• Aucun résultat trouvé

La parentalité comme un ensemble de fonctions parentales 92

Chapitre 2 – Approche multiples autour de la parentalité 63

3   Parentalité, pluriparentalité, coparentalité 92

3.1   La parentalité comme un ensemble de fonctions parentales 92

Plusieurs disciplines ont donné différentes définitions de la notion de parentalité dont l’anthropologie. Dans les travaux d’Esther Goody, la parentalité fait référence aux fonctions parentales, qui regroupent un certain nombre d’activités (physiques ou mentales) à l’égard d’un enfant. Elle est l’une des premières à décliner la parentalité en cinq fonctions parentales : procréer/engendrer ; doter l’enfant d’un statut dans la société civile et dans la parenté ; éduquer/nourrir ; assurer une formation et accompagner l’enfant jusqu’au statut d’adulte (être son tuteur) (Goody, 1982). Maurice Godelier en ajoute deux autres : « pour certaines catégories de parents […] le droit et le devoir d’exercer certaines formes d’autorité et de répression » et l’interdiction pour certaines catégories de parents « d’entretenir des rapports sexuels avec cet enfant ou d’avoir avec lui d’autres formes intimes de comportements qui relèvent de la prohibition de l’inceste, ou plus généralement des mauvais usages du sexe »

(Godelier, 2010, p.305-306). Ces fonctions peuvent se répartir différemment selon le contexte institutionnel des sociétés. Selon Esther Goody, la parentalité est à mettre en lien avec la socialisation, comme étant avant tout une question de reproduction sociale : le renouvellement des membres d’une société se fait par l’accompagnement de l’enfant jusqu’à l’âge adulte.

Dans la lignée d’Esther Goody, nous considérons la parentalité comme un ensemble de fonctions parentales. Cette définition insiste sur le « faire parent », et non sur le processus psychique menant à l’état de parent. Maurice Godelier, reprenant les travaux d’Esther Goody, définit la parentalité comme « l’ensemble culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des conduites, des attitudes, des sentiments et des émotions, des actes de solidarité et des actes d’hostilité qui sont attendus ou exclus de la part d’individus qui – au sein d’une société caractérisée par un système de parenté particulier et se reproduisant dans un contexte historique donné – se trouvent, vis-à-vis d’autres individus, dans des rapports de parents à enfants. Ces rapports diffèrent entièrement s’ils sont leurs parents en ligne directe ou en ligne collatérale, leurs parents par alliance ou par adoption, etc. Ces obligations et interdictions, ces comportements et ces sentiments attendus ou exclus de la part des individus en position de parents, sont donc étroitement liés à la nature même des rapports de parenté que ces individus représentent et reproduisent, et dépendent de la place que chacun occupe au sein de ces rapports, et qui change au cours de l’existence » (Godelier, 2010, p.305- 306).

L’approche anthropologique permet d’appréhender la parentalité comme une série d’activités réalisées dans le but d’accompagner le passage d’un individu de la catégorie d’enfant à celle d’adulte. De plus, cette perspective, qui inscrit la parentalité dans le champ de la parenté, laisse entrevoir l’existence sociale d’adultes « en position de parents », sans pour autant que ces derniers soient reconnus comme tels dans des rapports de parenté. Pour le dire autrement, dans chaque société un système de parenté est mis en place et impose des fonctions aux individus qu’il englobe. Les fonctions de la parentalité sont associées aux systèmes de parenté.

Dans une autre dynamique, psychologues et psychanalystes définissent la parentalité comme un processus psychique qui mène à l’état de parent. Dans les années 90, un groupe de rechercheconduit par Didier Houzel, et avec le soutien du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, s’est donné pour tâche de mieux comprendre les enjeux de la parentalité et a défini

