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CHAPITRE 2 . QU’EST-CE QUE « TRANSMETTRE » EN SITUATION DE

1. Une configuration protéiforme

1.1. Divers types de dispositifs et diverses finalités

Les problématiques soulignées dans le chapitre précédent – notamment celles de

l’insertion des jeunes, et du maintien en emploi des âgés, dans des contextes de production de

plus en plus flexibles – ont fait émerger, depuis un certain nombre d’années, des dispositifs

institutionnels qui touchent tant à l’emploi qu’à la formation, et où la problématique de la

transmission est mise au-devant de la scène.

Coexistent ainsi aujourd’hui, dans le code du travail (et aussi dans les accords nationaux

interprofessionnels), d’un côté des dispositifs en faveur de l’emploi en termes « d’aides au

maintien et à la sauvegarde de l’emploi », « d’aides à l’insertion, à l’accès et au retour à

l’emploi », et d’un autre côté, des dispositifs en lien avec l’organisation de la formation

professionnelle avec notamment le développement de « la formation tout au long de la vie

10

».

Cette dernière intègre à la fois la formation initiale, « l’apprentissage » (en éducation

alternée), la « formation professionnelle continue », et la VAE

11

. A son tour, la formation

professionnelle continue inclut (outre le plan de formation de l’entreprise, le développement

des DIF

12

, CIF

13

et autres « congés de bilan de compétences »), des « périodes de

professionnalisation » et des « contrats de professionnalisation », qui tous deux préconisent la

mise en place du « tutorat ». Précisons dès à présent que le terme de « tutorat » est très

répandu, souvent employé pour des dispositifs plus ou moins formalisés, avec des finalités

plus ou moins précises et destinés à divers publics. Ce terme désigne ainsi ordinairement

« la » modalité de transmission des savoirs et savoir-faire en situation de travail.

Les plans de formation en entreprise donnent lieu usuellement à des découpages

réglementaires distinguant des enjeux : 1) d’adaptation au poste, 2) d’évolution des emplois et

de maintien dans l’emploi, et 3) de développement des compétences des salariés. Partant

d’une lecture critique de ce découpage, une équipe de chercheurs en Sciences de l’éducation a

proposé une catégorisation affinée (Astier et al., 2006 ; Conjard et al., 2006)

14

, dans le cadre

10 « La formation professionnelle tout au long de la vie constitue une obligation nationale. Elle vise à permettre à

chaque personne, indépendamment de son statut, d'acquérir et d'actualiser des connaissances et des compétences favorisant son évolution professionnelle, ainsi que de progresser d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle ». Article L6111-1 du code du travail, Modifié par la LOI n°2009-1437 du 24 novembre 2009 - art. 1

11 Validation des Acquis d’Expérience

12 Droit Individuel à la Formation

13 Congés Individuels de Formation

14 En l’occurrence, leur réflexion a été menée en référence à la loi sur « la formation tout au long de la vie » qui

date de 2004.

d’une étude réalisée auprès de 10 entreprises de secteurs différents (électronique, transport,

aéronautique, industrie du béton…). Ils ont proposé de se centrer davantage sur « les

problématiques ou défis auxquels sont confrontées les entreprises à court, moyen ou long

termes » (Conjard et al., 2006, p11). Ils ont ainsi identifié quatre enjeux :

 des enjeux d’intégration de nouveaux salariés : quel que soit le statut du nouvel

arrivant, le but est de le préparer à s’adapter aux exigences des situations

professionnelles en termes d’acquisition de connaissances relatives aux matériels et

procédures, et plus globalement à l’organisation et à la culture de l’entreprise ;

 des enjeux d’adaptation : l’entreprise cherche à renouveler le niveau et les contenus

des compétences des travailleurs pour faire face à des changements ;

 des enjeux de mobilité ou de parcours : l’entreprise vise à préparer et accompagner

les salariés aux exigences de leurs nouvelles fonctions ; les auteurs distinguent

mobilités internes ou externes, verticales ou horizontales ;

 des enjeux de transfert et de coopération intergénérationnelle : il s’agit pour

l’entreprise de transmettre des compétences peu ou pas formalisées, détenues par les

plus expérimentés, d’assurer les coopérations avec les nouveaux arrivants et de

renouveler les compétences.

