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La parentalité renvoyée aux compétences parentales 69

Chapitre 2 – Approche multiples autour de la parentalité 63

1   Travail social et famille : des parentalités contrôlées 65

1.3   La parentalité renvoyée aux compétences parentales 69

Catherine Sellenet souligne qu’« en protection de l’enfance […] la question des compétences parentales, ou plutôt leur absence, occupe tout le terrain, car toute intervention est censée s’appuyer sur une évaluation des carences, ou des risques présentés par le milieu familial » (Sellenet, 2009, p.97). Elle montre comment, à l’image de l’usage du concept de compétences professionnelles introduit dans le champ du travail lors d’une période de chômage, celui de compétences parentales apparaît dans un contexte de crise des instances éducatives. Elle appréhende ainsi l’usage des compétences parentales comme « une tentative d’individualiser les problèmes éducatifs » et renvoie la responsabilité sur l’individu (ibid., p.102), le traitement de la situation repose ainsi sur ses épaules. De cette manière, la notion de compétences parentales s’inscrit dans un cadre d’attentes normatives de la part des professionnels de l’enfance. À partir de l’analyse de dossiers en protection de l’enfance entre 2000 et 2015, Pierrine Robin et Dalila Cabantous ont montré « que les ressources parentales peuvent être multiples, leur appréhension par les professionnels s’opère sous la forme d’un glissement ou d’une réduction à la capacité à « collaborer » avec les services sociaux et à « adhérer » à l’aide » (Cabantous et Robin, 2016, p.61). Ainsi, les ressources parentales sont occultées en premier lieu par la relation établie entre le(s) parent(s) et les professionnels. Il semble alors que la première des compétences parentales soit celle de collaborer avec des professionnels. Cette collaboration passe par l’acceptation de la place des professionnels, de leur impulsion à intervenir, et donc à changer la situation jugée problématique. La collaboration sous-entend la responsabilisation des individus face à leurs difficultés.

Ainsi, l’approche en termes de compétences parentales va de pair avec le processus de psychologisation de la société (Castel. 1981, 2008), notamment de l’intervention sociale. Ce processus renforce les logiques de responsabilisation de l’individu (ici, des parents), notamment avec le développement de nouveaux métiers axés sur les relations familiales. « Ces professionnels ont manifestement joué un rôle croissant dans la construction des références et des normes en matière de rôles parentaux. Ils participent à déterminer à la fois les objectifs à atteindre, les méthodes et les échelles de performance parentale. On parle ainsi de plus en plus souvent des « compétences parentales », voire du « métier de parent », un peu comme s’il était possible désormais d’identifier le niveau d’aptitude de chaque parent dans sa mission socialisatrice, et en conséquence, de diagnostiquer l’incompétence parentale, la défaillance, voire l’irresponsabilité » (Martin, 2003, p.13) 28. En effet, dans les interventions sociales, « il est bien plus facile de stigmatiser les traits de personnalité engendrés par un environnement hostile et insécure que de s’attaquer aux carences de cet environnement et aux raisons de cette insécurité » (Neyrand, 2014, p.65). Pour Claude Martin « ce dont on [entend] peu parler [en ce qui concerne la parentalité], c’est des conditions concrètes d’exercice de la fonction parentale, des inégalités de condition, d’emploi, de temps disponible, etc. » (Martin, 2003, p.29). Ces propos tenus en 2003 sont encore d’actualité, malgré l’existence de nombreux travaux en sciences sociales sur ces questions. Claude Martin pointe ainsi la différence entre la parentalité et les conditions d’exercice, conditions concrètes, quotidiennes, dans lesquelles se réalise la relation parent-enfant (ibid., p.30), mettant l’accent sur la « condition parentale » davantage que sur la parentalité (ibid., p.54).

Dans cette perspective, ce sont les conditions d’existence, et non plus des caractéristiques liées à l’histoire familiale et à la psychologisation des relations familiales, qui doivent être mises en avant. En posant le problème en termes de conditions parentales, ou de conditions d’existence des parents, il s’agit alors de prendre en compte les inégalités sociales dans le vécu de la parentalité. En effet comme le rappelle Michel Chauvière, la parentalité au sein des politiques familiales « sert en grande partie à masquer la réalité des rapports sociaux et surtout les origines économiques et politiques des fragilités et des précarités contemporaines, dont les

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En sociologie, Séverine Gojard parle de « métier de mère » (2010). Elle montre qu’il s’agit en effet d’un travail réalisé par les parents, et surtout par les mères. Nous ne remettons pas en cause cette notion de travail parental, mais il nous semble important de pointer les ambiguïtés sous-jacentes de celle-ci et notamment à ce qu’elle peut faire référence dans le champ du travail social.

groupes familiaux cumulent évidemment les effets, sans toujours bien être capables par eux- mêmes de les amortir, et a fortiori de les réduire » (Chauvière, 2008, p.27).

Comme le rappelle Delphine Serre, « l’encadrement des familles est une activité de classification et d’interprétation qui distingue les situations familiales acceptables et celles considérées comme problématiques et devant être corrigées. La définition de ces situations de désordre familial repose sur un ensemble de critères, de normes, de raisonnements, qui orientent la perception des assistantes sociales et leur permettent d’interpréter tel ou tel événement, telle ou telle parole tenue par un parent ou un enfant » (Serre, 2009, p.14). Dans cette perspective de catégorisation, il nous semble que l’usage du terme de compétences parentales permet de distinguer les « bonnes » pratiques, des « mauvaises ». La notion de parentalité n’est alors bien souvent que renvoyée à ce domaine de compétences faisant d’un individu un « bon parent », et ce dans un discours de protection de l’enfance mettant en avant l’intérêt supérieur de l’enfant.

