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Méthodes de culture, systèmes de fertilisation : l’implication des hommes et des femmes dans la préservation des sols en pays bamiléké

Division sexuelle du travail agricole et implications sociales et économiques

I.2. Une responsabilité partagée ? Les femmes, les hommes et le travail agricole

I.2.2. Répartition du travail agricole entre les sexes en pays bamiléké

I.2.2.4. Méthodes de culture, systèmes de fertilisation : l’implication des hommes et des femmes dans la préservation des sols en pays bamiléké

Une forte croissance démographique combinée à une exiguïté des terres agricoles a favorisé le passage d’une agriculture extensive à une agriculture intensive en pays bamiléké, bien avant la pénétration européenne. Par ailleurs, la topographie du pays, parsemé de massifs polyconvexes, de dépressions et de fortes pentes qui atteignent souvent 25° de déclivité, prédispose ces terres aux effets néfastes de l’érosion. Le maintien de la fertilité des sols est apparu dans ces conditions comme un enjeu majeur de la viabilité du modèle socio- économique bamiléké fondé sur l’autonomie de chaque concession en matière de production agricole. Les femmes, dont on a vu le rôle fondamental dans la production des principales denrées alimentaires, ont expérimenté et adopté diverses techniques en vue de préserver la qualité du sol et assurer une exploitation durable. Claude Tardits observait justement que

…la cultivatrice bamiléké tient compte, dans la rotation des cultures, ceci sans doute de façon variable, à la fois de la fertilité du sol et de la situation topographique du terrain : « association culturelle et types de rotation ne sont pas sans correspondre assez souvent à des principes agronomiques judicieux »161.

Elles ont été aidées en cela par les hommes dont l’activité d’élevage, intelligemment intégrée au cycle de production agricole162, a très avantageusement fournit de l’engrais animal au moment o disparaissait peu à peu la jachère. La lutte contre l’érosion et la dégradation des sols est une préoccupation permanente des femmes autant que des hommes. Les méthodes de cultures se sont adaptées à cette exigence. Le système de billonnage pratiqué par les femmes répond par exemple à la nécessité de tirer le meilleur parti d’une terre « souvent mince et durcissant à chaque saison sèche »163. J.L. Dongmo nous fournit une description de cette méthode de culture :

Le billon se construit à la houe. A l’origine, c’est-à-dire à la première mise en culture d’une parcelle, les herbes sont couchées en tas parallèles qu’on recouvre ensuite avec de la terre creusée dans les intervalles. On obtient un paysage qui ressemble à la tôle ondulée. Les billons étant en saillie et les sillons en creux. La dénivellation entre le sommet d’un billon et le fond du sillon voisin est d’environ 50 cm ; la longueur des deux éléments est de 3 à 5 m, tandis que la

161 Tardits, contribution à l’ tude des populations…, op.cit., p. 72. L’auteur cite le rapport agricole de la Région

Bamiléké de 1955.

162 J. Hurault, « l’organisation du terroir dans les groupements Bamiléké », op.cit., p. 249-251. 163 Dongmo, Le dynamisme Bamiléké…, op. cit. p. 105.

largeur de chacun d’eux est d’environ 60 cm. Lors des sarclages, les mauvaises herbes sont jetées dans les sillons ; il en est de même des fanes de haricot ou d’arachide, des tiges de maïs, des feuilles de macabo et des troncs de bananiers lors de la récolte. Quand arrive le moment de cultiver, on y entasse aussi les herbes dont on a nettoyé le sol puis on détruit les billons voisins pour recouvrir ces « déchets », de sorte que d’une campagne de culture à l’autre, billons et sillons s’échangent de place164.

Cette alternance de billons et de sillons permet aux femmes de cultiver la même parcelle en continu, tout en utilisant les herbes qui, recouvertes de terre, se décomposent et fournissent de l’humus qui aide le sol à se régénérer. Ce système de billonnage a aussi pour avantage de frayer un chemin d’écoulement des eaux de pluie à travers les sillons, et de limiter ainsi le transport dans les fonds de vallée des terres par les eaux de ruissellement lors des fortes pluies. Ce système de billonnage est caractéristique du pays bamiléké où la déclivité des pentes est parfois très forte sur certains versants.

