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Un investissement plus important des hommes dans des activités non

Division sexuelle du travail agricole et implications sociales et économiques

I.2. Une responsabilité partagée ? Les femmes, les hommes et le travail agricole

I.2.3. Un investissement plus important des hommes dans des activités non

agricoles : guerre, chasse, commerce, pêche, artisanat et travaux de construction

Au vu de ce qui précède, on peut affirmer avec Ester Boserup que l’agriculture est l’activité féminine par excellence172

dans ces deux sociétés du Cameroun précolonial. La division sexuelle du travail, qui organise la vie sociale, confère aux hommes des rôles prééminents dans d’autres secteurs, la chasse, la guerre, l’artisanat ou encore le commerce. Dans un contexte de migration, de conquête et de consolidation de nouveaux territoires, une partie de la population masculine est fréquemment mobilisée dans les activités guerrières ou de sécurité. Ces activités sont en rapport avec l’agriculture173, puisqu’elles ont souvent pour but la conquête de nouveaux territoires, et donc des terres agricoles, ou la défense de celles déjà conquises. En règle générale, les hommes ont des champs d’activités plus diversifiées : guerre, chasse, commerce de longue distance, construction. Alors que les femmes ont pour principale activité la production alimentaire, le commerce (surtout en pays bamiléké) et accessoirement l’artisanat.

La chasse et la guerre représentent pour les hommes ce que sont le travail de la terre et la cuisine pour les femmes. Ce sont des activités viriles par excellence174, et donc valorisantes. Les femmes, exclues de ces activités, ne détiennent aucun savoir lié au maniement des armes. La chasse assure aux hommes le contrôle sur la viande, enjeu de pouvoir du fait du prestige qu’entourent la capture de certains gibiers et leur consommation175

. Les forêts du pays bamiléké précolonial, autant qu’en pays béti, contiennent une faune abondante et riche : des éléphants, des buffles, des sangliers, des antilopes, des phacochères, des hyènes, des panthères et des singes. Ces animaux sont surtout chassés pour leur viande. Mais l’ivoire et les peaux de panthères sont des objets ornementaux prisés. Les techniques de chasse sont variées et le matériel est de fabrication locale ou, comme le fusil, importé. On distingue la chasse à la lance, au fusil de traite, à l’arbalète ou au piège. Selon les mythes fondateurs de certaines chefferies en pays bamiléké, la chasse a joué un rôle décisif dans la consolidation des royautés. Les fondateurs ont souvent été, comme à Bangangté, de valeureux chasseurs qui ont

172 Boserup, Woman’s Role in Economic Development, op.cit., p. 16 173 Coquery-Vidrovitch, Les africaines… op.cit., p.24.

174 Laburthe-Tolra, Les seigneurs de la forêt, op. cit. p. 274.

175 Tristan Fournier, Julie Jarty, Nathalie Lapeyre et Priscille Touraile « l‘alimentation, arme du genre, », journal

su par leur bravoure et leur ruse s’allier les populations de la localité et imposer leur autorité. La guerre offre aux hommes un moyen de promotion sociale et est partie intégrante de l’éducation des jeunes garçons. « Toute la vie du jeune homme en temps de paix était une préparation militaire, par la chasse, par la danse, par la lutte, par la familiarité avec la brousse »176. Le rituel béti d’initiation des garçons, le so, s’apparente d’ailleurs à un service militaire. La guerre arrive souvent de manière inopinée, par une embuscade ou une attaque par surprise. La préparation et la formation des guerriers s’avèrent donc nécessaire dès leur jeune âge. En pays bamiléké, tous les sociétés guerrières appelées mandjon constituent des lieux d’initiation des jeunes garçons à la guerre. Ils y sont admis dès l’âge de 12 ans dans la section réservée aux jeunes gens de 12 à 18 ans (Mankui) et intègrent effectivement le

mandjon des adultes à leur mariage. On y trouve l’élite des guerriers de chaque chefferie177. Le travail artisanal constitue une autre occupation masculine même si les femmes n’en sont pas exclues. Les familles fabriquent elles-mêmes les objets utilisés quotidiennement (pots, ustensiles de cuisine, paniers divers, nattes, etc…). Les hommes travaillent les matériaux durs : le fer et le bois. Suivant les observations de Zenker chez les Béti, tous les jeunes hommes savent sculpter le bois et fabriquent des objets usuels, mais aussi des objets d’art comme des statues. Le travail du fer est une affaire de spécialistes dans chacune de ces sociétés, une source importante d’accumulation pour les hommes qui en maîtrisent l’art. Les forgerons produisent des outils de guerre, de chasse, ou des travaux agricoles et, en grande quantité des objets du quotidien tels que couteaux, lances, houes, bêches, haches, et la monnaie locale « bikye » utilisée dans les échanges et surtout « pour acheter des femmes »178. En pays bamiléké, des lignées de forgerons, ta lom, « littéralement père forge »179 se transmettent la technique du travail du fer de père en fils. Certaines chefferies, comme Bangoulap, sont réputées pour la dextérité de leurs forgerons. Ils fabriquent également des outils de guerre, de chasse, les houes, les haches et d’autres objets à usage domestique180. Le métal utilisé provient des fourneaux de la région de Bamenda ou du Nord181.

