CHAPITRE 1. UN MONDE DU TRAVAIL EN ÉVOLUTION : ENJEUX POUR
3. Des populations mouvantes
3.2. Des populations mouvantes à l’hôpital
3.2.1. Contexte démographique du secteur hospitalier
Dans la période de 1990 à 2005, la croissance des effectifs des professionnels de santé a
été, on l’a dit, plus rapide que pour les autres actifs en emploi, et par conséquent le
vieillissement moins marqué. Toutefois, ces tendances ont été variables d’une catégorie
professionnelle à une autre : faible croissance et vieillissement plus marqué chez les
médecins ; forte croissance des effectifs chez les aides-soignantes et les infirmières entre 1990
et 2005, soit respectivement +60% et +49% (Billaut et al., 2006).
Selon Olivier Chardon et Marc-Antoine Estrade (2007) il existe des difficultés dans le
recrutement des médecins avec une légère baisse des effectifs : le nombre de jeunes diplômés
ne suffira pas à combler les nombreux départs en fin de carrière d’ici 2015. Concernant les
infirmières diplômées d’état et les sages-femmes, 123 000 départs étaient prévus entre 2005 et
2015 (soit 27% par rapport à l’effectif de 2005), 78 000 nouveaux postes seraient nécessaires,
soit 201 000 postes à pourvoir entre 2005 et 2015.Concernant les aides-soignantes, le besoin
en postes devait être important, particulièrement pour la prise en charge des personnes âgées
dépendantes, à domicile et en établissement : 109 000 devaient partir entre 2005 et 2015 (soit
23% par rapport à l’effectif de 2005), 149 000 créations de postes seraient nécessaires pour la
même période, soit 258 000 postes à pourvoir entre 2005 et 2015.
Pour les infirmières, la tendance passée (à la différence des autres métiers de la santé) a
été un important vieillissement de cette population : 4 années en moyenne de plus entre 1990
et 2005, du fait, entre autres, de la baisse des quotas de formation amorcée en 1984. Les
tendances actuelles et à venir sont très différentes. On note :
- un rajeunissement qui s’amorce avec l’arrivée de promotions plus nombreuses du fait
de l’augmentation des quotas de formation à partir de 1993 ; la croissance des
effectifs s’annonce durable ;
- des départs à la retraite qui ont commencé et vont s’amplifier fortement dans un futur
proche avec la cessation d’activité des générations nombreuses du baby-boom ;
- des infirmières quinquagénaires encore en nombre important et dont les effectifs
devraient être encore croissants pendant au moins une décennie, puisque les 40-44 ans
et les 45-49 ans représentent aujourd’hui les classes d’âge les plus nombreuses.
Les métiers d’aides-soignantes et d’infirmières sont donc marqués tout à la fois par une
augmentation probable et importante de leurs effectifs et un fort renouvellement de leurs
populations. Or les évolutions des métiers dont l’ouverture est régulée par des quotas
dépendent fortement de la capacité à attirer en nombre suffisant des jeunes vers les filières de
formation. Cela pourrait s’avérer difficile dans un contexte où ces métiers sont marqués par
des conditions de travail difficiles et des sous-effectifs chroniques.
3.2.2. Des enjeux de recrutements et de fidélisation du personnel
Selon les études existantes sur la profession d’infirmière en termes de trajectoires
professionnelles (Barlet et Cavillon, 2011), les entrées en première année en Institut de
Formation en Soins Infirmiers (IFSI) sont limitées par des quotas qui ont fortement augmenté
depuis une dizaine d’années : ils sont passés de 18 436 en 2000 à 26 436 en 2001, pour
atteindre 30 00 en 2003. Or depuis 2003 (date de la deuxième réévaluation à la hausse des
quotas), le constat a été fait d’un écart moyen de moins 8% entre les nouveaux entrants en
institut de formation et le quota national. Ainsi même si le nombre d’inscriptions en première
année de formation a augmenté de 28% entre 2000 et 2008, il reste inférieur au quota fixé au
niveau national. Par ailleurs, cet écart est plus ou moins marqué suivant les régions.
