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Évaluer différentes formes d’accueil : qualité et permanence 55

Chapitre 1 – L’accueil chez un proche 25

3   Deux approches différentes de l’accueil chez un proche en Europe : les

3.3   Évaluer différentes formes d’accueil : qualité et permanence 55

Les informations recueillies dans ces comparaisons portent sur certains domaines de la vie sociale : le niveau de vie, les ressources économiques et les allocations, la taille du logement au regard de la composition du ménage, etc. Ces éléments pratiques visent à connaître les moyens matériels dont la famille d’accueil dispose. Cependant, nous remarquons le silence sur les professions des parents et des proches, à la fois dans les études anglaises et espagnoles. Les informations ne portent pas sur le passé familial. La question des solidarités familiales, des obligations des générations les unes envers les autres ne sont que très rarement évoquées. La majorité des travaux adopte un point de vue positiviste, proche de celui de la recherche clinique (comparaison de deux situations de placement, statistiques, etc.) où l’objectif est de mieux connaître, mais aussi d’aménager ce qui peut l’être pour diminuer les effets négatifs sur l’enfant et son entourage. Il est le plus souvent question d’évaluation des types de placement qui reposent sur deux critères : la qualité et la permanence du placement.

Concernant les critères de qualité du placement, l’influence de la psychologie sur ce champ de recherche en travail social dans les pays anglo-saxons est prégnante puisque les critères principaux se fondent sur des données psychologiques : l’attachement de l’enfant au proche et à ses parents, l’existence ou non de troubles du comportement de l’enfant, la capacité de ce dernier à contrôler ses émotions, la capacité des proches à prendre en compte les besoins de l’enfant, etc. La prédominance de la psychologie dans les études a pour effet d’occulter différentes thématiques comme celle des solidarités familiales, ou la prise en compte des conditions de vie des parents. La plupart des recherches mettent en avant la manière dont les proches font face aux besoins émotionnels de l’enfant, qui alors est perçue comme moins adaptée que dans les familles non apparentées. En revanche, la comparaison entre les

placements dans et hors de la famille ne semble pas mettre en évidence de différence concernant la santé des enfants et leurs performances scolaires (Hunt, 2009, p.107).

Toutefois, la qualité du placement est fortement rattachée à sa permanence, sa stabilité. Celle- ci est considérée comme un objectif essentiel : permettre à l’enfant de rencontrer un adulte avec lequel il puisse développer une relation stable jusqu’à sa majorité et au-delà. C’est un point qui traverse toute la protection de l’enfance en Grande-Bretagne et ne concerne pas spécifiquement le placement chez un proche, mais également les placements en famille d’accueil. La plupart des évaluations du placement se fondent sur ce paradigme. Il conduit à une tendance qui privilégie l’adoption dans les cas pour lesquels le placement est supposé durer longtemps (Ouellette et Goubau, 2009). A contrario, en France la priorité est donnée au retour de l’enfant dans sa famille d’origine, ce qui entraîne parfois des allers retours entre le(s) lieu(x) d’accueil et le domicile parental, et suppose dans certains cas une aide éducative à domicile (AED) ou une action éducative en milieu ouvert (AEMO). Ainsi les deux systèmes de protection de l’enfance se construisent autour de deux paradigmes différents : d’un côté un système qui favorise la stabilité du lieu de vie de l’enfant, quitte à rompre les liens avec les parents, et de l’autre, le système français qui repose sur le maintien (à tout prix) des liens entre l’enfant et ses parents. Le paradigme français est ainsi construit sur la continuité des liens avec les parents et l’objectif du retour chez les parents. Dans cette optique, le placement, quel qu’il soit, est toujours élaboré dans une perspective temporaire. L’accueil d’un enfant n’est jamais élaboré, au départ, comme un projet d’accueil sur le long terme.