La catégorisation proposée plus récemment par Annabelle Hulin (2010) prend place,

quant à elle, dans une analyse du tutorat en Sciences de la gestion. Si l’on rapproche son

découpage de celui d’Astier et al., on constate en fait que trois items sont analogues

(adaptation, mobilité, transfert) mais qu’elle déploie le quatrième – le premier de la liste

ci-dessus : l’intégration. Elle distingue ainsi :

 le tutorat de qualification : c’est le modèle de tutorat le plus connu et le plus

facilement observable dans les organisations, en lien avec la mise en place de

formation qualifiante en alternance (contrats d’apprentissage, contrats de

professionnalisation et autres contrats de formation en alternance) ;

 le tutorat d’intégration : ce modèle est lié à la question prioritaire, pour de

nombreuses organisations, du recrutement et de l'intégration des jeunes. Face aux

difficultés de recrutement, l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des

jeunes devient une nécessité. Le tutorat est au centre de ce type de politique où il

s’agit alors de présenter et de placer le nouveau salarié dans l’activité de

l’organisation ;

 le tutorat d’insertion : ce modèle est lié à la mise en place par les pouvoirs publics de

situations de formation non qualifiantes où le tutorat joue un rôle essentiel pour des

populations considérées comme menacées : les chômeurs de longue durée, les jeunes

sans qualification, les individus sortis du marché du travail et les personnes en

situation d’exclusion.

L’auteure souligne, à partir de la littérature mais aussi de ses propres résultats de

recherche, que « ces différents modèles montrent bien la diversité de situations que recouvre

l’exercice du tutorat, et qu’il peut être mis en place dans de nombreux contextes » (ibid.,

p 116). Selon elle, ces modèles ne sont pas exclusifs.

De plus, selon les auteurs précédents (Astier et al., 2006), chaque enjeu peut être traité

dans des relations plus ou moins étroites avec des situations de travail précises. Ils distinguent

ainsi (ibid., p 32) :

 des dispositifs « génériques », animés en général par un prestataire externe sans effort

particulier d’ajustement au contexte de l’entreprise ; leur pertinence et leur efficience

dépendront de la qualité du redimensionnement des éléments génériques à la

problématique singulière locale ;

des dispositifs « spécifiques », conçus spécialement pour l’entreprise, avec ou sans

intervention d’un prestataire externe ;

 des dispositifs « hybrides »,mixant le générique et le spécifique.

Les auteurs se concentrent davantage sur le tutorat, qu’ils classent parmi les dispositifs

« hybrides ». Selon eux, il faudrait d’ailleurs parler de « tutorats », au pluriel, en fonction des

exigences organisationnelles : le dispositif a-t-il été construit par l’entreprise ou par un

spécialiste extérieur ? Le cursus est-il stabilisé, défini ou au contraire laissé à l’ajustement des

acteurs ? Quel est le statut du tutoré ? Y a-t-il ou non des tests à lui faire passer ? Les tuteurs

ont-ils bénéficié d’une formation à cette fonction ? Ces éléments les amènent à insister sur le

fait que le tutorat ne devrait pas être conçu comme un dispositif en soi, mais plutôt comme

une « matrice pour penser et agir » des dispositifs variés.

Aussi bien le découpage d’Astier et al., que celui de Hulin, permettent de pointer à la fois

l’expansion du tutorat et son hétérogénéité, en raison du caractère multiforme et mouvant des

stratégies de gestion de la main-d’œuvre et de l’emploi, tant dans les instances publiques que

dans les entreprises. De plus, suivant les circonstances, ces stratégies se cumulent voire

s’entremêlent, ce qui peut parfois rendre difficile la compréhension de ce qui se joue

réellement. Dans une situation, pouvoir séparer ces différentes catégories peut s’avérer très

complexe. Cela nous conforte dans une acception large de la transmission professionnelle,

telle que nous l’avons indiquée en introduction. Nous jugeons légitime de ne pas la cantonner

à un seul item de la nomenclature, comme la situation de « transfert et de coopération

intergénérationnelle » à laquelle on l’assimile souvent.

Il est utile d’ajouter ici – comme d’ailleurs Astier et al. le mentionnent – que ces

nomenclatures pourraient comporter un item supplémentaire, celui qui caractériserait

l’absence de dispositif institutionnel. Ces situations ne sont pas celles qui prédominent dans

les analyses que nous venons de citer ; mais par exemple, dans l’étude de Cloutier et al.

(1999 ; Gagnon et coll., 2003), auprès d’auxiliaires familiales et sociales à domicile (AFS),

les auteures font état d’une situation de transmission liée aux conditions particulières de

remplacement pendant les congés : une AFS fait le choix d’initier sa remplaçante aux

manières d’agir avec les patients dont elle s’occupe, en particulier pour préserver la qualité

des soins.