présentant un développement typique. Ainsi, cet effet au 2ème temps de notre étude est peut-être le signe d’un effort cognitif et exécutif nécessairement plus coûteux pour comprendre le langage non-littéral chez les participants avec un TSA au moment où un décalage développemental apparaît plus perceptible par rapport aux participants ne présentant pas de troubles (Cf. discussion concernant les trajectoires développementales des inférences langagières, sociales et exécutives). Ainsi, pour les enfants et adolescents avec un TSA, la mémoire de travail pourrait faciliter le maintien

simultané et contradictoire de différentes significations potentielles pour accéder à l’implicite du discours d’autrui. Il est possible que cet effet ne soit probant qu’au cours d’une période développementale spécifique. En effet, l’intensité de l’impact d’un certain type de fonctions exécutives pourrait varier en fonction de l’âge et de la difficulté de la tâche réalisée. Il est cependant difficile de discuter ce résultat à la lumière d’autres études car le rôle spécifique de la mémoire de travail dans la compréhension du langage non-littéral au sein de la population présentant un TSA demeure encore peu exploré (cf. Section 2.3 du Chapitre 3). D’autres recherches se sont intéressées à l’influence de la mémoire de travail dans la compréhension du langage figuré, mais auprès d’autres populations, sans s’accorder sur un rôle congruent et cohérent. En effet, si Caillies et Le Sourn-Bissaoui (2013) ne retrouvent pas de résultats significatifs entre les capacités de mémoire de travail et la compréhension d’idiomes non-décomposables chez des enfants présentant un développement typique, dans une autre étude de Caillies (2014) constate qu’un lien significatif est retrouvé entre les performances des enfants pour comprendre l’ironie et la mémoire de travail, mais seulement chez des enfants présentant un développement typique et non chez les participants de son étude atteint d’un TDAH. Pour ce groupe, ce sont les capacités de raisonnement verbal qui apparaissent comme un facteur prédictif de la perception de l’ironie. Il est possible que l’intensité de l’implication de la mémoire de travail dans la réalisation des inférences pragmatiques varie en fonction des caractéristiques cognitives des participants, du type de formulations non-littérales étudiées, ou encore de la période développementale concernée.

Nous ne retrouvons pas d’effets significatifs pour le rôle de l’inhibition ou de la flexibilité mentale sur la compréhension des formulations non-littérales et ce pour tous participants, porteurs ou non d’un TSA. Nos résultats sont cohérents avec ceux ne montrant pas de lien entre les fonctions exécutives et la compréhension du langage non-littéral chez les sujets atteints d’un TSA. Par exemple, Saban et al. (2019) retrouvent un effet de la flexibilité mentale sur la performance de l'ironie dans le groupe des participants ne présentant pas de troubles, mais pas dans le groupe réunissant des enfants et des adolescents porteurs d’un TSA. Cependant, il est important de préciser que d’autres travaux qui ne retrouvent pas de lien significatif entre le langage figuré et les fonctions exécutives dans le cadre du TSA, portent plus spécifiquement sur l’étude des métaphores (Saban et al. 2019). A l’inverse, Razavi et al. (2019) montrent un lien significatif entre les fonctions exécutives et le langage pragmatique, mais leur protocole utilise des mesures plus écologiques à savoir des questionnaires standardisés pour évaluer différents domaines du contrôle exécutif (dont la régulation émotionnelle et la métacognition)

