Chapitre 3 – Enquêter auprès de familles suivies dans le cadre de la
3 Réflexions autour de l’appartenance sociale des familles enquêtées
3.2 Qui sont les acteurs familiaux de notre terrain ? 125
Notre recherche, sans être axée directement sur les rapports sociaux, ne peut faire l’impasse d’une description sociologique des situations des enquêté-e-s. En partant des trois caractéristiques soulignées par Olivier Schwartz, il a fallu retenir des critères pour délimiter nos classes populaires. Je me baserai sur le statut face à l’emploi (en activité professionnelle ou non, la catégorie socio-professionnelle), les sources de revenus (salaire, retraite, prestations sociales), et ce pour les parents et pour les proches accueillants. Pour le niveau d’études très peu d’informations ont pu être obtenues. La division selon les classes sociales s’est faite à partir des catégories socio-professionnelles de l’INSEE (PCS) et des sources de revenus, comme Aurore Loretti l’a fait dans sa thèse sur les inégalités sociales face au cancer (Loretti, 2017). Ainsi :
-‐ les classes populaires comprennent les ouvriers, une partie des employés (service directs aux particuliers, de commerce, agents de la fonction publique), les personnes en situation de chômage ou sans activité professionnelles ayant pour ressources principales des prestations sociales (RSA, allocations logement, prestations familiales) ;
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Sur ce point, voir notamment les travaux de Serge Paugam sur la disqualification (1991) ou encore ceux de Maryse Bresson sur la précarité (2007).
-‐ les classes moyennes regroupent l’autre partie des employés (employés civils de la fonction publique, policiers et militaires, employés administratifs d’entreprise), les agriculteurs exploitants, les artisans, les commerçants et assimilés, les professions intermédiaires ;
-‐ les classes supérieures englobent les chefs d’entreprise de dix salariés ou plus, les cadres et les professions intellectuelles supérieures.
Nous avons donc complété les données (partielles ou inexistantes) recueillies auprès des travailleuses sociales avec celles recueillies auprès des acteurs familiaux rencontrés. Ces informations concernent 16 situations sur les 30 prises en charge par le service. Néanmoins, il faut souligner que pour ces 16 situations, tous les proches et tous les parents n’ont pas été rencontrés.
Le tableau ci-dessous regroupe les données concernant l’emploi, la situation conjugale et celle face au logement des parents et des proches pour les 16 situations familiales enquêtées. Nous avons croisé les informations des différents acteurs familiaux et professionnels rencontrés.
Tableau 4 – Données sur la situation sociale des acteurs familiaux
Situation57 Mère Père Proche(s)
3 Vente (escort selon la travailleuse sociale)
Routier Retraité : responsable équipe usine chicorée
Veuf (d’ouvrière textile) Propriétaire maison avec jardin
5 Sans activité
Locataire
Inconnu Deux retraités : technicien en électroménager et aide à la personne
Propriétaires maison avec jardin
6 Aide à la personne sans
activité
Ouvrier bâtiment sans activité (DCD)
Retraitée : ouvrière Veuve
Propriétaire maison avec jardin
9 Sans activité Non renseigné Aide laboratoire dans un collège au
chômage
En couple (avec employé municipal)
Propriétaire maison avec jardin
10 Animatrice scolaire
En couple (intérimaire en maçonnerie)
Locataire (appartement thérapeutique)
Inconnu Agent de service hospitalier (arrêt maladie)
En couple (avec ergothérapeute) Propriétaire appartement
11 Sans activité Sans activité
Locataire
Institutrice En couple
Propriétaire maison avec jardin
15 Non renseigné Ouvrier bâtiment
En couple Locataire
Retraité : boucher
En couple (avec employée municipale en cantine) Propriétaire maison 17 Sans activité (fin des
études niveau collège)
Ouvrier usine automobile Incarcéré
Deux retraités : routier et mère au foyer
Propriétaire maison
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Chaque situation familiale a été identifiée par un numéro correspondant à l’ordre d’entrée sur le terrain. Dans notre propos nous caractérisons les situations par le nom de l’enfant concerné suivi du numéro entre parenthèse de sa situation : pour exemple, Pierre (5).
