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CHAPITRE 5. LA TRANSMISSION, UNE TÂCHE DISCRÉTIONNAIRE

1. L’accueil des nouveaux : des conditions contrastées

Comme dans bon nombre de situations, quand on interroge les personnes sur leurs

situations de travail, ou ici leurs situations d’accueil lors des stages, ce qui est d’abord

présenté correspond au prescrit. Les étudiants le nomment ici l’encadrement « type » ou

« idéal ». C’est seulement lorsqu’on les incite à prendre des exemples concrets, que l’on

découvre les écarts à ce prescrit, le réel dans sa variabilité. Les propos des élèves soulignent

des conditions contrastées suivant les services, et les modalités d’accueil que ceux-ci ont mis

en place ou non. Il est intéressant de présenter ici, telle qu’elle nous a été décrite à la première

38 Rappelons qu’afin de faciliter la lecture, nous employons le terme « encadrant » pour l’ensemble des

personnels soignants prenant en charge l’accueil et l’encadrement d’un « nouveau », quel que soit son statut (élève ou nouveau personnel).

séance d’atelier, une situation d’accueil particulièrement décousue, avec des conséquences sur

le suivi et l’évaluation :

P : par exemple dans mon stage, je suis arrivée dans un service d’urgence pour 10 semaines, où je suis allée voir le cadre en lui disant : je me présente, je suis C […] je viens passer 10 semaines dans votre service/ « oui bon bah là j’ai pas le temps, voyez avec unetelle ». Donc unetelle, qui était une infirmière. Donc je me représente, une deuxième fois : le cadre m’a dit de venir avec vous/39

E140 : et pendant ce temps-là vous faisiez quoi ?

P : ben là je suis/ c’est vraiment le matin, je ne suis toujours pas habillée parce que je ne sais pas où sont les vestiaires. Je vais voir l’infirmière : je suis en stage/ « là j’ai un soin à faire, va voir unetelle » - unetelle qui se trouve être l’AS, qui me dit : « il faut que tu te changes, tu descends 2 étages, la première porte à droite, le code c’est machin ». Bon bah là déjà retenir toutes les informations. Je vais me changer, je reviens. Du coup, je vais voir l’infirmière initiale qui me dit : « ah non moi je ne m’occupe pas des étudiants, va voir une autre infirmière ». Donc là je vais voir une autre infirmière en lui disant que je suis là pour 10 semaines, en lui expliquant que le cadre ne m’a pas encore mis mon planning. Je sais qu’aujourd’hui les premières journées, c’est en journée 9h00-17h00, mais je lui dis que demain je ne sais pas quels horaires je fais. Elle me dit « reste avec moi et puis on verra ce que tu vas faire ». Donc je l’ai suivie toute la journée, et à la fin de la journée je suis quand même retournée voir le cadre en lui disant : est-ce que je pourrais avoir mon planning, demain on s’organise comment ? Est-ce que je passe une semaine avec les AS41 ? Est-ce que je… ? » ... pas trop trop de réponse, donc il me dit « demain tu viens à 7h00 ». Et puis toute la semaine s’est défilée au fur et à mesure, j’avais des informations au compte-gouttes quoi. Pour pas avoir un suivi régulier [je n’en ai pas eu]…j’ai jamais eu de tutrice nommée, jamais eu une semaine d’AS suivie, et pour avoir des difficultés à la notation du stage [il y en a eu] parce que, en fin… ah oui, donc : « on peut te noter mais avec qui tu as fait ça ? Non, tu es restée que 2 jours avec elle ». Les infirmières présentes : « ben non je ne la connais pas, je ne sais pas comment elle travaille, je ne l’évalue pas »... donc ça met dans une grande situation… !

E2 : est-ce que vous pouvez avoir une estimation de combien de personnes différentes ? P : l’ensemble de l’équipe

E2 : c’est combien ?

