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Problématique et questions de recherche

1.4 Trouver un compromis entre une stabilité nécessaire et un besoin de dynamisme dans l’organisation des connaissances

1.4.4 L’analyse des pratiques informationnelles

À la suite des travaux de Courtright (2007) et de Ihadjadene et Chaudiron, (2009), nous dési-

gnons par la notion de pratiques informationnelles la manière dont l’ensemble des dispositifs37,

des sources informationnelles38 et des compétences cognitives et informationnelles sont effecti-

vement mobilisés dans les différentes situations de production, de traitement, de gestion, de recherche, d’accès et d’évaluation de l’information. Sans chercher à isoler ces situations, im- briquées les unes dans les autres, l’attention est ici portée sur les pratiques d’accès et de gestion des informations produites et utilisées en contexte professionnel. L’analyse des pratiques in- formationnelles, envisagées comme des pratiques sociales, permet de mieux comprendre les besoins informationnels et d’appréhender les logiques d’usages des dispositifs info- communicationnels (Couzinet, 2009). Cette démarche nous invite à porter une certaine atten- tion aux questions relatives à l’évaluation de l’information (Simonnot, 2007, 2008) et à la notion de pertinence (Arsenault, 2006).

Dans cette perspective, analyser les pratiques informationnelles, c’est étudier leur caractère situé, autrement dit, il s’agit de chercher à contextualiser l’information, ses usages, ses situa- tions de production, de recherche, de réception et d’utilisation. Nous proposons, dans ce travail, d’examiner les différentes composantes des environnements organisationnel, infrastructurel et informationnel, qui encadrent et soutiennent les activités professionnelles d’un groupe d’acteurs donné, et d’apprécier les modalités des formes d’adaptation conjoncturelle de ces derniers.

Cette étude vise, dans un premier temps, à identifier et comprendre les besoins informationnels des acteurs des terrains investigués, en considérant les contraintes cognitives et matérielles de leur environnement. Nous procéderons, dans un deuxième temps, à l’analyse de leurs pratiques informationnelles à partir de l’étude des contextes dans lesquels elles s’inscrivent ; puis nous chercherons, dans un troisième temps, à « répondre » aux besoins et aux problématiques de gestion et d’accès à l’information des acteurs enquêtés, à travers la proposition d’une démarche méthodologique et outillée. Le troisième niveau d’analyse de cette recherche a pour objectif d’accompagner le processus de conception d’une solution logicielle de gestion et d’accès aux connaissances.

37 La notion de dispositifs recouvre notamment les outils, logiciels, environnements de développement, de production, de

traitement et d’accès à l’information. Pour engager une réflexion sur la notion de dispositifs cf. Appel, Boulanger, et Massou (2010).

38 Nous considérons en premier lieu les contenus informationnels consignés sur des supports numériques. Pour engager et

développer une réflexion sur la notion de document numérique, les problématiques et les enjeux qu’elle soulève, nous renvoyons aux travaux développés par (Buckland, 1997; Lund et Skare, 2010; Pédauque, 2003, 2006).

CHAPITRE 1 64

2. P

ROBLÉMATIQUE

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction de ce chapitre, la problématique de l’accès à l’information produite et utilisée en contextes professionnels, ainsi que celle de son organisa- tion, sont sujettes à une évolution et une reformulation constante sous l’impulsion des changements technologiques, des approches et des modèles sociotechniques qu’ils portent d’une part, et des réorganisations des champs professionnels d’autre part. Les évolutions tech- nologiques, les changements des conditions, des modalités et des formes de production, de traitement, de stockage, de gestion, de partage et d’accès à des contenus informationnels tou- jours plus nombreux, nous incitent à reconsidérer les modèles conceptuels et les approches méthodologiques construits jusqu’à présent, et nous invitent à centrer l’analyse sur les pra- tiques informationnelles en contextes.

Cette approche, orientée sur l’acteur en contextes, soulève d’emblée deux questions :

• celle de la spécificité des pratiques informationnelles d’un champ professionnel ou d’une communauté donnés ;

• celle, plus transversale, des caractéristiques qui modèlent ou structurent, même de manière implicite, des logiques de pratiques et d’usages39. Aussi s’agit-il de comprendre qui sont les

usagers des contenus informationnels considérés, ce qu’ils en font, comment ils les produi- sent, les recherchent, les utilisent et les gèrent. Mais surtout, il s’agit d’analyser les articulations entre leurs activités professionnelles et leurs pratiques documentaires, entre leur culture professionnelle et leurs comportements informationnels.