Situation58 Mère Père Proche(s) 18 Sans activité (formation
en coiffure) Locataire
Sans activité (sortie de prison, formation d’électricien)
Préretraite ouvrier en manutention et mère au foyer
Propriétaire maison
19 Sans activité
(intérimaire) Locataire
Incarcéré (ou sorti ?) Employée municipale sans activité Locataire appartement
20 Sans activité Sans activité
(bénéficiaire de l’AAH)
Locataire
Employée municipale sans activité depuis 2010
Veuve (d’un peintre en bâtiment) Locataire maison dans cité ouvrière
22 Sans activité En couple (mécanicien sans activité) Locataire Chômage En couple (chômage) Logé chez sa conjointe locataire
Lingère à mi-temps dans milieu hospitalier
Veuve Locataire
23 Sans activité Inconnu Sans activité et livreur
En accession à la propriété
24 Sans activité
Chambre en CHRS
Sans activité (intérimaire)
Logé chez ses parents (TDC)
Aide à la personne sans activité En couple (avec intérimaire en agriculture et automobile) Propriétaire maison
26 Sans activité Chef d’équipe usine
En couple (infirmière) Locataire
Grand-mère sans activité et grand- père en activité
29 Cadre dans restauration En couple (conjoint patron d’une chaîne de restauration collective) Logée chez son conjoint propriétaire
Inconnu Non renseigné
Lecture : dans la situation 29, la mère est cadre dans la restauration et son conjoint est patron dans une chaîne de restauration collective. Elle vit chez ce dernier, qui est propriétaire du logement. Le père est déclaré « inconnu ». Enfin, aucune information n’a été renseignée pour les proches.
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Chaque situation familiale a été identifiée par un numéro correspondant à son ordre d’entrée sur le terrain. Dans notre propos nous caractérisons les situations par le nom de l’enfant concerné suivi du numéro entre parenthèse de sa situation : pour exemple, Pierre (5).
La majorité des parents sont séparés et vivent avec un(e) nouveau(velle) conjoint(e), sur laquelle nous n’avons pas ou peu d’information. Nous présenterons donc séparément la situation sociale des mères puis celle des pères.
Les mères concernées
Au moment de l’entretien (2014-2016), 1 mère est décédée (vendeuse), 13 sont sans emploi et 2 exercent une activité salariée. L’une est animatrice (BAFA) dans une école primaire, l’autre (Bac +2) exerce, auprès de son nouveau conjoint, dans la restauration. Parmi les 13 mères déclarées sans activité professionnelle, 3 ont déjà exercé un emploi (esthéticienne, aide à la personne, employée de commerce). Pour les 10 mères restantes, l’information principale est « n’a jamais travaillé ». Pour ce qui est de leurs ressources financières, les données sont extrêmement partielles. Elles manquent pour 10 d’entre elles. Pour les 6 autres, il est indiqué qu’elles touchent soit le RSA, soit « le chômage », soit des aides sociales ou des allocations familiales (PAJE). Une des mères indique lors de l’entretien qu’elle se rend tous les lundis matin aux restos du cœur pour bénéficier de l’aide alimentaire. En ce qui concerne le type de logement, les informations ne manquent que pour 3 mères. La grande majorité des mères sont locataires (10/16), seulement une mère se déclare propriétaire avec son nouveau conjoint. Dans les deux autres situations, l’une vit chez son compagnon (mais sans avoir d’information sur la nature du logement), la dernière est hébergée en CHRS.
La situation sociale des mères semble fragile pour la majorité d’entre elles. La majorité n’exerce pas (ou n’a jamais exercé) d’activité professionnelle et est locataire de son logement. Même lorsqu’elles exercent (ou ont exercé) une activité professionnelle, elles se situent dans des emplois subalternes, c’est-à-dire « [dominés] dans la hiérarchie officielle du travail et des emplois » 59 (Siblot et al., 2015, p.89). Seule une mère se détache en ayant fait des études supérieures, se déclarant comme « cadre dans la restauration » et vivant avec son nouveau conjoint propriétaire. Elle rejoindrait ainsi la frange des classes moyennes.
59
Yasmine Siblot et al. consacrent un chapitre d’ouvrage au salariat subalterne (2015, p.89-129), un salariat notamment féminin.
