• Aucun résultat trouvé

Place de l’alimentation de rue dans les modèles alimentaires de la précarité

morphologiques et sociales

III. L’alimentation de rue au cœur de l’informalité urbaine en Indonésie

3. Place de l’alimentation de rue dans les modèles alimentaires de la précarité

Les contributions alimentaires de l’alimentation de rue ne se cantonnent pas aux populations pauvres mais les pratiques et les représentations qui lui sont associées varient selon les groupes socioéconomiques. Dans plusieurs villes africaines tous les groupes sociaux ont recours quotidiennement à l’alimentation de rue mais avec un poids budgétaire relatif et avec une grande variation des plats consommés, des occasions et des lieux (Malvy et al., 1998; Mensah et al., 2013; Van Riet et al., 2003). Au Ghana, le recours journalier à l’alimentation de

rue représente 85 % des budgets alimentaires des ménages pauvres et le 60 % de ceux des ménages plus aisés. Par ailleurs, le niveau d’éducation et le revenu ont une corrélation négative avec la consommation d’aliments vendus dans la rue tandis que le temps passé loin du domicile est corrélé positivement à ces consommations (Mensah et al., 2013). Le genre est un des facteurs déterminants du recours à l’alimentation de rue et plusieurs études s’accordent sur une prédominance masculine (Ayo et al., 2012; Steyn et al., 2014). D’autres études, cette fois en Asie, s’intéressant aux rapports entre pauvreté et obésité auprès des femmes habitant dans des

slums (où elles ont plus tendance que les hommes à être en surpoids ou obèses) ont trouvé que

celles-ci avaient davantage recours à l’alimentation de rue (Gaur, Keshri, et Joe, 2013; Yulia, Khusun, et Fahmida, 2016).

Fig. 2 — Déterminants des proportions de consommations journalières et sources de produits non- préparés au domicile pour différents groupes socioéconomiques (Van Riet et al., 2003)

À Nairobi, les consommations et les sources d’aliments non préparés au domicile sont déterminées par le sexe, le statut socioéconomique, l’emploi et la distance au travail (Fig. 2). Le recours à l’alimentation de rue est largement corrélé aux revenus du foyers et plus directement à la profession du chef de famille et à l’emploi de la femme (Van Riet et al., 2001). Dans les bidonvilles les aliments non préparés à la maison proviennent principalement de vendeurs de rue ; lorsque le niveau de vie s’améliore, les kiosques fixes deviennent progressivement les sources d’approvisionnement (Van Riet et al., 2003). La même tendance a été observée à New Delhi : l’alimentation de rue pourvoit la plupart des aliments préparés aux populations habitant dans des slums tandis que les restaurants de type fast-food correspondent aux pratiques des citadins les plus aisés (Aloia et al., 2013). Cette mutation de l’environnement alimentaire démontre les interrelations entre les pratiques des mangeurs et l’environnement. Dans ces modèles alimentaires, plus le foyer manque de ressources, plus l’alimentation de rue pèse sur son budget alimentaire (Tinker, 1999, 2003). Ce mode d’acquisition a ainsi plus tendance à amplifier les choix alimentaires et les réseaux sociaux qu’à les restreindre.

Les apports énergétiques de l’alimentation de rue sont considérables et diffèrent d’un pays à l’autre et d’un groupe à l’autre. Du point de vue qualitatif, l’alimentation de rue contribue considérablement aux apports en protéines parfois couvrant le 50 % des besoins. Or, l’alimentation de rue apporte d’importantes quantités de matières grasses et de glucides ce qui, en contrepoint, accentue son possible rôle dans le développement de maladies non transmissibles (Blair, 1999; Steyn et al., 2014; Yulia et al., 2016). Les travaux de Miriam Bertran au Mexique démontrent que l’augmentation des consommations alimentaires dans la rue est associée avec l’obésité à Mexico à cause de la teneur en matières grasses, sucres et sel de l’offre de la rue (Bertran, 2009). Une étude récente de l’Universitas Indonesia s’intéresse aux liens entre le type d’échoppe de vente alimentaire (warung37 ; vendeurs ambulants ;

marchés ; et warung makan38 ) et la charge énergétique des aliments en les inscrivant dans une

approche de l’espace alimentaire selon sont degré « obésogénéité » (Anggraini et al., 2016). Leurs résultats démontrent que les fréquences d’approvisionnement dans les warung traditionnels et modernes ainsi qu’auprès des vendeurs de rue étaient corrélées avec des consommations plus importantes de produits énergétiquement denses, généralement des fritures et des produits industrialisés. En contrepoids, la consommation de produits achetés dans la rue favorise un état nutritionnel marqué par les carences (Sekiyama et al., 2012).

Les études des apports alimentaires de l’alimentation de rue sont plutôt récentes. L’approvisionnement auprès de vendeurs de rue a été davantage appréhendé depuis la perspective de la sécurité sanitaire car les vendeurs de rue ont tendance à s’approvisionner dans les petits marchés, se procurant en général les invendus moins frais des marchés centraux (Brata, 2010; Pattiradjawane et al., 2013), et aussi parce que leurs pratiques de manipulation et de conservation des aliments sont inappropriées (Van Kampen et al., 1998; Vollaard et al., 2004). Par ailleurs, les dispositifs de vente ne sont souvent pas adaptés à la conservation des aliments ce qui les rend très vulnérables à la contamination et à la dégradation. À cause des difficultés de stockage et de maintien de la chaine de froid ils sont susceptibles d’avoir une charge bactérienne importante conduisant à des risques d’intoxication et d’infections alimentaires (Vollaard et al., 2004). De surcroit, les pratiques des vendeurs pour rallonger la vie de ces produits et dissimuler leur état implique parfois l’utilisation de produits non adaptés à l’alimentation humaine utilisés comme des conservateurs principalement (borax, formaldéhyde) ou utilisés pour augmenter les quantités de façon dissimulée comme des

37 Warung: «magasin», échoppes de vente..

morceaux de plastique, ainsi que des colorants interdits (Andarwulan et al., 2009 ; Van Kampen

et al., 1998).

Les imbrications entre les modes de vie dans l’informalité et l’alimentation de rue sont à la base de la compréhension des comportements alimentaires des citadins dans la précarité. Il convient maintenant de présenter le portrait nutritionnel afin d’établir les enjeux de santé publique que ces questions soulèvent dans le cas indonésien.

4. Alimentation et pauvreté à Jakarta : les défis

Outline

Documents relatifs