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Chapitre 2 – Approche multiples autour de la parentalité 63

3   Parentalité, pluriparentalité, coparentalité 92

3.2   Pluriparentalité 96

Comme le soulignent Didier Le Gall et Yamina Bettahar dans l’introduction de l’ouvrage collectif La pluriparentalité, « l’émergence des pluriparentalités réinterroge certains liens familiaux au-delà de la famille conjugale » (Le Gall et Bettahar, 2001, p.13). Néanmoins, « qui peut être parent ? » reste une question axée le plus souvent autour du projet d’avoir un enfant, de devenir parent. Les situations d’adoptions, d’homoparentalité et de beau-parentalité s’ancrent dans le projet d’avoir un enfant. Le projet de devenir père ou mère ne passe plus seulement par la participation à sa conception, mais par la participation à son éducation. Ainsi c’est davantage le désir d’avoir un enfant (à engendrer ou à éduquer) qui semble compter dans le fait de devenir père ou mère. Il s’agit le plus souvent de donner une place juridique au sein de la parenté, d’ouvrir la parenté de l’enfant, au-delà des questions du biologique, aux adultes qui ont le désir de participer à son éducation en tant que mère ou père. Dans ce sens, cette appréhension de la pluriparentalité élargit la réflexion sur le concept de pluriparenté reconnaissable à un enfant. Au-delà de la reconnaissance juridique de la mère et du père, vient s’ajouter la reconnaissance possible de plusieurs parents.

Cependant, une majorité de travaux aborde la pluriparentalité dans le cadre de la conjugalité, sans sortir de l’idée d’un couple parental, et en conservant parfois l’idée d’une exclusivité bilatérale, pour reprendre les termes de Françoise Romaine-Ouellette citée plus haut. Il s’agit le plus souvent d’un couple d’adoptants ou d’un couple homosexuel ayant le projet d’avoir un enfant. De même, les situations de beau-parentalité s’installent par le biais de la conjugalité, au travers des liens qui unissent l’un des père ou mère de l’enfant à un-e conjoint-e. Le partage de la parentalité est ici pensé au travers d’une recomposition conjugale et fortement lié à l’une des figures parentales préexistante (le père ou la mère de l’enfant). La pluriparentalité questionne en effet les liens de filiation, mais reste souvent pensée dans le cadre de l’alliance, rejouant le cadre exclusif de notre système de parenté. Les liens de filiation se transforment, mais reposent le plus souvent sur les liens d’alliance et le projet d’un couple de devenir parent ou d’être reconnu comme tel, par exemple dans l’acquisition de droits aux beaux-parents. Seules les situations de monoparentalité pourraient être

appréhendées en dehors de l’alliance, dans le sens d’un projet d’enfant élaboré seul-e, d’une monoparentalité choisie ou du moins assumée.

Les situations de placement de l’enfant permettent de penser le partage de la parentalité en dehors d’un cadre de parenté ou de conjugalité. C’est en effet ce que montrent les rares études sur les familles d’accueil (Cadoret, 1995), en pensant la pluriparentalité en dehors de tout lien de parenté, et seulement basée sur un accueil familial, au sens de la protection de l’enfance, de l’enfant. Dans ces situations, les nourrices (aujourd’hui, devenues professionnelles de la protection de l’enfance sous le terme d’assistant-e familial-e) prennent en charge une partie des fonctions parentales : éducation et soin quotidien, transmissions de valeurs, etc. Ces fonctions leur sont déléguées par la protection de l’enfance. Dans certaines situations, un sentiment d’appartenance familiale se crée entre la famille d’accueil et l’enfant accueilli, construit sur le partage du quotidien et la durée longue (parfois toute l’enfance) du placement. Anne Cadoret met ainsi en évidence la création d’une parenté plurielle construite en dehors de tout lien de parenté et de projet de devenir parent pour un enfant. Ces situations diffèrent de notre objet d’étude où le partage de la parentalité s’effectue au sein des liens de parenté. C’est dans cette approche que réside l’enjeu de notre recherche où se croisent partage de parentalité et liens de parenté.

