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Chapitre 2 – Approche multiples autour de la parentalité 63

4   Conclusion 102

La notion de parentalité renvoie à plusieurs conceptions et usages, qui n’ont pas le même poids selon les champs qui l’utilisent. Ainsi dans le champ du travail social, la parentalité est construite comme un problème public, se focalisant sur le lien entre les parents et l’enfant. Les parents sont considérés comme les principaux responsables de l’éducation de l’enfant, mais l’État au travers d’institutions comme celle de la protection de l’enfance se réserve le droit de surveiller cette responsabilité. C’est par ce biais que les politiques publiques à l’égard des familles s’autorisent à intervenir dans l’intimité de certaines familles. Certaines, puisque toutes les familles ne sont pas concernées de la même manière par cette construction des risques familiaux. L’appartenance sociale ainsi que le genre impactent directement le contrôle social à l’égard des individus. Ainsi, les mères seules issues des classes populaires sont particulièrement mises sous les projecteurs des services sociaux. Néanmoins, les conditions sociales des parents ne sont pas mobilisées pour justifier des raisons du placement. Les

conditions parentales occultées, l’intervention sociale « psychologise » les motifs, se focalisant ainsi sur le lien parent-enfant à « soigner ».

Dans ce contexte, les parents d’enfants placés jugés défaillants se voient imposer une négociation dans laquelle ils doivent faire face à des professionnels reconnus dans leurs savoirs éducatifs et porteurs de normes de « bonne » parentalité. Les parents qui ne renoncent pas, qui résistent face à la dépossession de leur statut parental, doivent alors jouer le jeu institutionnel. Pour le dire autrement ils doivent devenir partenaires de professionnels dont ils sont la cible. Ce positionnement est d’autant plus difficile à tenir dans les situations de placement qu’il s’agit pour eux de revendiquer une parentalité dont ils sont absents, une parentalité sans enfant. Avec le (dé)placement de l’enfant, la parentalité se trouve déplacée et partagée entre différents individus, dans notre cas entre les parents et les proches accueillants. Néanmoins ce partage de parentalité n’est envisagé que comme un partage temporaire, un relais qui ne doit pas se pérenniser.

L’approche par les solidarités familiales permet ainsi de questionner ces situations d’accueil en termes de délégation de l’État à l’entourage familial. Le faible recours à ce dispositif met en exergue le peu de place reconnue à l’entourage de l’enfant quand il s’agit de son placement. À la différence des personnes âgées dépendantes, la prise en charge de l’enfant par son entourage est difficilement envisageable pour la protection de l’enfance, et ce même lorsque les grands-parents restent le premier recours dans les modes de garde informels de l’enfant. Les supports parentaux sont concevables lorsqu’ils sont professionnels, rattachés aux services de protection de l’enfance, comme, par exemple, pour les familles d’accueil. En opposition, quand il est question de prise en charge intrafamiliale, le risque de substitution parentale par un membre apparenté à l’enfant semble trop fort. Les enjeux de définitions des places de chacun autour de l’enfant semblent toucher de trop près à ce qui définit le rôle parental.

Cependant, l’approche anthropologique de la parentalité permet d’appréhender autrement la question du placement de l’enfant, et notamment d’élargir les ressources disponibles pour sa prise en charge. Avec les situations d’accueil chez un proche, il s’agit d’observer des transformations familiales qui peuvent apparaître lorsque l’enfant est élevé par plusieurs personnes, autres que ses parents biologiques. Que disent ces situations des manières d’être parent et de faire famille ? Cette approche permet ainsi d’interroger des formes de

pluriparentalité au travers des liens de filiation, et plus seulement des liens d’alliance. En effet, les liens de filiation mobilisés dans les situations d’accueil permettent d’appréhender sous un nouvel aspect la question de la pluriparentalité, habituellement questionnée sous l’angle de l’alliance. Ici, les fonctions parentales sont partagées, non pas avec un-e conjoint-e ou ex conjoint-e du parent, mais avec un membre de la parenté. La pluriparentalité qui peut se construire dans ces situations d’accueil chez un proche, s’installe par les liens de filiation et non au travers des liens d’alliance, comme lorsque l’on évoque la coparentalité au sein de familles recomposées.

Néanmoins l’approche en termes de pluriparentalité reste une hypothèse. Nous le verrons, ce cadre de référence ne semble pas évident pour les acteurs eux-mêmes : pas du tout pour les travailleurs sociaux, et pas de manière simple pour les parents et les proches. Cette difficulté pour les acteurs à s’autoriser à penser en termes de pluriparentalité pourrait être liée à leur appartenance sociale. La notion de pluriparentalité est volontiers employée pour caractérisée des situations de recompositions familiales, d’adoptions, d’homoparentalité, pour les nouveaux modes de procréation, etc. Mais ces nouvelles formes de famille renvoient pour la plupart aux normes d’épanouissement personnel, d’autonomisation des acteurs, etc., des normes propres aux classes moyennes et supérieures. Ces nouvelles configurations familiales apparaissent comme le laboratoire de nouvelles formes de familles, mais ne remettent que très rarement en cause le modèle exclusif de deux parents : un père et une mère comme figures parentales principales. À l’inverse, les situations de placement mettent en place un partage de parentalité qui va peut-être à l’encontre de ces normes, puisqu’elles mobilisent plusieurs personnes autour de l’éducation de l’enfant.

Pour ce qui concerne la protection de l’enfance, penser les placements en termes de pluriparentalité permettrait d’élargir les ressources mobilisables dans l’éducation de l’enfant. Se dégager de l’idée d’une parentalité exclusivement réservée aux pères et aux mères ouvre la possibilité de reconnaître différentes places parentales et de questionner ainsi le statut des tiers auprès de l’enfant.

Chapitre 3 – Enquêter auprès de familles suivies dans le cadre