176 Laburthe-Tolra, Les seigneurs de la forêt…, op. cit. p. 322. 177 Delarozière, Les institutions politiques et sociales…op.cit.,p. 74. 178 Laburthe-Tolra, Yaound , d’après Zenker…op. cit., p. 97-99.

179 Raymond Lecoq, Les Bamiléké, une civilisation africaine, Paris, Editions Africaines, 1953, p. 45. 180 Entretien avec Mme Tchami Rose, Baré, 22 janvier 2015

181 Emile-M. Buisson, « Les armes bamiléké actuelles et les formes préhistoriques », Bulletin de la Société

Les hommes travaillent aussi le bois à partir duquel ils fabriquent des lits en rotin ou en axe de raphia, des cuillers, des assiettes et mortiers en bois, des claies et des étagères qui servent de séchoirs pour les denrées alimentaires récoltées et conservées dans les greniers. Parmi les objets usuels, on trouve aussi des pipes, des tableaux sculptés, des chaises, des peignes, des balais, des arbalètes et des flèches pour la chasse, des instruments de musique : tam-tam, tambour, xylophone, flute ; des jeux : damiers ou pions sculptés. En pays bamiléké, certains artisans sont spécialisés dans la production d’objets de prestiges ou sacrés pour les chefs et les notables des chefferies. Ils réalisent des sculptures d’encadrement des portes, de chaises, de statuettes etc. Certains, appelés kam’jue sont habilités à sculpter les meubles usuels des chefs (chaises, lits, tam-tams, masques divers) 182 dont certains ont une fonction cultuelle, et sont fabriqués à partir d’arbres coupés dans le bois sacré de la chefferie.

L’artisanat féminin se présente comme une activité accessoire au regard des charges quotidiennes qu’ont les femmes dans la production alimentaire, l’entretien des enfants et la préparation des repas. Elles fabriquent des poteries à base d’argile, utilisés comme ustensiles de cuisine et pour la conservation des produits alimentaires comme les céréales ou l’huile de palme. A Bandjoun, en pays bamiléké, Raymond Lecoq décrit le processus de fabrication des poteries par des femmes :

Prise aux abords des marigots, cette argile est broyée sur une pierre au-dessus lisse et concave, puis pétrie à la main. La forme est donnée en partant d’une boule et les parois remontées peu à peu. Pour amincir l’intérieur, l’ouvrière emploie un morceau de fer plat de forme semi-circulaire et pour l’extérieur une lamelle en écorce de bambou183.

Le pot est ensuite lissé à l’intérieur, poli à l’extérieur et gravé suivant une gravure exécutée à l’aide de l’écorce d’un fruit noir. La gravure peut être obtenue aussi par impression, en roulant le pot sur une écorce de bambou tressée. Les pots sont ensuite séchés au soleil avant d’être cuits.

En pays béti, le savoir-faire artisanal des femmes s’exprime également dans la poterie, mais aussi dans la vannerie et le tissage. G. Zenker nous décrit le procédé de fabrication employé par des femmes à la fin du XIXème siècle :

L’argile bleu-vert et jaunâtre est malaxée avec un morceau de bois, ensuite les petites filles en forment des rouleaux que la potière pose en cercle ; elle consolide le pot en appuyant, elle lui

impose la forme voulue au moyen d’un petit bâton ou de noyaux de fruit ovales, et elle polit la surface. Quand le pot a une certaine hauteur et est terminé, on y met des ornements avec un bout de bois à entailles et on le laisse sécher ; plus tard, un beau soir, on cuit les pots184.

La vannerie et le tissage permettent aux femmes de disposer de divers objets utiles dans la vie quotidienne. Des nattes pour le couchage, souvent offertes comme cadeau de mariage, des hottes qui servent au transport des récoltes ; des paniers dont certains sont utilisés pour la pêche185.

Les activités commerciales ou d’échange entre les divers peuples du sud-Cameroun montrent qu’elles ne vivent pas dans un état de guerre « permanente » qui a justifié la conquête coloniale et la « pacification ». Le commerce est l’une des principales occupations des hommes, particulièrement en pays bamiléké. De nombreux réseaux régionaux de commerce de la kola, des noix de palme, de l’huile de palme, de sel existent en direction du sud vers la côte ou vers les sultanats fulbés du Nord-Cameroun.