En partant de l’article 375 du code civil, la question des places de chacun se pose entre État et famille : qui délègue à qui ? Émilie Potin insiste sur le fait que l’enfant protégé l’est « en tant que membre d’une société qui se protège elle-même afin de faire respecter ses normes et ses valeurs, les droits et les devoirs de ses membres » (Potin, 2011, p.116). Elle distingue ainsi deux types d’intervention de l’État : celles au nom de l’intérêt de l’enfant qui ne s’accordent pas nécessairement à l’avis des parents et celles qui assistent davantage les parents au sens d’un accompagnement à la parentalité. Elle distingue « l’intervention » de « l’accompagnement ». Dans les deux cas, « la mesure est garante de pratiques familiales normatives » (Potin, 2011, p.116) : il s’agit bien de défendre un intérêt commun et non individuel. « C’est-à-dire qu’au-delà de la protection de l’enfant, la mesure protège la famille en tant qu’instance construite en fonction de normes et de valeurs. » (Potin, 2011, p.116). Émilie Potin montre qu’un contrôle social des familles se met en place au travers des mesures de protection de l’enfance qui proposent un cadre éducatif normé, censé garantir l’évolution des enfants en tant que futurs citoyens dans un cadre jugé favorable. Dans cette perspective la protection de l’enfance assure le maintien de l’ordre social et une forme de sécurité publique (Potin, 2011, p.117). « Le lien générationnel parent-enfant n’est pas l’objet principal à protéger. Si celui-ci met en cause la sécurité de l’enfant et de l’ordre social, il sera invité à se délier – souvent de manière peu explicite avec le temps, la distance, la disqualification » (Potin, 2011, p.117). Cette approche fait par exemple écho aux travaux qui relèvent le lien

étroit entre ordre familial et ordre social (Schultheis et al., 1997 ; Commaille, 2002, Cardi, 2015). Dans cette perspective, Coline Cardi mentionne par exemple la circulaire de mars 199929 : « La famille est le premier lieu de construction de l’enfant et de transmission des valeurs et des repères, et de ce fait, elle joue un rôle fondamental dans la cohésion sociale ». La famille est ainsi rendue responsable, au travers de l’éducation des enfants, d’une partie de l’ordre social (Commaille, 2002). Les « risques familiaux » peuvent devenir des risques sociaux pour les individus les plus vulnérables (Schultheis, 1997), et inversement, des risques sociaux, comme le chômage, peuvent venir fragiliser les configurations familiales (Commaille, 2002). La boucle semble ainsi bouclée entre ordre social et ordre familial. La surveillance se resserre donc sur les parents et l’éducation donnée aux enfants. Les parents sont à la fois cibles et partenaires des politiques mises en place. De cette manière, la protection accordée aux parents (sous forme d’aide financière, éducative, etc.) engendre aussi un contrôle et donc d’une normalisation des comportements parentaux. Dans cette conception en termes de risques sociaux, les risques familiaux sont marqués par une différence de classe (Commaille, 2006). Les interventions sociales et judiciaires touchent davantage les familles populaires que les autres familles. Ces familles sont alors pensées, perçues, comme « des familles à risque » pour l’ordre social. Elles sont rendues responsables des désordres sociaux mettant en avant l’idée d’une parentalité en crise, avec des parents maltraitants et/ou démissionnaires. Les risques familiaux sont aussi marqués par une différence de sexe, puisque le soutien et le contrôle s’adressent en premier lieu aux mères comme le montre Coline Cardi (2010). Dans ses travaux, elle met en évidence les différences de traitement des pères et des mères au sein de dispositifs d’action sociale en direction des familles. Elle remarque, par exemple, que dans les documents transmis à des juges pour enfants, l’essentiel des propos concerne les mères, et ce même lorsque les pères sont présents au domicile (ibid., p.37). Dans cette perspective, l’image de « mauvaise parent » pèse davantage sur les mères que sur les pères, avec notamment la prédominance de la « mauvaise mère » (Cardi, 2007). Cette figure féminine renvoie à différentes formes de déviance aux normes de parentalité : de la toute-puissance maternelle à l’abandon de l’enfant. Ainsi, les mères sont les premières visées par les interventions sociales et judiciaires qui les rendent coupables des désordres familiaux, traduits en risques sociaux.

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Circulaire n°99-153 relative aux réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP).

Dans ce contexte, le placement peut être considéré comme une des formes de gestion de ces parentalités désignées comme défaillantes. « Le placement, qu’il soit choisi par les parents ou contraint, participe à une mise en accusation des capacités parentales » (Potin, 2009). Cette mesure de protection de l’enfance marque les défaillances parentales désignées par les services de protection de l’enfance. Elle renvoie les parents à leurs « incompétences parentales » dans l’éducation des enfants. Quelle(s) parentalité(s) vivent-ils lorsque leur enfant est placé ? Quelle(s) parentalité(s) pour les parents d’enfants placés ?