la parentalité comme un processus autour de trois axes : l’exercice de la parentalité, l’expérience de la parentalité et la pratique de la parentalité (Houzel et al., 1999)37. L’exercice renvoie au sens juridique de l’exercice d’un droit qui englobe ici les droits parentaux : désignation du parent, exercice de l’autorité parentale, droit de filiation, transmissions, etc. L’expérience désigne l’expérience subjective qui serait impliquée dans l’état de parent. L’expérience de la parentalité correspond au « processus de parentalisation », c’est-à-dire aux transformations psychiques pour devenir parent. Enfin, la pratique de la parentalité équivaut aux aspects « objectifs » des fonctions parentales, les soins à l’enfant. Ces soins, désignés comme parentaux recouvrent à la fois des soins physiques et psychiques. L’articulation de ces trois niveaux d’analyse est le principal apport de cet ouvrage, où les dimensions sociologiques et anthropologiques sont peu prises en compte. Une fois de plus, la construction sociale de la famille n’est pas appréhendée (Bourdieu, 1993). Cet usage de la notion de parentalité est davantage axé sur l’être (parent) que sur le faire (parent), comme en témoigne la définition théorique de Martine Lamour et Marthe Baracco : « La parentalité peut se définir comme l’ensemble des réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de devenir parents, c’est-à-dire de répondre aux besoins de leur(s) enfant(s) à trois niveaux : le corps (les soins nourriciers) ; la vie affective ; la vie psychique. C’est un processus maturatif » (Lamour et Baracco, 1998, p.76). Cette définition est marquée par l’idée d’un processus psychique qui s’élaborerait depuis la conception de l’enfant jusqu’à son indépendance. L’idée de « phénomène naturel », associé aux liens de parenté, occulte ainsi la construction sociale de la parentalité. Cette approche fonctionne sur l’assignation de la prise en charge totale des enfants par les parents et occulte ainsi l’inscription de l’enfant dans d’autres rapports sociaux. Cette acception issue de la psychologie et de la psychanalyse imprègne les pratiques du travail social, davantage que la définition anthropologique de la notion de parentalité.

Dans notre société occidentale, les adultes placés en situation de parents correspondent aux liens de filiation de notre système de parenté. Ces derniers sont alors reconnus, juridiquement, comme père et mère de l’enfant. Françoise-Romaine Ouellette dans ses travaux sur l’adoption souligne que notre système de parenté bilatéral est un système de parenté exclusif qui place un enfant exclusivement en tant qu’enfant d’un père et d’une mère (Ouellette, 1998 ; Ouellette et Goubau, 2006 et 2009). Elle pointe ainsi les difficultés pour penser et reconnaître

37

Didier Houzel est un pédopsychiatre et psychanalyste français, spécialisé dans la psychanalyse de l'enfance. Le groupe de recherche qui réunit regroupe des psychiatres, des psychologues, des juristes, des pédiatres, des professionnels de la petite enfance et des chercheurs en sciences de l’éducation.

une place aux « parents en plus » (Fine, 1998). L’adoption comme les évolutions des techniques médicales et des configurations familiales ont mis en avant la possibilité de dissocier procréation, engendrement et le fait d’être père ou mère. Au travers de ces nouvelles configurations familiales différents termes ont émergé autour de la notion de parentalité, comme ceux de monoparentalité, beau-parentalité, homoparentalité, pluriparentalité, coparentalité, etc.

Les nombreux travaux sur de nouvelles configurations familiales ont ainsi dissocié trois dimensions de la parenté : la parenté biologique, la parenté juridique et la parenté sociale (ou quotidienne). Florence Weber reprend ces trois dimensions en parlant du sang, du nom et du quotidien (Weber, 2005). Ces distinctions portent la question du nombre possible de pères et de mères, remettant en cause l’exclusivité de la filiation de notre système de parenté. Avec les diverses formes de parentalité, il apparaît que les fonctions parentales sont partageables entre différents adultes. Communément, les parents délèguent une part de leurs fonctions parentales à d’autres acteurs professionnels (délégation à l’école, aux établissements de garde, aux divers professionnels de l’enfance et de la famille, etc.). Au-delà de cette délégation commune, ces diverses formes permettent de penser la multiplication des figures parentales, et ainsi la possibilité pour un enfant d’avoir plusieurs adultes placés en situation de mères et de pères. Ainsi, le terme de pluriparentalité a été développé pour décrire des situations où plusieurs adultes, en position de parents, assument des fonctions parentales sans pour autant être reconnus comme tel socialement et juridiquement, dans le cas des beaux-parents par exemple.

Cette question de la reconnaissance se pose, notamment par la reconnaissance juridique d’une situation de fait qui exige la mise en application d’un droit, comme c’est le cas avec la notion d’autorité parentale et d’actes usuels. Derrière cette question de la reconnaissance se trouve celle des personnes pouvant décider pour l’enfant, puisqu’en effet toute décision sur un enfant exige l’accord des parents reconnus légalement. La complexité de ces situations apparaît dans la prise en charge quotidienne de l’enfant. Il s’agit avant tout de situations où les parents biologiques et juridiques de l’enfant se distinguent des parents sociaux, de ceux qui l’élèvent au quotidien. Les distinctions faites entre biologique et social par la notion de pluriparentalité pose ainsi la question « qui est parent ? »38, ou plutôt qui peut être désigné comme tel. Dans

38

cette perspective, pouvons-nous parler de pluriparentalité pour ce qui concerne la prise en charge quotidienne de l’enfant par l’accueil de ce dernier ?