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CHAPITRE 6. L’ELABORATION DES CONTENUS : COMBINER LES SAVOIRS

2. Sur le pôle « autres »

Le lien qui doit s’établir avec les collègues, du même métier ou non, fait partie des

éléments essentiels véhiculés dans les interactions formatives. On le retrouve en situation sous

plusieurs dimensions.

2.1.Donner des informations sur les collègues, savoir comment ils

fonctionnent

Relèvent d’abord du pôle « autres », les informations que les encadrantes fournissent sur

les modalités d’action de tel collègue, ou de telle catégorie de collègues, ce qui joue sur la

manière dont va se dérouler l’organisation collective des soins. Dans certains cas, il s’agit

simplement de préciser comment les autres fonctionnent, pour ne pas être surpris :

AS (à la nouvelle) : on va mettre la présence. Tu sais des fois, les médecins entrent sans regarder. (S3)

Le binôme ancienne-nouvelle AS s’apprête ici à réaliser une toilette au lit auprès d’une

patiente. L’ancienne rappelle la règle générale de prévenir les personnes à l’extérieur de la

chambre que quelqu’un est en train de réaliser un soin, par le fait d’allumer la lumière

extérieure (« présence »). Mais elle précise également à la nouvelle qu’en pareil cas il se peut

pourtant que certains collègues n’en tiennent pas compte.

Dans d’autres cas il s’agit de présenter les caractéristiques de certains collègues qui

aident, qui sont donc ressources pour la réalisation des soins :

AS : Delphine lui a fait le dos mais il est douloureux. Généralement Delphine aide ; elle tourne ici et en hôpital de semaine

Nouvelle AS : Delphine c'est ? AS : l'infirmière (S2)

A l’inverse il peut s’agir de pointer les pratiques de collègues (un médecin dans l’extrait

ci-dessous), qui peuvent être source d’erreurs ou d’embarras :

O : […] les infirmières connaissaient la personne donc on m’a dit « méfie-toi, il va prescrire des trucs et il ne va rien te dire, et il va remettre le dossier au milieu des autres »/

2.2.Présenter les spécificités du service et les règles collectives locales

Au-delà d’informations sur les caractéristiques personnelles des collègues, les

encadrantes sont attentives à préciser aux nouveaux les usages locaux dans le fonctionnement

collectif au sein du service, et d’expliquer en quoi cela est spécifique. Lors des ateliers, les

élèves ont souvent insisté sur le fait que les pratiques changent d’un service à un autre ;

éléments qui ont aussi été abordés au cours des entretiens avec les nouvelles arrivées

récemment dans les services : « je savais faire dans tel service, mais le protocole de cet autre

service n’était pas le même, donc je ne savais plus faire ». C’est déjà le cas à propos du

matériel :

SICS (à l’IDE) : les antibio c'est marqué où ?

IDE (à la SICS) : nous on les marque sur les pancartes dans les chambres IDE (à l’Elève et à la SICS) : la pancarte doit être réadaptée. C'est le Docteur « B » qui veut les garder. (S11)

Dans cet exemple, l’IDE du SICS est étonnée, car ayant l’occasion d’aller dans plusieurs

services, elle remarque que c'est un des seuls services qui a encore des pancartes murales dans

les chambres des patients. L’IDE confirme ici tout à la fois cette spécificité du service, et

indique que c’est la volonté d’un médecin en particulier. Ces précisions sont données aussi

bien à la nouvelle qu’à l’élève.

Au-delà des questions de matériel, les encadrantes ont à présenter aux nouvelles les

tâches spécifiques des vacations horaires et leurs répartitions entre les différentes équipes de

quart, la gestion des changements éventuels.

IDE (à l’élève) : les injections sont préparées d'un quart à l'autre (S9)

AS (à la nouvelle) : tu mets deux gants et deux serviettes pour les collègues de l'après-midi (S2)

IDE (à l’élève) : il faudra transmettre à l'interne qu'il y a un changement de médecin et d'horaires (S8)

Les encadrantes sont amenées aussi à préciser les usages en matière de collaboration et

coordination avec les collègues, du même métier ou d’un métier différent :

Nouvelle AS : le lever tu le fais seule ou avec l'IDE ? "

AS : ça dépend, si tu peux toute seule ou pas, mais quand c'est un premier lever, tu le fais avec l'IDE (S3)

Nouvelle AS : il faut descendre le linge sale ?

Nouvelle AS : vous distribuez les ptits dej’ avec les ASH ? AS : oui

Nouvelle AS : à quelle heure ?

AS : 8h00 -8h05, ça dépend si l’IDE a fini les prises de sang (S2)

A certains moments de la journée, la répartition des tâches entre métiers peut aussi

changer. Ce qui est important c’est que ce sont les responsabilités vis-à-vis de l’ensemble de

l’équipe qui changent comme dans l’exemple suivant :

AS (à la nouvelle) : là c'est l'heure du staff avec les médecins, les internes et les IDE à la bibliothèque. C'est nous qui nous occupons du service, répondre au téléphone, prendre les rendez-vous (S2)

Les indications sur la variabilité des tâches et leurs modalités de réalisation peuvent aller

jusqu’à indiquer à l’élève qu’elle a le droit de déroger à la règle collective, sous réserve de le

signaler.

