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Laisser le choix des lieux de rencontres 138

Chapitre 3 – Enquêter auprès de familles suivies dans le cadre de la

4   Rencontrer les acteurs familiaux et se démarquer des travailleuses

4.2   Laisser le choix des lieux de rencontres 138

J’ai proposé différents lieux de rencontres aux proches et aux parents. Je souhaitais ainsi leur laisser le choix du lieu de rendez-vous, pensant les mettre davantage à l’aise. J’expliquais que nous pouvions nous rencontrer où ils le souhaitaient : chez eux, au local du service, dans un café, ou ailleurs. Le choix des acteurs familiaux s’est porté soit sur leur domicile, soit au local du service d’AEMO, deux lieux où interviennent les travailleuses sociales.

Monique Robin et Bernadette Tillard mettent en évidence l’importance d’accéder au domicile des familles dans la construction progressive des questions de recherche, « alimentées, non seulement par ce que disent les enquêté-e-s, mais aussi par ce que l’on perçoit de l’environnement quotidien » (Tillard et Robin, 2010, p.30). La réalisation des entretiens au domicile des familles peut permettre de réduire à la fois la distance sociale et géographique qui existe dans la relation d’enquête, notamment par l’accès aux fragments du quotidien au sein du domicile. Les allées et venues de l’entourage ont par exemple été visibles et ont déclenché des discussions, ce qui n’a pas été le cas lorsque les entretiens étaient réalisés au local du service. L’accès au domicile des enquêté-e-s permet de « concevoir le temps et l’espace de vie des personnes dans ce qui constitue leur expérience au sein de leur famille » (Lacharité, 2010, p.150). Néanmoins, le domicile des familles reste un des lieux d’intervention des travailleuses sociales, où l’injonction à ouvrir sa porte est forte.

Cette injonction ne doit pas devenir celle de l’enquête. L’entrée dans l’espace privé des familles doit s’effectuer avec une part de souplesse, d’adaptation, et non d’intrusion de la part du chercheur. Il s’agit de « trouver sa place sans prendre trop de place », dans un terrain qui est leur habitation (Bruggeman, 2011, p.59). Il faut à la fois s’adapter aux rythmes des familles, mais aussi prendre une place physique dans l’espace privé. Il s’agit d’être présent sans donner la sensation « d’intrusion », et ainsi rejouer une injonction à ouvrir sa porte.

La plupart des proches et des parents m’ont proposé de venir à leur domicile. Ce choix peut s’expliquer par des questions d’organisation. La prise de rendez-vous a révélé une petite part du quotidien des proches et des parents : ceux qui travaillent, ceux qui n’ont pas d’emploi, ceux qui ont de rendez-vous médicaux réguliers, ceux qui font le ménage chez leur mère ou qui prennent en charge une personne de leur entourage, ceux qui ont la visite d’une aide ménagère, d’une infirmière ou d’un de leurs enfants. Tous ces détails ont été glanés au cours

des échanges téléphoniques et font partie des observations de terrain, que ce soit pour un rendez-vous donné ou un refus énoncé.

Ensuite, tous les enquêté-e-s ne possèdent pas de voiture (ou le permis) et empruntent régulièrement les transports en commun, ce qui demande une organisation et du temps supplémentaires. Je ne voulais en aucun cas que les entretiens deviennent un temps contraignant, comme peuvent parfois l’être les entretiens avec les travailleuses sociales. Ainsi, les proches me proposaient de venir durant la sieste de l’enfant, avant le retour de l’école, durant la préparation d’un repas, entre deux courses, pendant les vacances. Les enquêté-e-s ont choisi un temps où il leur était possible de me recevoir, selon leur emploi du temps. Comme le note Delphine Bruggeman, ces temps « se [glissent] entre les activités quotidiennes » (Bruggeman, 2011, p.61). Les entretiens qui se superposent aux activités quotidiennes sont des lieux d’observation très riches. Par la suite, certains refus ont été motivés par des changements de ce quotidien, comme la reprise d’un emploi ou la maladie d’un proche de la famille. Par exemple, une grand-mère rencontrée une première fois, décline la poursuite des entretiens suite à l’hospitalisation de son frère qu’elle doit accompagner. Les entretiens viennent donc interrompre le quotidien et le va-et-vient des visites au domicile des familles. À plusieurs reprises, les entretiens ont en effet été réalisés en présence d’autres personnes de l’entourage : amis, membres de la famille, voisins. Sans pour autant s’arrêter, les entretiens se sont poursuivis à plusieurs voix. Il a donc fallu s’adapter à ces diverses allées et venues, qui ont enrichi les échanges d’autres points de vue. Ces observations restent néanmoins une part secondaire de mon matériau principal centré sur les entretiens, mais elles permettent de donner quelques éléments de l’environnement de vie des parents et des proches enquêtés.

À l’inverse, plusieurs enquêté-e-s ont préféré une rencontre au local du service. Pour certains, ce lieu a été choisi pour des questions d’organisation : sur le temps d’une visite de l’enfant avec ses parents, pour prendre rendez-vous ou à la suite d’un rendez-vous avec la travailleuse sociale référente. Par exemple le premier entretien avec la tante maternelle de Thibault (11) a lieu lors d’une visite médiatisée de Thibault avec sa mère au local du service. Au téléphone, la tante explique qu’elle travaille en semaine comme institutrice, et que le mieux pour elle, serait de se rencontrer durant une visite au local.

Mais pour d’autres le choix du local s’est justifié par la venue répétée des travailleuses sociales à leur domicile. En effet, lors de mesures d’investigation, précédant à l’accueil, plusieurs visites peuvent être faites au domicile. Dans certaines situations les proches et/ou les parents font référence à « l’intrusion »62 des travailleuses sociales à leur domicile. Des proches expriment leur souhait de se rencontrer au local parce que « trop de gens sont venus chez nous pour voir où on vit »63. On retrouve ici l’injonction à ouvrir son domicile, l’espace privé, au regard du travail social, de l’institution.

Sur le terrain, deux autres éléments ont contribué à me démarquer d’une travailleuse sociale : l’absence de permis de conduire et ma méconnaissance du Bassin minier.