Le pays bamiléké bénéficie d’une manière générale de sols fertiles, en particulier dans sa partie nord. C’est là une explication plausible des fortes densités de populations qui s’y sont maintenues, malgré la faible disponibilité des terres agricoles. La qualité des sols originels de la majeure partie du pays a certainement facilité l’intensification de l’agriculture. Cependant il existe des zones moins bien dotées. On peut classer en trois catégories165 les différents types de sols. La première concerne les sols jeunes, riches en matières organiques, issus de la dernière phase de l’activité volcanique du massif Mbapit et de nombreuses montagnes situées dans la région de Foumbot, en pays bamoun. Ils sont peu évolués, de faible profondeur avec une capacité limitée de rétention d’eau. Ils sont particulièrement sensibles à l’érosion.

Le deuxième type de sols se rapporte aux sols hydromorphes, dont la présence en pays bamiléké s’explique d’une part par « la faiblesse de l’érosion sur le plateau, d’autre part l’obstruction des vallées périphériques par des coulées volcaniques, entraînant l’ennoyage de la partie située en amont… »166

. Ces sols sont localisés dans les fonds de vallée où les hommes font pousser les plantations de palmier raphia. On trouve enfin des sols ferralitiques dérivés des roches volcaniques et de roches mères, dont les plus répandus sur le plateau

164 Dongmo, Le dynamisme Bamiléké…, op. cit, p. 106. 165 Champaud, Atlas R gional de l’Ouest 2, op.cit. p. 27.

Bamiléké sont les sols ferralitiques rouges sur basaltes, dont la composition riche en argile les rend moins sensibles à l’érosion.

Les femmes autant que les hommes ont une conscience forte de la fragilité des sols. Le maintien de leur équilibre a conduit à la mise en place de méthodes parfois originales, et surtout adaptées à leur préservation. L’exemplarité des savoirs faire des agricultrices Bamiléké en cette matière a été reconnue par les études agronomiques167. Ces techniques permettent une exploitation intensive des parcelles et des rendements suffisants pour répondre aux besoins alimentaires des familles168. Nous pouvons distinguer : l’association des cultures, l’utilisation de l’engrais vert, des plantes de couverture (sang), les cendres domestiques, les ordures ménagères et du fumier animal grâce à l’association de l’élevage et de l’agriculture, l’écobuage. L’arboriculture a également une fonction antiérosive. Les haies vives et les arbres protègent les sols en limitant l’érosion pendant les fortes pluies. Ils favorisent la restitution organique et le recyclage des minéraux.

L’association des cultures tient compte de de la vocation de chaque terroir et permet de disposer des denrées alimentaires pratiquement toute l’année. râce à cette technique, les agricultrices adaptent leur production aux besoins de leurs familles en sélectionnant diverses variétés d’aliments en fonction de leur compatibilité avec chaque type de sol et les autres plantes. L’association des cultures n’est pas une spécificité du système agraire bamiléké, mais elle est particulièrement adaptée à son système intensif de culture. Longtemps décriée par les agronomes coloniaux comme une technique archaïque, et combattue vigoureusement, l’association des cultures est remise à l’ordre du jour par la recherche agronomique actuelle et présentée comme une condition de la durabilité agro-écologique des systèmes de culture dans les zones tropicales169. Pour les femmes bamiléké, au-delà de son impact sur la protection des sols, elle a toujours présenté l’avantage d’offrir sur une même parcelle une gamme variée de produits consommés au quotidien. C’est un dispositif central dans la recherche permanente de la sécurité alimentaire et le maintien de la production à un niveau suffisant pour satisfaire les besoins alimentaires de chaque groupe familial.

167 Isabelle Grangeret-Owona a consacré une thèse à l’étude des modes de gestion de la fertilisation des sols par

les paysans et les paysannes bamiléké, L'agriculture bamil k …, op. cit. p. 42-93.

168 Dongmo, le dynamisme Bamiléké…, op.cit. p. 112. 169

Philippe Jouve, « La croissance démographique, frein ou opportunité pour une intensification agricole durable en Afrique subsaharienne ? Transition agraire et résilience des sociétés rurales. », Courrier de

L’utilisation de la technique de l’écobuage dans la conservation des sols possède une originalité en pays bamiléké. Celle-ci est différente du brûlis simple, tel qu’on peut le voir dans les régions forestières, Ici, les femmes enfouissent les herbes issues du défrichement et les recouvrent de terres avant de les soumettre à une combustion lente et étouffée. Cette technique permet d’obtenir des sols « plus légers, plus faciles à travailler » et disposant d’une concentration minérale favorable à la nutrition des plantes170.

