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Plantes cultivées organisation sexuée du travail agricole

Division sexuelle du travail agricole et implications sociales et économiques

I.2. Une responsabilité partagée ? Les femmes, les hommes et le travail agricole

I.2.2. Répartition du travail agricole entre les sexes en pays bamiléké

I.2.2.2. Plantes cultivées organisation sexuée du travail agricole

La répartition du travail agricole entre les hommes et les femmes concerne également une forme de spécialisation dans les types de plantes cultivées. Globalement les femmes prennent en charge les plantes consommées au quotidien, tandis que les hommes s’occupent plutôt des cultures arbustives ne nécessitant pas des soins continus et une présence assidue dans les champs. On peut cependant observer des nuances, par exemple avec la culture de certaines variétés d’igname, réservée aux hommes.

Les plantes cultivées par les femmes

Les femmes cultivent une variété d’aliments qui composent le régime alimentaire quotidien : les céréales, les légumineuses, les tubercules, divers végétaux et légumes ou encore des épices. Ce sont des espèces essentiellement d’origine tropicale humide dont la grande majorité est annuelle. Elles évaluent les besoins de leurs familles, et en fonction des parcelles de terre disponibles, de la qualité des sols et de la disponibilité de leur force de travail ou de l’aide dont elles peuvent bénéficier, font le choix des plantes à cultiver. Globalement, l’ensemble des plantes qu’elles cultivent leur permettent de fournir une alimentation assez variée135 à leurs familles. A la veille de la colonisation, la plupart des plantes encore cultivées aujourd’hui étaient bien intégrées dans le régime alimentaire. Nous avons peu d’éléments de connaissance sur les plantes cultivées avant le XIXème siècle. Les

134 Entretien avec Mme Tchami, Baré, 22 janvier 2015.

nombreux contacts avec les peuples de la forêt ou de la savane et les migrations ont sans doute favorisé la dissémination de plantes nouvelles et leur adoption. Les céréales formaient, comme aujourd’hui, la base de l’alimentation.

Le maïs : principale céréale cultivée par les femmes

Avant l’introduction du maïs au XIXème siècle, le mil et le sorgho sont les principaux aliments consommés par les Bamiléké. Ces céréales auraient été introduites lors des vagues migratoires des XVIIIème et XIXème siècles136. Le mil est encore cultivé en association avec le maïs, au milieu du XXème siècle dans certaines chefferies du plateau de Bamenda137. Le sorgho et le mil, plantes de régions sèches, ont un cycle végétatif long et produisent des rendements limités. Par ailleurs, ces céréales ne se prêtent qu’à une seule campagne par an. Ces inconvénients ont probablement pesé dans leur abandon au profit du maïs au XVIIIème et XIXème siècles. Les explorateurs allemands ont signalé la culture à grande échelle du maïs sur le plateau Bamiléké au milieu du XIXème siècle. Une des routes de diffusion du maïs en Afrique, notamment la variété blanche, a été selon Portères celle du Sahara, à partir de l’Egypte. Cette variété aurait ainsi transité par le Nil, puis l’Ethiopie jusqu’au Tchad au XVIIeme siècle. Si l’on admet cette hypothèse, le maïs blanc serait entré sur le plateau bamiléké à la faveur de conquêtes peules et de la vague migratoire qui s’en est suivie. Cette variété est encore consommée majoritairement dans la partie nord du Cameroun et en pays bamoun. Une autre porte d’entrée du maïs en Afrique a été la voie côtière à la faveur du commerce de traite. La variété du maïs jaune, la plus répandue sur le plateau bamiléké, a probablement suivi cette route. Quoiqu’il en soit, le maïs a considérablement bouleversé le régime alimentaire et le système agraire des sociétés africaines138 en général et bamiléké en particulier.

Le mil et le sorgho, plantes venues des régions à longue saison sèche, n’ont pas trouvé dans cette région de hautes terres au climat frais des conditions optimales pour leur développement. Face à une démographie galopante, le maïs a offert une alternative plus intéressante. Ses rendements sont meilleurs et il exige une charge de travail moins rude, notamment au moment des récoltes, contrairement au mil. Pour les femmes, le passage du mil et sorgho au maïs s’est imposé, pour ces raisons, comme une nécessité. C’est une plante à

136 Dongmo, le dynamisme bamil k , la maîtrise de l’espace agraire, op.cit., p. 108. 137 Kaberry, Women of the Grassfields, op.cit., p.68.