Dans les situations d’accueil chez un proche, nous pourrions parler de pluriparentalité dans le sens où les fonctions et pratiques parentales sont partagées entre différents adultes. Aux parents, reconnus comme géniteurs et responsables légaux de l’enfant, s’ajoutent les proches (le plus souvent apparentés à l’enfant) qui s’occupent de la prise en charge quotidienne de l’enfant. C’est à ces derniers que la protection de l’enfance délègue, comme dans le cas des familles d’accueil, une partie des fonctions et pratiques parentales. Mais ici le sentiment d’appartenance familiale n’est pas seulement dû au partage d’un quotidien et d’une co- résidence, ainsi qu’aux pratiques parentales déléguées, puisque la plupart des proches font, de fait, déjà partie de la parentèle de l’enfant. Ici le partage de la parentalité se fait dans le cadre de la filiation ou de la germanité, c’est-à-dire de la famille élargie, de l’entourage. La prise en charge de l’enfant permet de sortir de ce cadre de conjugalité qui relie les adultes placés en position de père ou de mère à l’égard de l’enfant, et de questionner la parentalité sans penser conjugalité et couple de parents. Cette perspective se trouve dans les études sur la circulation des enfants, réalisées par Suzanne Lallemand (1993) ou Claudia Fonseca (2000). Ces travaux montrent que l’entourage proche de l’enfant exerce un partage de parentalité, en plus du

couple parental. La circulation des enfants participe à des systèmes d’échanges, de dons, au sein de la parenté. Elle permet, par exemple, le maintien de certains liens sociaux entre les donneur-se-s et les receveur-se-s. L’enfant qui circule entre plusieurs maisons, et notamment entre plusieurs prises en charge féminines, est ainsi inscrit dans plusieurs lignées en tant qu’enfant de sang, enfant nourri, enfant élevé, etc.

De plus, comme dans les familles d’accueil, les situations d’accueil chez un proche se démarquent de l’élaboration d’un projet d’enfant, du désir de devenir père ou mère pour un enfant. L’usage de la notion de parentalité en tant qu’ensemble de fonctions parentales permet ainsi de recentrer nos questionnements autour du « faire parent » plutôt que du « devenir parent ». Même dans des situations où les individus ne souhaitent pas être reconnus comme mère ou père, la mise en pratique des fonctions parentales pose la question de qui peut être parent, comme l’a montré Anne Cadoret avec l’exemple des familles d’accueil. Les parents d’accueil n’ont pas pour objectif d’avoir un nouvel enfant, mais en raison de la pratique quotidienne de l’accueil ils se trouvent en position de parent.

Dans cette perspective, notre recherche interroge les situations d’accueil d’un enfant sous l’angle de la pluriparentalité, appréhendée d’abord comme un « faire parent » partagé. Nous supposons ainsi que la pratique de la parentalité quotidienne, ainsi que les liens de filiation qui unissent le proche et l’enfant, mettent en place des situations de pluriparentalité où les proches endossent certains rôles de la mère et/ou du père. Le partage de la parentalité au sein de la parenté viendrait alors transformer les liens familiaux : les grands-parents, oncles ou tantes, frère ou sœurs assument un rôle de parent pour leurs petits-enfants, neveux ou nièces, frères ou sœurs. De ce fait, nous nous intéressons aux enjeux de renégociations des places autour de l’enfant. Il s’agit ainsi de questionner les places respectives des uns et des autres dans le système de parenté.

La multiplication des figures parentales pose la question de la reconnaissance de ces multiples places. Ces difficultés de reconnaissance des pluriparentalités sont visibles au travers de la dénomination des figures parentales qui restent toujours axées autour de l’idée d’exclusivité d’un père et d’une mère. En France, cette question de la dénomination est d’autant plus présente au sein de la protection de l’enfance que la multiplication des figures parentales y est le plus souvent interprétée comme une substitution parentale. Cette substitution est considérée, ainsi que nous l’avons dans la première section, comme un risque à éviter.

Cette mise en évidence de la « parenté pratique », pour reprendre les termes de Florence Weber, suscite aussi des enjeux de reconnaissance symbolique de la place de proche. En effet, même si ces différentes composantes de la parentalité peuvent se distinguer analytiquement, elles s’entremêlent à la fois dans la pratique et dans les représentations. Le concept de pluriparentalité permet de croiser les questions sur le faire parent et les enjeux de reconnaissance qui se cachent derrière.

Toutefois, une autre notion est employée pour caractériser le partage de la parentalité entre plusieurs adultes : celui de coparentalité. Afin de désigner au mieux les situations de placement chez un proche, nous nous sommes également intéressées à cette notion. Peut-on parler de coparentalité pour les situations d’accueil chez un proche ?