Cet engrais vert obtenu par combustion ou par pourrissement lorsque les herbes ne sont pas soumises à l’écobuage, ajouté à du fumier animal, des détritus de cuisine et les cendres domestiques, apporte aux sols des éléments nutritifs indispensables pour assurer des rendements satisfaisants aux cultures. Cette pratique agronomique est revalorisée aujourd’hui comme un moyen de lutte biologique contre la dégradation des terres171, de même que l’usage du feu dont l’efficacité de la cendre est reconnue dans la lutte contre certaines maladies de plantes à tubercules comme l’igname, et certains insectes et rongeurs qui causent des dégâts aux semences. Cette maîtrise de l’usage du feu, dans des champs situés autour des habitations, a été un élément décisif dans le processus d’intensification de l’agriculture Bamiléké. Elle a favorisé le maintien de la fertilité des parcelles sur lesquelles étaient plantés les tubercules les plus exigeants et plus globalement la plupart des aliments présents dans le régime alimentaire. L’amélioration des rendements et la qualité des récoltes a aussi été le résultat de la sélection des semences les mieux adaptées aux conditions des sols, en partie grâce à la circulation des semences et des savoirs à travers les réseaux constitués par les femmes entre les chefferies du plateau. Il est à noter enfin que l’association de l’élevage, activité masculine et de l’agriculture (activité principalement féminine) a joué un rôle majeur dans ce système, et témoigne de la prise de conscience par les Bamiléké de l’enjeu de conjuguer toutes les forces pour préserver le capital terre dans les nka, c’est-à-dire le patrimoine familial, et assurer la sécurité alimentaire des habitants.

La jachère est pratiquée dans les tsuet, les champs situés en dehors des concessions, cultivés de manière extensive. L’abandon de la jachère dans les champs des nka a accompagné l’intensification de l’agriculture. Les agricultrices ont substitué à la jachère

170 Grangeret-Owona, « La fertilité des terres bamiléké dans tous ses états », dans Georges Courade, Le d sarroi

camerounais : l’ preuve de l’ conomie-monde, Paris, Karthala, 2000 , p. 49.

171

Hélène Guetat-Bernard, « Travail des femmes et rapport de genre dans les agricultures familiales : analyse dessimilitudes entre la France et le Cameroun Agricultures familiales », Revue Tiers-Monde, n° 221, 2015, p. 89-

d’autres pratiques culturales durables qui ont facilité la transition et la préservation de l’équilibre de l’écosystème des parcelles familiales, jusqu’au milieu du XXème siècle. Le calendrier agricole bamiléké, présenté de manière schématique ci-dessous, illustre cette interdépendance des activités masculines et féminines dans le cycle agricole.

Calendrier agricole en pays bamiléké :

Sources : APO, calendrier agricole de la Ménoua ; Jean-Louis Dongmo, Le dynamisme Bamiléké, la maîtrise de l’espace agraire, Yaoundé, 1981. Emmanuel homsi, les Bamiléké du Cameroun (essai d’étude historique des origines à 1920). Thèse de doctorat IIIème cycle d’Histoire, Université de Paris Sorbonne, 1972.

Entretien avec Mme Tchaptchet Pauline, 85 ans, Bangangté, 25 fevrier 2015.

Saison mois travaux Responsable

Dji’eunyèm :

grande saison sèche

Janvier Entretien des haies vives, élagage et bouturage

Élagage des arbres fruitiers et dessouchage Mouka (écobuage) H H F F F Février à mi-mars Préparation du sol (ndze-tse)

semailles

Tchue : petite

saison des pluies

mi-mars Semailles F

F Avril à juin Su-una, sarclage et entretien

Dji’eu Soh :

grande saison des pluies

Juin-juillet Sarclage, premières récoltes : prémices maïs

Réfection des greniers

F

H

F H Août à septembre Récoltes (maïs, arachide, ignames

Récolte safoutier

Septembre à octobre 2eme campagne patate douce et haricot : préparation du sol, semailles

récolte de kola

F

H

Chou’ou :

petite saison sèche

Octobre-mi- novembre

Entretien, sarclage F

Dji’eunyèm

grande saison sèche

mi-novembre- décembre

Récolte des ignames et taro et patates douces

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