138 Roland Portères, « L’introduction du maïs en Afrique », Journal d’agriculture tropicale et de botanique

croissance rapide qui a en outre l’avantage de s’adapter au climat pluvieux des hauts plateaux. Le maïs a cependant l’inconvénient d’épuiser rapidement les sols. C’est peut-être ce qui explique le choix de laisser les champs en friche pendant les mois qui suivent sa récolte (de septembre jusqu’aux semailles en mars). En effet, Jusqu’au milieu du XXème siècle, les femmes effectuent une seule campagne de culture de maïs par an, en association avec d’autres plantes, l’arachide et la patate douce139

.

La consommation du maïs est quasi quotidienne, sous forme de grains cuits à l’eau, ou grillé au feu de bois ; en bouillie, comme principal complément au lait maternel dans les premiers mois du jeune enfant ; en couscous ou en gâteaux.

Les légumineuses, noix, graines et amandes

La culture de l’arachide est pratiquée dans tout le pays bamiléké depuis la période précoloniale, non pas pour extraire de l’huile, mais principalement pour la préparation de sauces servies en accompagnement de mets à base de féculents (plantain banane, couscous de maïs, patate, igname, macabo etc..) ou gâteaux d’arachide. Car la seule huile de cuisine consommée est l’huile de palme, importée des plaines du sud du plateau. L’arachide constitue l’un des aliments les plus consommés. Cette plante a été introduite en même temps que le maïs. Moins exigeante que celui-ci, l’association des deux plantes est courante. Les arachides grillées ou cuites à la vapeur sont souvent servies en dehors des repas, dans des temps conviviaux. Séchées, elles se conservent longtemps et sont consommées jusqu’aux prochaines récoltes.

Le haricot est également une culture répandue. Plusieurs variétés cohabitent, par ordre d’importance le haricot noir, le haricot rouge et le haricot blanc. Le haricot est semé juste après la récolte du maïs en juillet-août. Une variété de pois très consommée, ndjou est également cultivée sous les arbres fruitiers ou les bananiers qui leur servent de tuteurs140.

Le melon, po est une plante cultivée en association avec le taro, ou l’igname. Il est consommé en accompagnement de sauces à base d’arachide ou des végétaux verts, ndjap. Ses graines riches en matière grasse, servent à la préparation des sauces ou de gâteaux. La courge est aussi cultivée par les femmes pour ses graines et sa coque. Car une fois séchée, elle sert de

calebasse et sied parfaitement à la conservation de l’huile de palme ou des graines provenant des récoltes de haricot, d’arachide ou de maïs.

Racines féculentes (à amidon) : taro, ignames, patate douce, manioc

Le taro est un féculent préparé lors des événements spéciaux, pour accueillir un hôte de marque, pour fêter une naissance ou un mariage, ou encore pendant les cérémonies de funérailles. C’est un plat apprécié dans tout le pays bamiléké. Le taro est cuit à la vapeur et pilé pour obtenir une pâte lisse et homogène. Il s’accompagne d’une sauce jaune, dont la couleur vient du mélange de l’eau, de l’huile de palme et du sel gemme (kanwa). Suivant la période de l’année, les femmes y rajoutent des champignons fraîchement coupés. Le taro est planté dans les zones humides et à l’abri du soleil. On le trouve donc en bordure des cours d’eau, ou à l’ombre des arbres (kolatiers essentiellement). Il sert aussi à l’alimentation du jeune enfant141.

Plusieurs variétés d’ignames sont cultivées en pays bamiléké. Ce sont des tubercules riches en matière azotée et amylacée. La plus répandue est l’igname jaune qui se récolte entre septembre et février. L’igname jaune a l’inconvénient de ne pas se conserver au-delà de quelques jours. Sa récolte est donc étalée sur plusieurs mois. Contrairement au taro, l’igname est une plante qui s’accommode bien de sols peu fertiles. Les femmes les plantent sur les sols pauvres et érodés, sur la partie supérieure des nka.

La patate douce est également une plante peu exigeante, et facile à produire. Elle se cultive sur des terres pauvres et lessivées. Elle a un cycle végétatif court, deux campagnes annuelles sont possibles. Elle joue un rôle secondaire dans l’alimentation, sauf dans les chefferies aux sols moins fertiles comme celles de l’actuel département du Ndé où la patate douce permet de compléter avantageusement une alimentation moins abondante pendant les périodes de soudure. Les patates douces accompagnent les sauces ou des végétaux vert cuits à l’eau et assaisonnés de piment, d’huile de palme et de sel. Elles sont aussi séchées et se conservent beaucoup plus longtemps. Elles sont alors consommées comme une gourmandise et appréciées pour leur goût sucré.