Dans ce sens, l’évaluation des mesures de placement se fait par la quantification des interruptions de placement. Hunt souligne le manque d’études sur l’évolution de la mesure lorsqu’un placement chez un proche doit être interrompu. Si un certain nombre de ruptures se résolvent dans le placement chez un autre membre de la parenté, d’autres évoluent vers un placement en famille d’accueil hors de la parentèle. Selon David Pitcher, les ruptures au sein des placements chez un proche sont plus rares que dans les situations de placement à l’extérieur de la famille. Cependant quand elles surviennent, les ruptures ont des conséquences plus lourdes sur les liens avec le réseau familial (Pitcher, 2014, p.14). En effet, dans un tel cas, l’enfant peut perdre à la fois les relations avec ses parents et les proches l’accueillant, mais aussi avec toute une partie des membres de sa lignée. Dans les recherches anglaises, la modification des liens familiaux est regardée comme un point inhérent à cette stabilité, elle est donc pleinement acceptée. Les liens familiaux se transforment, mais les

contacts avec les parents n’en restent pas moins maintenus. Cette stabilité du placement est parfois envisagée sous d’autres aspects que les relations familiales, notamment en ce qui concerne la scolarité, les liens amicaux et l’entourage de l’enfant. Une proximité géographique est alors privilégiée.

Dans les travaux espagnols, les deux critères d’évaluation, la permanence et la stabilité du placement, sont aussi mis en avant comme des éléments favorables au placement. Les travaux espagnols s’accordent sur plusieurs points. Comme nous l’avons vu, il existe moins de ruptures de placement lorsqu’il s’effectue chez un proche. Montserrat souligne que cette différence provient du fait que l’enfant est accueilli directement chez le proche (2006, p.370). En effet, les enfants accueillis chez un proche n’ont que très rarement connu une autre forme de placement. Il est souligné que dans la majorité des cas, les enfants sont accueillis très jeunes (Del Valle et Bravo, 2003 ; Montserrat, 2006 ; Del Valle et al. 2008). Les placements chez un proche sont plus longs que les placements dans les familles non-apparentées. Del Valle note cependant que les interruptions de placement proviennent le plus souvent de décisions des services sociaux, et ce dans les deux formes d’accueil familial (Del Valle, 2009, p.157). La permanence et la stabilité du lieu d’accueil de l’enfant sont ainsi envisagées comme des facteurs de bien-être de l’enfant. Par la suite, les études anglaises et espagnoles s’accordent sur le fait qu’il existe une plus forte coopération entre les proches et les parents lorsque le placement se fait chez un proche. Cependant comme l’a souligné Joan Hunt, lorsqu’il y a des ruptures celles-ci sont plus fortes puisqu’elles coupent les relations avec tout un côté de la famille (Hunt, 2009). Dans cette perspective, Carme Montserrat note que la majorité des conflits proviennent des désaccords entre les parents et les proches, notamment autour de l’éducation de l’enfant (Montserrat, 2014).

En résumé, les chercheurs anglais et espagnols mettent en avant les effets favorables de l’accueil chez un proche. Cependant, dans leurs analyses, l’approche psychologique prédomine. Ainsi les relations familiales ne sont étudiées que sous l’angle des bienfaits et du bien-être de l’enfant. Principalement, c’est autour des visites et des contacts entre les enfants et les parents que se focalisent les études. Les relations ne sont analysées ni sous l’angle des solidarités familiales, ni sous celui de la parentalité. Ce concept n’est mobilisé que lorsqu’il s’agit de mesurer les risques d’une « mauvaise éducation », et ce dans la perspective d’une reproduction familiale. Dans ces études, le placement n’est jamais considéré comme une mise en pratique d’un partage des fonctions parentales entre parent(s) et accueillant(s). Néanmoins,

la recherche d’une permanence pour le placement ouvre la réflexion sur cette question. Ainsi, il émane de ces lectures une plus grande facilité à penser ce qu’Agnès Fine définit comme la pluriparentalité (Fine, 2001) sans pour autant l’évoquer en ces termes.