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Les Duala : premiers planteurs Camerounais (1890-1930)

Économie de plantation, mobilités masculines et systèmes locaux de production 1884-

II.1. Plantations capitalistes et mobilisation de la main d’œuvre masculine (1885-1930)

II.1.2. Les Duala : premiers planteurs Camerounais (1890-1930)

Les Duala sont les premiers camerounais à expérimenter l’agriculture de plantation17 avec la culture du cacao. Le commerce très lucratif de traite, dans lequel ils détiennent un rôle de monopole, a fait passer l’agriculture au second rang, au profit du commerce. Ils sont ainsi devenus dépendants pour leur nourriture des produits alimentaires importés, achetés aux commerçants blancs18. Cette évolution ne concerne cependant que les élites, constituées de chefs de clans et de leurs familles qui se sont enrichis grâce à cette position d’intermédiaires commerciaux. L’agriculture de subsistance et surtout la pêche constituent les principales activités économiques du reste de la population suivant le modèle de division sexuelle du travail que l’on retrouve dans la plupart des sociétés du sud du Cameroun.

15 Ewangué, L’ conomie de plantation…op.cit, p.58. 16 Rudin, Germans in the Cameroons…op.cit. p.249.

17 Odile Chatap, Changements et Ruptures Dans Le Moungo de 1911 À 1950, Thèse de Doctorat d’Histoire,

Université de Provence, 1992, p. 59-60.

Lorsqu’ils perdent leur position d’intermédiaire commerciaux, les élites Duala se reconvertissent dans la production du cacao. Grâce à l’influence qu’ils exercent sur les peuples voisins, ils réussissent à approprier à leur compte de vastes terres fertiles dans la vallée du Moungo où ils installent leurs plantations. Avec ces nouvelles cultures, l’agriculture devient un moyen d’accès à la richesse et non plus une activité d’autoconsommation réservée essentiellement aux femmes.

Ces initiatives des Duala, sont encouragées par les commerçants allemands qui souhaitent voir se développer une production autochtone pouvant alimenter leur commerce. Ils sont également intéressés par toute activité lucrative susceptible de permettre aux colonisés de se procurer les produits qu’ils importent d’Europe. H. Rudin explique ainsi que:

Efforts to interest natives in plantations and the production of colonial products were made by traders, not by planters. Traders showed a regard for their own interests in this respect as well as when they pictured the horrors of forced labor, the condition of work on plantations, and the death rate of plantation workers. Traders wanted natives allowed to remain at home, to have their own plantations, to be given seeds for this purpose by the Government, to be taught the arts of planting and processing products for trade. Traders wanted natives to produce food, of which the available supplies for caravans of carriers along bush paths were frequently inadequate. Traders were also long interested in getting the Duala people taught the art of planting, a good occupation to recommend to natives who had been for many years successful trading competitors by reason of the monopoly they had enjoyed19.

Les planteurs allemands justifient leur méfiance vis-à-vis des entrepreneurs agricoles Duala par l’incompétence des africains à gérer ce type d’activités20. Ils demandent même leur interdiction en faisant valoir entre autres, le risque de propagation des maladies. Ces arguments pointant l’inaptitude des africains dans la production d’exportation sera utilisé dans les mêmes termes par les planteurs français pour freiner, voir empêcher l’accès des Bamiléké à la culture du café arabica dans les années 1930. Les raisons de ces protestations sont à rechercher dans les difficultés d’accès à la main d’œuvre, qui malgré les nombreuses contraintes imposées par l’administration pour arriver à la mobiliser, reste insuffisante pour les planteurs. L’arrivée d’une nouvelle catégorie de planteurs est donc perçue comme une

19 Harry R Rudin, Germans in the Cameroons… op. cit., p.79.

concurrence, d’autant plus que ces élites duala ne rencontrent pratiquement pas de problème de main d’œuvre21

.

La réussite des Duala dans les cultures d’exportation dément de manière éloquente les préjugés portés par le pouvoir colonial allemand sur l’incapacité des africains à développer ces cultures. Il change donc de perspective et envisage la mise en œuvre d’une politique en faveur d’une production africaine de cultures de rente, appelée « volkskultur », permettant plus largement aux paysans africains d’avoir accès à cette activité et d’établir de petites exploitations familiales, sur les terres collectives avec l’emploi d’une main d’œuvre familiale. Le déclenchement de la Première Guerre en 1914 ne permet pas à cette politique de se déployer.