Chaque chefferie Bamiléké dispose d’une place du marché, place principale de rassemblement des familles dispersées et isolées. Situé en général à l’entrée du domaine du chef, le marché se tient une fois par semaine. Le jour du marché est avec le jour sacré, des moments de pause dans les travaux agricoles pour les femmes, c’est-à-dire les jours où elles ne se rendent pas dans leurs champs. Le marché a une fonction sociale importante dans la société Bamiléké : On vient y prendre des nouvelles, annoncer la survenue d’un malheur ou d’un événement heureux dans la famille, présenter une jeune fiancée juste sortie de son initiation…C’est un temps de loisirs que les femmes s’autorisent au milieu d’une semaine de travail dans les champs. Voici la description que fait le Docteur Debarge, de la mission évangélique de Paris, en 1934, d’un marché Bamiléké. C’est un lieu

…où chacun vient voir les amis, apprendre les nouvelles. Les ordonnances y sont publiées. On y apprend deuil, fiançailles, mariages, naissances. Ici, ces êtres vêtus de guirlandes de feuillage, enduits de terre blanche portant de vieux sacs déchirés, annoncent sans paroles que la mort a frappé leur famille. Cette femme au corps enduit d’une poudre d’écorce vermillon, dit sa joie d’une nouvelle naissance, le collier de bois de celle-ci la désigne comme la mère respectée de jumeaux. Cette fillette trop grosse, que sa mère accompagne, sort de l’initiation, et sa mère recueille des

184 Laburthe-Tolra, Yaound d’après Zenker, (1895), op.cit., p. 97. 185 Colette Ma, Les femmes Eton et l’ conomie coloniale…, op.cit. p. 20.

félicitations sur le succès de cette cure d’engraissement186.

L’activité commerciale des femmes est plus localisée. Elle se limite essentiellement aux marchés de leur chefferie ou celles des chefferies voisines où elles contrôlent le petit commerce des produits alimentaires ou des objets artisanaux qu’elles confectionnent187. Il est probable que des femmes aient été également impliquées dans le commerce de longue distance. Une de nos informatrices, âgée de 75 ans, nous a décrit les activités commerciales de sa mère et de sa grand-mère. Vivant dans la chefferie de Bangang, elles allaient dans la plaine de Ndop, située à plus de 70 km au Nord. Ndop était un important carrefour de commerce à l’époque précoloniale. Elles s’y rendaient à plusieurs et achetaient de l’huile de palme qu’elles revendaient sur les marchés des chefferies de l’actuel département de Bamboutos (Mbouda)188. Pour la majorité des femmes cependant, le commerce est une activité secondaire qu’elles pratiquent en fonction des quantités de surplus qu’elles ont obtenu de leurs champs et de leurs besoins en produits alimentaires complémentaires : huile de palme, sel et plus tard poisson sec et viande, ustensiles de cuisine, matériel agricole.

Dans la région des grassfields, l’organisation d’un système d’échange régional autour de la production et la distribution de l’huile de palme et des produits issus de l’industrie métallurgique est ancienne et « incrusté dans les paysages189 ». L’huile de palme est le pivot d’un vaste courant commercial qui englobe le pays banen au sud-est, le pays bamoun à l’Est et les chefferies Banyang de la région de Cross river au sud-ouest. Le développement du commerce a stimulé l’émergence de véritables spécialisations régionales dans certains types de productions agricoles ou artisanales. En pays béti, existe de même un système local de production métallurgique, une organisation des artisans par spécialité, un réseau d’échange alimenté par les produits de traite190.

Ce commerce de longue distance est surtout contrôlé par les hommes. Il concerne le bétail (chèvres surtout), la kola, l’huile de palme, le palmiste, le sel191. En dehors de quelques zones situées dans les chefferies du sud du plateau, le palmier à huile est très rare en pays

186 Dr Josette Debarge, La Mission Médicale Au Cameroun, Paris, Société des Missions évangéliques, 1934, p.

43.

187 Information concordante recueillie auprès de Mme Tchami à Baré, Mme Mbiagne à Bangangté et Mme

Ngueleu à Bafoussam.

188 Entretien avec Mme Sonkoué, 29 décembre 2014, Foumbot.

189 Warnier, Échanges, développement et hiérarchies dans le Bamenda précolonial, op. cit. p.3. 190 Guyer, Family and farm in southern Cameroon, op. cit. p. 15.

bamiléké pourtant grand consommateur d’huile de palme. L’huile consommée provient donc pour la plus grande quantité des échanges commerciaux avec les peuples des plaines périphériques.

I.3. Implications sociales et économiques de la division sexuelle du travail agricole

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