P : peut-être une quinzaine d’infirmières/ E2 : et l’évaluation de fin de stage/

P : a été faite par le cadre qui ne m’avait jamais vu travailler, en fonction des ressentis, des échos qu’il a eus sur mon travail, sur les personnes qui étaient là, présentes pour faire l’évaluation qui ont pu dire « bah moi je l’ai vue, oui peut-être, faire ça mais … »

E2 : concrètement ils se sont réunis ensemble pour en parler ? P : oh non !

[atelier séance 1]

39 Ce signe sera utilisé pour signaler que les protagonistes s’interrompent

40 Les « E » désignent les deux ergonomes qui ont réalisé les ateliers avec les étudiants ; les autres lettres sont les

initiales des étudiants participants.

41 Le dispositif prévoit que les étudiants infirmiers passent la première semaine de stage, et parfois d’autres,

auprès des AS ; voir ci-après nos indications sur le stage « type ».

Des situations d’accueil comme celle-là, marquées par une longue phase de tâtonnements,

délicate à gérer pour le nouveau comme pour ceux qui doivent l’encadrer et l’évaluer, ne sont,

à notre connaissance, pas majoritaires, mais pas exceptionnelles non plus. Plusieurs exemples

nous ont été cités ; retenons cet extrait d’un entretien avec une élève : « J’ai pas pu être

accueillie dans l’unité prévue parce que l’IDE avait déjà une élève avec elle…donc on m’a dit

d’aller de l’autre côté. Le problème c’est que là-bas… personne ne m’attendait vraiment. […]

Personne ne m’a dit : tu viens avec moi, donc j’étais un peu perdue. Je voulais aller avec la

personne du SICS

42

parce que je l’ai vue en premier. Elle n’était plus présente quand je suis

arrivée, et après je suis allée rejoindre l’autre personne qui avait plus d’expérience dans le

service. […] Je changeais tout le temps d’IDE, et à chaque fois je me disais : comment elle va

me voir, comment est-ce qu’elle va m’évaluer… C’est important car elles ne me connaissaient

pas, donc il fallait à chaque fois que je fasse mes preuves » (élève de 3

ième

année, après son

stage de 3 semaines en chirurgie cardiaque, décrivant une vacation que nous avons par ailleurs

observée

43

).

On est évidemment loin de l’encadrement « type », officiellement prévu, tel que

l’évoquent les stagiaires : « l’encadrement type en fait, on devrait être reçu par les cadres, qui

nous expliquent le fonctionnement du service en nous donnant notre planning, en nous

désignant une tutrice, et nous en lui montrant nos objectifs de stage.[…] Et nous, comme on

est encore étudiants, généralement les premières semaines on les passe avec les AS pour bien

voir les soins de base, parce que le rôle d’AS c’est notre rôle propre, ce sont des soins qu’on

délègue à l’AS. Donc les AS nous expliquent le fonctionnement du service, les soins de base,

les soins de confort, de nursing, l’organisation des repas, l’explication des régimes tout ça…

[…] Après, au fil de notre stage, au mieux c’est avec notre tutrice, donc l’infirmière qui doit

nous évaluer à la fin de notre stage, on apprend tous les rôles sur prescription. Et comme on

est censé suivre notre tutrice, elle peut nous évaluer, et après nous confier certains soins

qu’elle a jugé qu’on pouvait faire seul » (propos d’une élève pendant la première séance

d’atelier).

Nous ne défendons pas ici l’idée qu’un déroulement rigoureusement fidèle au prescrit

serait par essence le meilleur qui soit. En pratique, si l’on se réfère à ce qu’en disent les

étudiants, certains modes d’organisation élaborés localement sont satisfaisants par la qualité

42 Personnel de l’équipe de remplacement du CHU

43 Situation n°11, décrite ci-après

de la préparation qu’ils permettent. Il s’agit souvent d’initiatives propres à certaines

spécialités, en lien avec les traditions de leur discipline médicale (psychiatrie), ou avec la

prise en charge complète par le service d’une formation peu développée à l’IFSI

(néonatalogie). En pareil cas, les stages sont planifiés, les élèves sont présentés par les cadres

à l’ensemble des équipes, une journée d’accueil peut être organisée par des personnels formés

au système de tutorat, le bilan des acquis est mis à jour quotidiennement, etc.