A la fin de la présence allemande au Cameroun, les Duala ont réussi leur investissement dans la production du cacao, ouvrant ainsi la voie à d’autres camerounais. Les autorités françaises ont été les témoins de cette réussite incontestables et s’en inspireront dans leur politique de promotion d’une agriculture familiale locale. Le chef de la circonscription de Douala décrivait ainsi l’ampleur pris par la culture du cacao dans le Moungo en quelques trois décennies, sans accompagnement des autorités publiques :

Les deux rives du Mungo ne sont qu’une vaste cacaoyère divisée en lots. Le cacaoyer est aussi très cultivé en bordure de la voie du chemin de fer du Nord, à partir de la station de M’banga vers Nkongsamba, sur les bords du Wuri et de ses affluents navigables en pirogues22.

Ils y ont établi 240 exploitations avec des superficies variant de moins d’un hectare à plus de 50 hectares. La majorité, 70% environ sont cependant de dimension modeste, en dessous de 5hectares et on en compte que 5 de plus de 50 hectares, propriétés des principaux chefs de clan. Le Prince Duala Manga Bell dispose par exemple d’une plantation couvrant 200 hectares23. Ces notables Duala gèrent leurs plantations de loin, ne s’y rendant qu’au moment des récoltes24. Toutes les tâches de production sont effectuées par des ouvriers agricoles, parmi lesquels se trouvent des migrants bamiléké. Eckert précise que la main d’œuvre des plantations duala était jusqu’en 1907 constituée en partie d’esclaves

21 Ralph A. Austen, "The Metarmophoses of Middlemen...”, op.cit., p. 17.

22 ANOM, AGEFOM/799 Circonscription de Douala, « Rapport en réponse à la circulaire n° 40 », 1924, p. 9. 23 Clarence-Smith, “Plantation versus Smallholder Production of Cocoa..” op. cit., p.212.

domestiques25. A la fin de la colonisation allemande, la production des planteurs locaux de cacao représente le 1/6eme de la production totale du pays26.

Après la crise de 1930, et la chute durable des cours du cacao, ces pionniers duala abandonnent leurs plantations, pour la plupart au profit de leurs anciens salariés agricoles bamiléké. Cette opportunité d’accès aux cultures d’exportation est encouragée par la nouvelle administration coloniale française installée après le départ des Allemands. Elle contribue à accélérer l’émigration bamiléké vers le Moungo, créant ainsi une brèche dans le système traditionnel de contrôle des cadets par les aînés. Ce phénomène s’observe également en pays béti avec le développement des exploitations familiales de cacao. En 1924, les producteurs Camerounais fournissent déjà la plus grande part du cacao produit au Cameroun sous administration française, soit près de 90% du cacao exporté contre 10% pour les plantations européennes27.

Le développement des plantations duala dans la vallée du Moungo peut être considéré comme le point de départ de la diffusion des cultures de rente au sein des populations du Territoire qui deviendra après la Première Guerre, le Cameroun sous administration française. Cependant, il ne s’agit pas encore de plantations paysannes. Celles-ci seront promues par l’administration française un peu plus tard. Les premières plantations duala sont constituées sur le mode capitaliste28, et n’emploient pas une main d’œuvre familiale. Elles font donc appel, autant que les plantations européennes, à une main d’œuvre salariée.

L’indisponibilité de la main d’œuvre est une difficulté majeure que doivent affronter tous les planteurs. Dès la colonisation allemande, des solutions diverses ont été expérimentées, allant de la contrainte à la constitution d’un salariat agricole stable qui ont des répercussions sur les sociétés locales, notamment dans la répartition du travail entre les sexes.

25 Andreas Eckert, "African Rural Entrepreneurs and Labor in the Cameroon Littoral", The Journal of African

History, vol.40, n°1, 1999, p. 109-126.

26 Harry R Rudin, Germans in the Cameroons… op. cit., p. 252.

27Rapport Annuel du Gouvernement français à la Société des Nations sur l’administration du Cameroun placé

sous mandat de la France (ci-après Rapport annuel), 1924, p. 103.

II.1 .3. Migrations forcées ou volontaires : la mobilisation de la main d’œuvre masculine

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