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Une perspective : croiser les approches historique et ethnographique

54 Cité par (Hudon et Hadi, 2010)

Encart 1 : La recherche d’information perçue comme une cueillette de baies

1.5 Une perspective : croiser les approches historique et ethnographique

En référence à l’ouvrage collectif Observer le travail (Arborio, Cohen, et al., 2008), cette sous- section entend souligner les perspectives ouvertes par le croisement de la démarche historique et de la démarche ethnographique dans une recherche menée sur le travail.

1.5.1 Historiciser le présent, chargé d’histoires et chercher à ethnographier le passé

Les travaux en sociologie du travail ont longtemps été orientés selon une approche organisa- tionnelle. La combinaison des approches historique et socio-ethnographique est relativement nouvelle ; elle permet notamment de recentrer l’analyse sur les pratiques. Il ne s’agit pas d’une analyse de l’organisation même du groupe, bien qu’elle soit considérée dans l’étude des struc- tures et des configurations concrètes de travail, ni même des règles elles-mêmes, qui ne sont cependant pas éludées dans l’analyse, dans la mesure où elles orientent les pratiques (Bourdieu,

1987), mais plutôt le sens qu’un individu donne à une action, à une pratique94.

L’histoire peut être mobilisée en tant que cadre d’une part : l’histoire du Groupe EDF et de sa structure intégrée de recherche et développement (la DER, aujourd’hui EDF-R&D), mais éga- lement une approche, une démarche heuristique : l’histoire des systèmes techniques et industriels, ou encore le rapport des sciences et des technologies avec la société – et vice-versa. L’approche historique, en tant qu’elle opère des allers et retours entre le présent et le passé, permet en outre de lire le passé à travers l’observation du présent. En portant une certaine at- tention à ces résonnances, elle peut être sollicitée dans l’explication des processus et des manières de faire.

L’approche historique invite à intégrer la notion de durée, à travailler sur des répétitions et des variations. C’est dans l’activité que s’incarnent les propriétés sociales des acteurs : il s’agit ainsi de chercher à les comprendre dans les situations de travail, de voir si – et comment, à travers des catégories sociales, telles que l’âge, la formation, l’ancienneté, la position – elles se manifestent dans les pratiques.

1.5.2 « Avant c’était simple, maintenant c’est compliqué »

Cette expression a souvent été entendue dans le discours de plusieurs acteurs au cours des ob- servations, des entretiens et des échanges informels. Elle révèle notamment la manière dont les générations plus avancées s’expriment et se positionnent sur leurs activités, l’organisation du travail ou réagissent sur un dispositif donné encadrant leurs pratiques. Le croisement des ap- proches historique et ethnographique invite à critiquer l’opposition traditionnelle entre le passé et le présent, l’avant et le maintenant, pour articuler le présent et le passé et souligner les con- tinuités (bien que la problématique soit toujours posée au présent). Elle fait ainsi ressortir des portées de significations différentes et fait émerger de nouvelles catégories d’analyse : quel est le présent de référence de l’acteur ? Comment ce dernier se représente-t-il sa mission ? En

DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE 125

effet, une même séquence peut s’inscrire dans plusieurs rythmes ; l’idée ici est de faire ressortir ces rythmes parallèles dans lesquels ces situations peuvent s’inscrire.

Le croisement des approches historique et socio-ethnographique nous invite également à consi- dérer la question des générations et l’agencement de ces dernières au travail (voir notamment le travail de Fournier (2008) sur les acteurs du nucléaire) : le besoin d’histoire se manifeste ainsi au moment de rendre compte de scènes complexes pour lesquelles on sent l’insuffisance des analyses trop immédiates. Ce besoin s’impose notamment « pour rendre compte du fait que les acteurs observés sont confrontés à des phénomènes historiques à travers les situations dans lesquelles ils sont en interaction. Ils ont en effet à décider de leur action au présent dans des situations qu’ils qualifient diversement, et le sens que chacun donne à la situation dans laquelle il agit varie en fonction de dimensions sur lesquelles pèse le cours de temps » (Fournier, 2008, p. 113). Il s’agit bien, pour reprendre ses termes, d’« une confrontation de présents décalés » : envisager plusieurs échelles et appréhender le temps comme pluriel. L’histoire, ou la « science des hommes dans le temps » (Bloch, 1997, p. 52), nous invite à prendre la mesure du poids du présent dans les questionnements et d’être attentif aux temporalités dans lesquelles sont pris les évènements, les actions, les acteurs étudiés. Le croisement de ces deux approches souligne ainsi la pluralité des temporalités, des rythmes et des échelles qui se manifesent dans les pra- tiques.

C’est l’une des caractéristiques de ce travail de recherche que d’avoir été constamment en con- tact avec le terrain, durant trois ans, permettant de mieux saisir les activités et les environnements de travail des acteurs, la culture de l’entreprise. Cette immersion dans le ter- rain nous a aussi permis de mieux comprendre les problématiques et les besoins informationnels des acteurs : comment l’entreprise et la hiérarchie les appréhendent et y répon- dent, et comment les acteurs s’y prennent, quelles pratiques déploient-ils pour les statisfaire. Cette immersion nous enjoint toutefois à exprimer quelque prudence dans l’analyse, car nous avons été confrontée à des domaines d’activités, qui ne se laissent pas facilement appréhender par des non-spécialistes. Tout au long de l’enquête, puis au cours de l’analyse des données et leur écriture, nous avons rencontré quelques limites à la compréhension des activités des ingé- nieurs-chercheurs – et des démarches de raisonnement associées, ces acteurs qui « font des

mathématiques appliquées poussées et développent des modèles et des systèmes complexes »95.

95 C’est ainsi que le directeur d’EDF-R&D Bernard Sahla s’adresse aux agents du site de Chatou, à l’occasion des vœux

2012, lorsqu’il évoque, très brièvement, le cœur de métier d’une partie des ingénieurs-chercheurs des départements du site.

CHAPITRE 3 126

2. É

TAPES DE L

ENQUÊTE

La perception initiale de notre travail pouvait se formuler ainsi : observer les pratiques informa- tionnelles des acteurs pour expérimenter une solution logicielle de gestion de l’information « en situation ». Une première idée d’approche et de mise en œuvre d’une démarche d’analyse

a été élaborée, puis, différents éléments96 nous ont conduit à adapter le déroulement de

l’enquête. Cette évolution nous a paru en elle-même intéressante à retracer pour notamment identifier comment, dans la pratique, on peut gérer une telle approche. Nous exposons dans cette première sous-section la vision initiale et les adaptations qu’elle a subies.

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