Les pères concernés
Qu’en est-il de la situation des pères ? Tout d’abord parmi les 16 situations familiales, 4 pères sont déclarés inconnus, c’est-à-dire que l’enfant n’a pas été reconnu légalement par son père. C’est donc sur la situation de 12 pères (et non à 16) que nous nous concentrons. De plus au moment de l’entretien, 3 pères sont incarcérés ou sortent d’incarcération, et 2 sont décédés. Pour les 7 pères restants, 4 se trouvent sans emploi et 3 exercent une activité professionnelle. Comme pour les mères, j’ai pu avoir certaines informations concernant leur situation antérieure. À la différence des mères, seulement 3 pères sur 12 n’ont jamais exercé d’activité professionnelle. 9 pères ont déjà eu une activité professionnelle : routier, ouvrier dans le bâtiment (2), paysagiste, employé de commerce, soudeur, ouvrier d’usine, chef d’équipe métallurgie.
Pour les données concernant leurs ressources, il en va de même que pour les mères : la majorité des informations manquent, seules quelques-unes signalent la perception du RSA ou d’allocation adulte handicapé. En ce qui concerne le logement, aucun père n’a ou n’a été propriétaire. 6 pères sont locataires, 2 sont hébergés chez leurs parents (dont l’un à la suite de son incarcération), l’un est encore incarcéré. Pour les 3 pères restants, l’information manque. Les profils des pères ne se détachent pas de ceux des mères. Employés, ouvriers ou sans emploi, les pères sont majoritairement locataires de leur logement.
Nous reprenons deux caractéristiques sur les trois proposées par Olivier Schwartz, celles qui concernent davantage la situation financière et matérielle des individus. N’ayant pas ou très peu de données concernant les ressources culturelles des familles, nous ne nous avancerons pas sur cette caractéristique. Cependant, il est possible d’identifier que la grande majorité des parents enquêtés font partie des classes populaires. Si nous devions fragmenter les classes populaires, avec les éléments recueillis nous pourrions décrire les parents enquêtés comme faisant partie d’une fraction basse des classes populaires : peu de revenus stables, vulnérabilité sociale forte (surtout pour les mères).
Les proches accueillants
Parmi les 16 situations familiales enquêtées, 22 proches sont désignés comme proche accueillant ou tiers digne de confiance : 6 couples et 10 personnes désignées seules (mais vivant pour la moitié d’entre elles en couple). La plupart des proches vivent donc en couple.
Parmi les 22 personnes désignées comme proche accueillant, 11 sont retraités, 7 ne travaillent pas et 4 exercent un emploi (agent de service hospitalier, institutrice, lingère d’une maison de santé, chauffeur-livreur). Parmi les retraités, 10 déclarent avoir eu une activité professionnelle, et seule une grand-mère n’a jamais exercé d’activité salariée et se déclare comme femme au foyer. Parmi ceux qui ne travaillent pas, l’information concernant leur situation antérieure manque dans 4 cas. Pour les 3 autres, qui concernent 3 grands-mères, elles ont soit exercé dans l’aide à la personne, soit comme employée de mairie dans les écoles (cantine et ménage). Concernant le logement, 11 proches sont propriétaires, 4 sont locataires et l’information manque pour un couple de grands-parents.
À partir de ces éléments, nous considérons que la majorité des proches accueillants fait partie d’une frange plus stabilisée des classes populaires que nous assimilons au « nous » décrit par Olivier Schwartz. Ces proches s’en sortent, sont plus dotés que la majorité des parents. Seule la proche exerçant comme institutrice est intégrée aux classes moyennes. Elle fait figure d’exception parmi les autres proches.
Ce détour par la définition des classes populaires nous permet ainsi de clarifier l’espace social dans lequel nous ancrons notre recherche. Dans ce contexte, les interventions sociales pointent une attention particulière aux familles de classes populaires, et participent ainsi à une construction sociale des risques familiaux, comme nous l’avons abordé dans le chapitre 2. Cette construction se fait encore plus sentir en raison des différences de classes sociales entre travailleuses sociales et parents, des différences qui se réduisent parfois avec les proches accueillants.