et diverses compétences pragmatiques au quotidien. Ainsi, étant donné la variabilité des résultats existant selon les études portant sur le lien entre les fonctions exécutives et le langage pragmatique (cf. Section 2.3 du Chapitre 3), nos résultats isolés ne peuvent être interprétés uniquement dans le sens d’une interdépendance entre ces processus exécutifs et la compréhension du langage non-littéral. L’ensemble des variables énoncées ci-dessus pour la mémoire de travail (telles que la sensibilité de nos mesures, la variabilité entraînée par le type de population, de méthodologies, périodes développementales et énoncés non-littéraux étudiés) peuvent contribuer de manière générale à l’explication des résultats disparates concernant l’implication des fonctions exécutives dans la compréhension du langage non-littéral. Plus spécifiquement au cadre du TSA, nous avions d’ailleurs déjà mentionné dans le chapitre 3, la revue de littérature de Matthews et al. (2018) cherchant à mieux comprendre les différences individuelles concernant les capacités pragmatiques des enfants en lien avec l’influence du langage formel, de la cognition sociale et des fonctions exécutives. Même si la méta-analyse réalisée suggère un impact potentiel de ces trois domaines sur les compétences pragmatiques, Matthews et al. (2018) estiment que l’hétérogénéité des habiletés pragmatiques étudiées (conversation, récits, énoncés non-littéraux) représente un biais important rendant les preuves d’associations spécifiques et précises encore limitées.

Nos résultats peuvent aussi supposer l’existence d’autres facteurs prédictifs de la compréhension du langage figuré au sein de la population présentant un développement typique ou un TSA. Dans leur revue, Matthew et al. (2018) évoquent par exemple l’intérêt d’investiguer l’influence de traits socio-émotionnels, de facteurs liés à la personnalité, ou encore l’impact de l’attention et de la métacognition à un âge plus avancé ou chez les personnes présentant un TSA avec de bonnes compétences intellectuelles.

L’impact du niveau de langage formel et structurel est l’un des facteurs prédictifs fréquemment examiné dans l’étude de la compréhension du langage non-littéral. Dans notre étude, l’indice de raisonnement verbal (incluant une tâche de raisonnement verbal, de compréhension et de connaissances lexicales) n’apparaît pas comme un facteur prédictif de la compréhension du langage non-littéral. Les recherches mettant en avant un effet du langage formel sur la réalisation d’inférences langagières pragmatiques, s’appuient sur des épreuves davantage axées sur des compétences linguistiques telles que le lexique, mais aussi la compréhension de phrases et de syntaxe (Norbury, 2004). Dans leur méta-analyse, Kalandadze et al. (2018) expliquent que plusieurs études appariant les participants avec ou sans TSA sur ce type de compétences linguistiques, ne mettent pas en avant de différences de performances

entre les participants pour comprendre les formulations non-littérales comme les métaphores ou des idiomes (Norbury, 2004 ; 2005). En effet, Norbury (2004 ;2005), observe que seuls les participants associant un TSA et un trouble structurel du langage associé obtiennent des scores inférieurs à leurs pairs d’âge présentant un développement typique. Ces recherches supposent que les compétences linguistiques formelles apparaissent comme un des facteurs déterminant de la compréhension du langage pragmatique. Ce phénomène pourrait faire écho aux mécanismes compensatoires liés à l’appui sur les connaissances sémantiques et formelles lorsque certains énoncés non-littéraux peuvent être traités comme de longs mots, ou à partir de règles normatives. Néanmoins, les méta-analyses suggèrent aussi que les compétences linguistiques n’apparaissent pas forcément comme un facteur prédictif unique du langage non-littéral (Andrés-Roqueta & Katsos ; 2017 ; Kalandadze et al., 2018). Nous pouvons supposer que ces compétences structurelles ne suffisent pas lorsqu’il s’agit d’accéder à des intentions implicites plus subtiles et nuancées lors de tâches inférentielles complexes (Le Sourn-Bissaoui

& Dardier, 2016). De plus Matthew et al. 2018, pointent le recouvrement inévitable des tâches visant à évaluer le langage structurel distinctement du langage pragmatique. Effectivement, les tâches de compréhension sémantique et linguistique n’impliquent jamais totalement une prise en compte uniquement explicite de la phrase. De la même manière, les tâches de langage non-littéral sollicitent inéluctablement des compétences linguistiques et syntaxiques. Etant donné, les différences observées entre les compétences verbales à proprement parlé et les capacités langagières pragmatiques chez certaines personnes porteuses d’un TSA, cette distinction s’avère nécessaire et utile pour la recherche et la pratique. Toutefois, ces deux dimensions langagières se recoupent sur certains points de manière difficilement dissociable (Matthew et al., 2018).