Le manioc a fait son apparition de manière tardive dans l’assiette des Bamiléké. Avant la colonisation européenne, sa culture était plutôt rare et les plats à base de manioc, par exemple de nkem-nkem pratiquement inconnus. Il s’est répandu à la faveur des migrations de

travail du début du XXème siècle, rapporté des régions côtières ou du sud où il constitue la base de l’alimentation. Il se bouture sur les bordures de concession ou de billons.

Les travaux champêtres réalisés par les hommes

La déforestation du pays bamiléké a laissé place à une agro-forêt façonnée par l’homme et intégrée au système de production. On peut affirmer que l’homme bamiléké est un arboriculteur de par sa maîtrise des techniques sylvicoles. Il a su trouver l’équilibre entre une production arbustive indispensable à l’économie de la concession et le développement des cultures vivrières sur une même parcelle de culture. Les plantes arbustives ne nécessitent pas un soin quotidien. La taille, les boutures et les plantations se font en saison sèche, après les dernières récoltes et avant les premières semailles qui interviennent en mi-mars. Les arbres sont répartis sur les parcelles de la concession et dans les haies vives. Ils sont plantés de manière à protéger le sol et les cultures sous-jacentes du soleil tout en laissant passer la lumière nécessaire à leur développement. Le repeuplement se fait le plus souvent par bouturage. La plantation et l’entretien des arbres est couplée à l’entretien du petit bétail, à l’aménagement des pistes qui conduisent aux pâturages et à la construction des haies vives qui se composent d’essences arbustives soigneusement choisies et dont l’une des fonctions est d’assurer une bonne cohabitation entre l’élevage et l’agriculture. Une distinction de classe entre les hommes s’observe dans la pratique de l’élevage. L’élevage du petit bétail (chèvres, moutons, porcs) est pratiqué par tous, mais les chefs et les notables se distinguent par la possession de troupeaux de gros bétail (bœufs, chevaux) entretenus par leurs serviteurs. C’est un signe de richesse et de noblesse142.

Au total, les hommes ne cultivent pas en principe la terre mais ces différents travaux les occupent une bonne partie de l’année143. Enfin, par la chasse, ils procurent le gibier qui complète l’alimentation.

L’association d’une arboriculture, des cultures vivrières et l’élevage du petit bétail dans les concessions, fait rentrer ce système de culture bamiléké dans la catégorie des systèmes agroforestiers qui, suivant la définition qu’en donne autier, désignent

142 Enock Katté Kwayeb, Les institution de droit public du pays Bamiléké (Cameroun). Evolution et régime

actuel, Paris, Librairie Générale de droit et de Jurisprudence, 1960, p. 9.

à la fois des systèmes et des technologies d’utilisation des terres où des ligneux pérennes sont délibérément associés, sur une même unité d’aménagement, avec des productions végétales et/ou animales, dans un arrangement spatial et une séquence temporelle144.

Ce système a été profondément perturbé par l’introduction du café au milieu du XXème siècle. L’élevage a progressivement disparu lorsque les terres de pâturage ont été mises en culture de manière permanente, avec l’extension des plantations de café dans les champs des nka. On a également assisté à la disparition progressive des haies vives. De même le développement de la culture maraichère consécutive à la crise du café depuis les années 1980 et l’opportunité offerte par le vivrier marchand, se fait au détriment de ce système agroforestier, notamment dans les bas-fonds anciennement occupés par des plantations de raphia.

Plantain et divers arbres fruitiers : kolatier, avocatier, safoutier

Les arbres jouent des fonctions multiples dans le système agraire bamiléké et la vie sociale. Ils sont plantés d’abord pour constituer les haies vives qui marquent les limites des concessions et donc l’appropriation de la terre. Les haies arbustives délimitent aussi les parcelles attribuées à chaque épouse à l’intérieur d’une concession. Elles jouent aussi une fonction de protection des cultures de la dégradation par le petit bétail. Leur tracé est en effet conçu de manière à « canaliser la circulation du petit bétail entre le pâturage, la rivière et la ferme sans avoir besoin de gardien »145. La construction des haies vives a enfin un rôle antiérosif dans cette région de montagne aux pentes parfois abruptes. Enfin, ces haies constituent des réserves de bois servant de combustible, de matériaux de construction et de matière première pour la fabrication de divers objets utilisés au quotidien : sièges, mortiers, pilons, manches de machettes, houes, haches, couteaux etc. Les arbres sont également plantés sur des parcelles de cultures en semis isolés, de manière à ne pas leur faire trop d’ombrage. Leurs feuilles produisent de l’humus qui participe à la protection et la fertilisation des sols. Il s’agit le plus souvent d’arbres fruitiers donc certains, comme l’avocatier, ont une fonction alimentaire non négligeable146. Parmi ces arbres, on trouve le safoutier et surtout le kolatier dont le fruit, la noix de kola, joue un rôle social important. Il représente pour les Bamiléké le

144 Denis Gautier, « La diversité des systèmes agroforestiers Bamiléké et ses évolutions contemporaines »,

Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliqu e, Bulletin n°2, Phytogéographie tropicale : réalités et perspectives. Propos d’ethnobiologie, 1994, p.159-178, p. 160.

145 Dongmo, le dynamisme bamil k …, op. cit., p.102. 146 Denis Gautier, « la diversité des systèmes…, op. cit., p.163.

« symbole de l’amitié, de l’amour et de la réconciliation »147 et est considérée par les hommes comme une « source de force ».

Le kolatier fait partie du paysage des concessions en pays bamiléké. Sa production est ancienne et alimente d’importants réseaux commerciaux locaux et lointains. Les sultanats Foulbé de N’ aoundéré et Maroua dans le nord du Cameroun sont des centres de consommation de la kola produite en pays bamiléké. Pour acheminer dans de bonnes conditions les noix de kola jusqu’à ces destinations, elles sont soigneusement préparées et emballées afin d’éviter toute moisissure qui déprécie le produit sur ces marchés, où elle subit la concurrence de la kola importée de Guinée148. Les femmes participent à ces opérations de préparation préalable à l’expédition de la kola. Les hommes parcourent parfois de longues distances pour les vendre à des prix plus intéressants sur certains marchés.

Le plantain est une culture ancienne de la région. Il est planté dans les champs de concession. Ses feuilles sont utilisées dans la cuisine comme emballage pour la cuisson de nombreux mets (gâteau de maïs, de haricot voandzou ou d’arachide, …). Pour ces différentes plantes arbustives, les hommes s’occupent de l’ensemble du cycle de production : l’élagage, le bouturage, le repiquage ou la plantation et la récolte. Ces productions sont entourées d’un certain prestige. Par exemple, pour des dons au chef ou aux notables, le régime de plantain était incontournable. En pays bamiléké il accompagnait fréquemment la chèvre offerte pour solliciter un service ou remercier un dignitaire pour un service rendu.

Au total, l’arbre constitue un élément majeur du système de production des concessions, d’un point de vue à la fois agronomique et économique.

La pratique de l’élevage est courante. Dans la plupart des concessions, le chef de famille possède un troupeau de chèvres, et quelques animaux de la basse-cour. L’importance du troupeau donne une indication de son statut. L’élevage a été intégré dans le système de production comme activité masculine. En raison de l’importance de certains animaux, la chèvre et les volailles en particulier, dans les cérémonies coutumières, leur élevage est très répandu et entouré d’un certain prestige. La chèvre rentre en effet dans le paiement des dots,

147 Pierre-Clovis Yamen Mbetkui, Les m canismes des changes dans l’ conomie traditionnelle, entre la

chefferie Bangangt et ses voisins Bamil k  : des origines à la p n tration allemande (1903-1909). Aperçu historique, Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé, 1990, p. 50.

le règlement de peines judiciaires, les transactions commerciales ou d’épargne149. Sa viande est utilisée dans la préparation d’un repas incontournable lors des fêtes, le kondre (met à base de plantain et de viande de chèvre) servi à toutes les occasions : mariages, funérailles, fêtes d’intronisation. Les femmes ordinaires ne peuvent s’adonner à l’élevage des chèvres ou des moutons, seules les Mafo ont le droit de disposer de ces animaux pour elles-mêmes.

Au final, le régime alimentaire bamiléké est loin d’être monotone. En 1955, le pharmacien du corps de santé colonial B. Bergeret, a mené une étude sur l’alimentation des Bamiléké avec cette même conclusion : « qualitativement, on peut dire que nous avons affaire à un type alimentaire complet »150. Un équilibre entre les féculents, nombreux, et suffisants pour couvrir les besoins en éléments glucidiques ; les lipides peu variés, mais suffisants et les protides, assurés par la consommation d’aliments animaux variés et d’aliments végétaux riches; des vitamines apportées par la consommation de légumes et fruits frais. L’étude relève l’absence totale de produits laitiers, inconnus chez les Bamiléké.

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