• Aucun résultat trouvé

Définitions et mesures des classes moyennes en Asie du Sud-Est (d’après Clément et Rougier, 2015)

kampung jakartanais

Encadré 2 Définitions et mesures des classes moyennes en Asie du Sud-Est (d’après Clément et Rougier, 2015)

La croissance des classes moyennes en Asie du Sud-Est a été peu analysée dans la littérature scientifique notamment à cause de la difficulté de sa caractérisation et de sa mesure. Dans un article publié en 2015, Matthieu Clément et Eric Rougier rendent compte des définitions et des mesures proposées par les économistes afin de comparer les classes moyennes à l’échelle mondiale (Clément et Rougier, 2015). Pour les économistes, les classes moyennes sont caractérisées par le revenu du ménage et définies comme le groupe qui se trouve au milieu de la distribution du revenu mais ces mesures ne sont pas homogènes. La fixation des seuils supérieur et inférieur connaît plusieurs définitions : soit le revenu médian, soit une approche en quintiles (les trois quintiles du milieu correspondant donc à la classe moyenne). D’autres approches visant les comparaisons internationales situent la borne des classes moyennes entre le seuil de pauvreté international (2$ PPA29 par jour et par personne), « la classe moyenne étant supposée commencer là où la pauvreté se termine ». Cependant, pour la Banque Asiatique du

Développement les populations dont le revenu se trouve entre 2$ et 4$ PPA sont considérées comme étant très vulnérables, alors le seuil inférieur se placerait plutôt à 10$ PPA. L’établissement de la borne supérieure du groupe à revenu moyen ne connaît pas de consensus allant de 10$ à 100$ (Birdsall, 2010 ; Kharas, 2010 ; Ravaillon, 2010, Banarjee et Duglo, 2008, cités par (Clément et Rougier, 2015). Suivant les différentes approches théoriques, la part de la classe moyenne en Indonésie en 2010 comprenait 54,7% de la population si on considère les groupes avec des revenus entre 2$ et 20$ ; et 1,7% si on considère une fourchette de revenus entre 10$ et 100$. Ces extrêmes ne permettent donc pas de rendre compte de la réalité d’une classe émergente. L’intervalle retenu par les auteurs se trouve entre 4$ et 20$ PPA car il exclut les populations les plus vulnérables et restreint le segment très supérieur. La classe moyenne indonésienne a eu selon ce critère un poids de 17% en 2010. Dans l’ensemble de la région du Sud-Est asiatique, la classe moyenne ainsi déterminée n’a cessé d’augmenter passant de 4,3% en 1990 à 37,1% en 2010 d’après la Banque Mondiale30. Ainsi, en dépit des débats de la mesure

de la classe moyenne, ces statistiques montrent que les revenus augmentent produisant une réduction de la pauvreté et la stabilisation d’une société de consommation même si les inégalités sociales se maintiennent (l’indice Gini de l’Indonésie marque 39,5 points en 2017).

La présence de ces grands complexes commerciaux est un des éléments marqueurs de la modernité des villes asiatiques. En Indonésie, même si cette classe moyenne peut se montrer hétérogène dans ses pratiques et modes de vie, les imaginaires collectifs et les représentations associées à ce statut sont assez homogènes et poussent les individus à se grouper socio- spatialement autour des services d’éducation et de santé, mais aussi de shopping et de loisirs (Roy et Ong, 2011; Seda et Setyawati, 2013; Simone et Fauzan, 2013b; Suryana, Ariani, et Lokollo, 2008). Ces phénomènes s’appuient sur de nouveaux réseaux d’informations et des médias sociaux. Les pratiques socioculturelles de l’émergence des classes moyennes indonésiennes ont été abordées par Mohammad Ansori à la suite du constat qu’elles étaient rarement approchées et que ces groupes avaient été principalement étudiés sous l’angle soit de leur participation politique, soit économique. Les formes de déclinaison de la modernisation et de l’occidentalisation dans la société de consommation indonésienne sont importées par les

29 Parité de pouvoir d’achat (en dollars).

médias de masse, la publicité et l’installation sur place de groupes économiques étrangers. La nouvelle culture de consommation indonésienne s’explique plus par les pratiques culturelles qui dépassent l’acte d’achat et qui sont très efficacement rendues visibles dans les pratiques alimentaires et notamment dans la fréquentation de certains lieux alimentaires (Ansori, 2009; Evers et Gerke, 1997).

Les ressources mises en place pour devenir classe moyenne sont cependant peu étudiées. Cela veut dire que les formes d’utilisation des ressources, des orientations et des investissements mises effectivement en place pour accéder à ce nouveau statut social (Simone et Fauzan, 2013b) manquent d’une approche qui rende compte des aspects plus relationnels des pratiques et des représentations des classes moyennes (Davis, 2004). Simone et Fauzan (2013b), s’intéressent particulièrement aux interrelations entre les ménages, les réseaux sociaux, les relations locales et la matérialité des environnements que les résidents mettent en valeur comme étant à la base de leur ascension sociale,

“Important indications persist that the consolidation of new capacities and livelihoods of an emergent middle class have relied upon a heterogeneous ‘wellspring’ of practices, work and everyday orientations. These continue to be concretely demonstrated in people’s decisions about where to live, how to work and with whom engage in their daily lives.”

L’individualisation et le décrochage des pratiques communautaires, traditionnellement ancrées au sein de la société indonésienne, conforment une caractéristique majeure du « devenir classe moyenne ». Les familles ayant quitté les kampung expriment la liberté de l’action en dehors des cadres communautaires. La caractérisation qualitative des formes de consommation des classes moyennes se concentre sur la capacité de développement d’une vision globalisée du monde et de progrès individuel au-delà des contextes locaux. Cette réalité a été largement identifiée dans d’autres villes du Sud Global, comme le note Ananya Roy dans le cas de l’Inde (Roy et Ong, 2011).

“For the emergent middle class, the new urban spaces represent a civic ideal of the good city, embodying the set of urban forms that is called “Global Indian”. Unsurprisingly, goals to realize such “world-city aspirations” have required the violent exclusion, even criminalization, of the poor in the urban–rural peripheries.” (Roy et Ong, 2011, p. 22)

Cette perspective individualisée est associée à la liberté de décision sans le souci des attentes sociales ou des éventuelles conséquences sur le collectif pour profiter des opportunités et des avantages acquis. Toutefois, les nouvelles classes moyennes sentent que leur capacité de « mettre ensemble » des ressources matérielles et sociales s’est atténuée, et aujourd’hui les ménages individualisés doivent trouver la façon de tenir dans des formats prédéterminés qui leurs sont étrangers (Simone et Fauzan, 2013b).

***

Jakarta est l’épicentre et la scène où se manifeste le projet socioéconomique de tout le pays. Elle est le produit d’un ensemble de coutumes, de cultures et d’attitudes. Son organisation spatiale est le résultat d’accords, de pratiques, d’usages et d’implantations sociaux. Comme un moteur aussi du développement urbain se trouvent les pratiques localisées et les économies d’ombre des populations souvent marginalisées qui produisent quotidiennement leur cadre de vie. Nous consacrerons la partie suivante à une élaboration théorique de caractérisation de

l’informalité urbaine et de ses dimensions sociales, économiques et spatiales.

II.

Le mode de vie de l’informalité urbaine : facettes économiques,

Outline

Documents relatifs