IDE (à l’élève) : nous on aime bien le faire avec une [perfusion] sur 16 heures, et une sur 8 heures, comme ça on garde des horaires convenables. Si tu ne le fais pas c'est bien de prévenir (S8)

Enfin, en lien avec l’articulation des usages collectifs locaux et de la possibilité d’y

déroger, l’encadrante peut être amenée à préciser ce qu’elle fait elle-même de différent par

rapport à ses collègues.

AS (à la nouvelle) : quand le patient a « repos absolu » je change tous les draps, mais mes collègues changent que l'alèse, ça dépend (S2)

AS (à la nouvelle) : avant on prenait les fiches avec nous, et en revenant on les mettait à l'envers pour que les ASH voient les chambres dans lesquelles elles peuvent faire le ménage… mais bon, moi, je fais pas comme ça (S2)

2.3.Insister sur le respect des collègues, et la réciprocité de l’aide

Un objectif des encadrantes est de faire comprendre, aux élèves notamment, qu’il faut

respecter le périmètre de ses tâches pour ne pas donner une charge de travail aux collègues.

IDE (à l’élève) : les SIIPS54 tu connais ? Elève (à l’IDE) : un peu mais pas trop

54 Soins Infirmiers Individualisés à la Personne Soignée : ceux-ci sont cotés puis saisis sur informatique

IDE (à l’élève) : tu as des éléments sur les soins de base, les soins techniques et relationnels. […] Il faut penser à les faire à chaque fois, sinon ce sont les cadres qui les font. C'est pas agréable pour elles, et surtout on ne s'en souvient plus 15 jours après. (S11)

IDE (aux élèves) : il faut toujours vérifier s'il n'y a pas de vaisselle à faire, sinon les collègues de l'après-midi ne vont pas être très très contentes (S9)

Dans certaines situations complexes ou délicates, d’un point de vue physique ou

psychique, savoir faire appel au soutien des collègues devient un enjeu important. C’est le cas

par exemple lors des actes à réaliser après le décès d’un patient :

Nouvelle AS : vous bouchez quoi ici ? Moi je fais anus mais la bouche j'arrive pas

Ancienne AS : le problème si tu bouches pas, c'est pour la famille après… moi j'appelle une collègue

Nouvelle AS : vous le faites tout le temps ou ça dépend des filles ?

Ancienne AS : on appelle des collègues de B ou C [autres secteurs du service], surtout s’il y en a une qui l'a déjà fait. (S2)

S’organiser collectivement repose sur une valeur de respect des collègues, et de

réciprocité.

AS (à la nouvelle, à propos du réapprovisionnement du chariot) : l'essentiel quand tu as fini, c'est que ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, tu ne le fais pas aux autres (S2)

IDE (à l’élève) : s'organiser au fur et à mesure ça permet d'aller aider la collègue, parce que toi, le jour où tu en as besoin tu es bien contente

[atelier séance 3, tablette 6, S9]

Cette dernière tablette a été choisie par une élève comme la plus importante des 12

proposées. L’élève (initiale P, dans l’extrait ci-dessous) précise qu’il s’agit pour elle de

valeurs d’entraide et de soutien entre collègues. Elle les présente comme étant au centre du

métier, mais précise que de son point de vue, elles ne s’apprennent pas. Cependant, au fil des

échanges ses collègues pointent une tension entre la conception de ces éléments en termes de

valeurs de métiers, et ce qui se passe réellement au sein des services, en situation, notamment

dans les phases d’apprentissage.

P : […] on n’apprend pas à/ on peut pas apprendre à quelqu’un à se forcer à aller aider une autre personne/

I : non ça c’est sûr/

P : si ça vient pas de soi-même/ je vois pas l’intérêt qu’on dise « tu vois pas que telle personne est dans l’embarras, va l’aider », pour moi c’est du bon

sens, c’est … on devrait pas avoir à l’apprendre à un étudiant, enfin je sais pas/

E2 : « on devrait pas avoir à l’apprendre … » ?

P : non/ après je dis pas que c’est bien ou pas bien de le faire, je dis juste que c’est/ ça fait pas partie d’un apprentissage mais d’une valeur/ donc selon moi ça s’apprend pas, c’est comme une religion, c’est comme heu … c’est quelque chose qu’on a en soi. C’est pas quelque chose qu’on peut nous apprendre/

E2 : ça veut dire que vous ne l’avez jamais entendue, cette phrase ?

O : si, si si, mais heu … parce que quand on est étudiant, on est pris par / justement on s’occupe de l’organisation, on s’occupe de tout ça, donc on pense pas forcément à ce genre de choses/

E2 : donc vous l’entendez quand même/

O : voilà… mais sur le moment/ mais c’est vrai que… une fois qu’on a compris comment ça marchait, et qu’on a le temps justement, qu’on a fait nos soins et qu’on a le temps, là bien sûr [on le fait]/ […]

J : c’est pas inné pour tout le monde /

[atelier séance 3, tablette 6, S9]

La dernière intervention de J, à l’inverse de la première de P, laisse sous-entendre, que

justement comme « ce n’est pas inné », il est important que les encadrantes le leur rappellent

en situation.