Parallèlement, on observe une forte déperdition entre le nombre d’inscriptions en
première année et l’obtention du diplôme trois ans plus tard : ils ne sont que 80% à obtenir
leur diplôme (ibid. ; Billaut et al., 2006 ; Marquier, 2006) : certains étudiants ont redoublé ;
d’autres ont échoué à l’examen ; certains partent en fin de première année pour obtenir le
diplôme d’aide-soignant ; d’autres enfin abandonnent en cours d’études. Les auteurs
proposent entre autres l’explication suivante : en augmentant les quotas on sélectionne des
étudiants qui n’ont pas forcément les prérequis pour suivre la formation.
Selon une enquête réalisée dans les IFSI d’Ile de France entre mai 2008 et mars 2009
(Estryn-Behar, Guetarni, Picot et Bader, 2010), les modalités de départ correspondent
davantage à des interruptions qu’à des abandons définitifs ou à des départs à la demande de
l’IFSI. Trois raisons principales d’abandon sont évoquées par les étudiants, dans un ordre
décroissant : les difficultés de réaliser un travail de qualité sur les terrains de stages, avec
« la peur de commettre des erreurs » et « le manque de temps pour les soins aux patients » ;
les difficultés psychosociales du travail, avec comme éléments cités « trop de
responsabilités », « la dégradation des conditions de soins aux patients », et « le manque de
soutien psychologique » ; enfin, des conditions d’encadrement inadéquates en stage avec
comme éléments cités « l’étudiant utilisé hors de sa compétence et de son stage » et
« soignant référent peu disponible ».
En ce qui concerne les personnels diplômés maintenant, on observe une augmentation
forte de la mobilité des infirmières (Audric et Niel, 2002 ; Marquier, 2005), qui pose le
problème de la « fidélisation » du personnel à la recherche des conditions de travail les plus
attractives (Gonon, 2003). D’après François-Xavier Schweyer (2009) l’attractivité d’un
établissement ne tient que pour partie à la rémunération et aux modalités de gestion du
personnel. La nature des activités, une équipe complète et solidaire, l’organisation du temps
de travail sont des éléments déterminants et qui ne dépendent pas du statut juridique des
établissements mais plutôt de leur management interne et des exigences liées à leur
environnement. Selon le même auteur,
« le discours sur la moindre mobilisation des jeunes, qui auraient un
comportement de donnant-donnant, plus soucieux de l’équilibre de leur vie
professionnelle que de l’engagement au sein d’une équipe, traduit chez les aînés
la perception de ce risque. Le comportement prêté aux jeunes paraît assez logique
quand le contrat de travail n’ouvre plus sur l’horizon d’une carrière, dans une
temporalité longue et une logique collective. On peut y voir aussi l’expression
d’une réalité sociologique plus profonde qui est que l’intégration dans un collectif
de travail est un investissement long et que l’apprentissage auprès des aînés se
fait au prix d’échanges, d’allégeance, de constance, de loyauté. Il faut payer le
prix. C’est d’ailleurs pourquoi les cadres de proximité insistent beaucoup sur
l’accueil des nouveaux comme gage de fidélisation » (ibid., p 742).
Par ailleurs, Madeleine Estryn-Behar, Carine Jasseron et Olivier Le Nézet (2006)
précisent que les conditions de travail difficiles conduisent un tiers du personnel paramédical
à abandonner sa carrière en cours de route ; ce qui s’avère considérable par rapport à
beaucoup d’autres professions. Selon les chiffres de 2003 de la CNRACL
4, 24% des
aides-soignantes partent avant 55 ans, 30% des infirmières, et 27% des infirmières spécialisées.
Enfin, l’augmentation du nombre de CDD, le recours à l’intérim, suggèrent une évolution
de la gestion du statut de la main-d’œuvre, mais les données générales sur les recrutements et
4 Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales