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Le Sud-Cameroun au tournant du XXème siècle : colonisation et évolution des systèmes de production agricole : 1884-

C’est en 1885, avec la signature du traité connu dans l’histoire sous le nom de « traité germano-duala » entre les allemands et quelques chefs de clans duala que commence l’annexion coloniale des territoires qui deviendront quelques années plus tard le Kamerun allemand. Ce territoire présente une grande diversité tant physique qu’humain. Il s’étend sur 1200 kilomètre du sud au Nord entre 1.38 et 13.05 de latitude Nord. Le sud est influencé par le climat équatorial humide et le nord par le climat sahélien. Les sociétés qui constituaient le Cameroun précolonial ne vivaient pas en vase clos. Elles étaient organisées suivant des systèmes politiques égalitaires ou hiérarchisés et entretenaient de nombreuses relations qui pouvaient être conflictuelles, mais aussi fondées sur les échanges et le commerce. Dans les sociétés du sud du territoire, quelle que soit leur forme d’organisation, l’économie repose sur l’agriculture et le travail des femmes. La division sexuelle du travail agricole est partout un principe fondamental qui permet de contrôler leur force de travail. Elles sont à la base de l’accumulation des richesses, contrôlées par les hommes, puisqu’elles assurent par leur production et leur reproduction la continuité et l’élargissement du groupe familial.

A partir du XVIème siècle, le développement du commerce transatlantique favorise la circulation de nouvelles plantes et l’intégration de celles-ci dans les systèmes de culture. C’est aussi une période troublée avec des tensions liées au commerce des esclaves et aux migrations. Les conquêtes allemandes de la fin du XIXème siècle imposent la stabilisation des groupes ethniques et ouvrent une nouvelle ère, celle de la colonisation européenne dont le but affiché est de se procurer au profit des métropoles les richesses, et de « civiliser » les populations africaines. Ces dernières adoptent plus ou moins volontairement de nouvelles façons de communiquer, de croire, de se vêtir, d’habiter, de vivre ensemble, de manger.

Cette période de transition qu’on peut globalement situer entre 1885 et 1930 correspond à la consolidation de l’ordre colonial et au démarrage d’un processus irréversible de transformations multidimensionnelles des sociétés du Sud-Cameroun. Sur le plan politique, l’administration coloniale soumet sous son autorité les chefs coutumiers et en impose là où n’existe aucun système hiérarchique de domination politique. Sur le plan économique, l’exploitation du potentiel agricole du Sud-Cameroun s’appuie sur une économie de plantation orchestrée par l’administration. Elle utilise tous les moyens de contrainte qu’autorise la domination coloniale et la soumission des peuples vaincus pour fournir aux colons les moyens de production nécessaires : terres agricoles arrachées aux populations, main d’œuvre réquisitionnée de manière forcée, travaux forcés de construction et d’ouverture de voies de communication pour l’évacuation des produits des plantations etc…L’ordre colonial impose

des mobilités, surtout de travail, qui affectent les systèmes de production agricole. Les hommes jeunes qui partent travailler dans les plantations européennes, ou qui sont mobilisés pour le portage, ne peuvent plus assumer leur part de travaux définie par le calendrier agricole. Les femmes s’adaptent en adoptant des plantes moins exigeantes ou des variétés aux rendements plus importants, ou innovent dans des techniques de fertilisation qui permettent l’intensification des cultures et la réduction de la jachère. Elles doivent aussi composer avec de nouveaux aliments importés que cherche à diffuser l’administration coloniale. Celle-ci remet en cause les traditions culinaires et la qualité de l’alimentation des populations africaines qu’elle juge inadaptée aux besoins, insuffisante et pauvre. « La mission civilisatrice » s’emploie ainsi à apprendre à manger aux Africains, impose des cultures vivrières forcées et initie les hommes, qui traditionnellement n’interviennent que pour des tâches précises dans la production agricole, aux techniques « modernes » d’agriculture.

L’économie monétaire se répand rapidement, et l’imposition des hommes, mais aussi des femmes accélère leur intégration dans le système économique colonial : produire, vendre, acheter, accumuler si possible, permet de s’insérer dans le mouvement de la « modernisation » et de la « civilisation ». Cette dynamique est accentuée par l’adoption des cultures de rente par les hommes, denrées produites exclusivement pour l’exportation et le marché occidental qui se développe parallèlement à la production traditionnelle de subsistance, qui repose désormais presqu’exclusivement sur le travail des femmes. Ces cultures sont principalement le cacao qui intéresse les Duala dès la fin du XIXème siècle et ensuite les Béti dans les années 1920 et le café introduit en pays bamiléké à partir des années 1930.

Cette première partie de notre travail est consacrée à cette période de transition : transition économique avec l’apparition des cultures de rente, d’organisation du travail agricole et de nouvelles cultures vivrières génératrices de revenus ; transition sociale avec d’une part, la naissance du travail salarié et de nouvelles classes sociales non agricoles et d’autre part la transformation de l’alimentation. Nous tentons, dans le premier chapitre, une présentation des rapports de genre dans les sociétés du sud du Cameroun au moment où s’installe et se consolide le système colonial, à travers l’étude de leur organisation sociale et de l’institution de la division sexuelle du travail agricole. Notre analyse s’intéresse aussi bien à l’univers domestique qu’à l’organisation sociale (structures économiques et institutions

politiques) qui nourrissent le système de genre1. Le deuxième chapitre s’intéresse aux conditions de l’expansion coloniale et les transformations d’ordre économique qui en découlent. Nous analysons notamment l’accélération des phénomènes de mobilité masculine, orchestrée par l’administration coloniale, pour les besoins de la colonisation et ses effets sur l’organisation de la production agricole traditionnelle. Nous insistons sur le développement de l’économie de plantation et le début de sa diffusion dans les sociétés du sud Cameroun. Le troisième chapitre explore les transformations d’ordre alimentaires, avec la diffusion de nouveaux aliments et la mise en œuvre d’une politique alimentaire, en particulier sous l’administration française dans l’objectif de « résoudre le problème de la sous-alimentation » des africains. Après avoir décidé que cette dernière était la cause principale du sous peuplement et de l’insuffisance de la main d’œuvre nécessaire à l’exploitation des richesses coloniales. Nous examinons les ressorts de cette politique alimentaire au regard du rôle traditionnel des femmes dans la production alimentaire dans les sociétés du sud Cameroun.

Chapitre I

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