L’objectif de cette recherche est de montrer comment et en quoi l’analyse des contextes au sein desquels s’inscrivent les pratiques informationnelles d’un groupe professionnel donné conduit à identifier et permet de faire émerger des dimensions pouvant servir de support à une démarche, ou à une évolution de démarches existantes, de gestion des connaissances (Grivel, 2011). Au- trement dit, nous cherchons à savoir si l’étude des différentes composantes des contextes dans lesquels s’inscrivent les activités d’un groupe professionnel donné, permet d’identifier des facettes pouvant servir de support à une démarche innovante de gestion documentaire. Nous explorons ainsi la piste de l’analyse des besoins et des pratiques informationnelles des acteurs considérés sous l’angle des contextes. Contribuant à un projet de conception d’une solution

logicielle de gestion de l’information40, cette recherche vise à traduire les résultats de l’analyse

empirique en un ensemble de recommandations pour accompagner le développement de la solution et assurer son paramétrage et son expérimentation en situation. On considère ainsi parallèlement les questions relatives aux conditions d’intégration et d’usages d’un tel outil porteur d’une approche participative nouvelle. Dans la présente recherche, cette démarche est construite et expérimentée à partir d’une étude empirique des pratiques informationnelles d’une équipe d’ingénieurs-chercheurs de la division Recherche et Développement (R&D) du Groupe EDF.

39 Ref : projet de L’invention du quotidien, Introduction (Certeau, Giard, et Mayol, 1990) ; cf. (Jouët, 2000)

40 SémioTag (avant Cogniva Europe), partenaire du projet ANR, travaille sur la conception et le développement de cette

solution. Cette étude a, entre autres, pour objectif de contribuer à la spécification fonctionnelle de la solution logicielle, pour ensuite l’évaluer en situation opérationnelle.

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3. Q

UESTIONS DE RECHERCHE

Davantage qu’un cadre, une structure, un environnement ou une situation, le contexte permet de prendre en compte un ensemble de facteurs de nature variée façonnant et déterminant, de manière différenciée, les pratiques informationnelles des individus. Bien qu’il existe un con- sensus sur le fait que le contexte constitue un cadre de référence pour l’étude des pratiques informationnelles (Courtright, 2007, p. 273; Vakkari et al., 1997), l’analyse des conditions d’existence de ce cadre nous conduit à interroger la manière dont celui-ci est établi pour et par les acteurs concernés. Cette étude cherche à comprendre, dans un premier temps, comment ce cadre opère dans l’analyse des pratiques informationnelles. Plusieurs questions de recherche émergent, et nous les avons rassemblées ici en trois ensembles :

[Q°1] : Quelles sont les caractéristiques des contextes et des situations dans lesquels

s’inscrivent les pratiques informationnelles des acteurs considérés ? Quels sont les disposi- tifs info-communicationnels qui encadrent et supportent leurs activités ? Quelles sont les sources informationnelles (produites, recherchées, reçues, partagées) des acteurs enquêtés ? • [Q°2] : Quels sont les besoins informationnels des ingénieurs ? Quelles sont les pratiques

informationnelles déployées par ces derniers pour y faire face et y répondre ?

[Q°3] : Quels sont les éléments ou les critères, issus des contextes de l’activité, susceptibles

d’être exploités dans une démarche de gestion participative de l’information ? L’approche de la classification à facettes permet-elle de répondre aux problématiques, aux enjeux et aux besoins de gestion et d’accès à l’information ? Comment cela peut-il concrètement se tra- duire en termes de fonctionnalités au sein d’une solution logicielle de gestion et d’accès à l’information ? Comment cette approche peut-elle se matérialiser en termes de nouvelles pratiques documentaires pour les acteurs considérés ? À quelles conditions pourrait-elle s’intégrer dans leur environnement informationnel de travail actuel ?

Quelques questions (et considérations) laissées en suspens :

Les dimensions de sécurité et de confidentialité, qui évoluent dans le temps – l’accessibilité se définit notamment en fonction des profils (ce qui correspond en général à la position de l’acteur dans l’organisation). Dès lors qu’on définit une structure d’index, il faut pouvoir dé- finir des critères qui permettent de satisfaire aux droits de l’entreprise.

La notion d’authentification : donner accès aux applications, à un environnement informa-

tionnel particulier, à une base de données par exemple ou un système de GED donné. L’authentification est la vérification d’une identité à travers la reconnaissance d’un identi- fiant lié à un mot de passe, associé à un profil – elle est intimement liée à l’attribution de rôles (composante modélisée au préalable) – et autorise l’acteur à entrer dans une application ou un environnement donnés. La notion de confidentialité (et donc d’authentification) consti- tue un aspect du contexte.

La problématique de la gestion des versions, qui soulève différents enjeux : qualifier objec-

tivement les versions, identifier subjectivement la « bonne » version, etc.

• C’est-à-dire distinguer les fichiers/documents les uns par rapport aux autres, les dater de fa- çon appropriée (chronologie des actions), qualifier leur statut dans la chaîne de production

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(auteur et nature de l’action opérée sur le document – à distinguer de la nature de l’action portée par le document), caractériser la relation avec les autres fichiers.

• Identifier la « bonne » version suppose qu’il y en aurait une « mauvaise », en premier lieu qu’il y a plusieurs versions, au moins deux ; et que la relation entre les différentes versions ne soit pas évidente (c’est-à-dire facilement visible et identifiable), du fait notamment d’un intitulé ambigu, que la mention de validation ne suffise pas à indiquer qu’il s’agisse de la dernière ou d’une intermédiaire, que la date de modification enregistrée par l’outil ne soit pas fiable, qu’elles aient une apparence similaire. Il y a deux idées : l’existence de plusieurs versions d’un même document (traduisant différents stades d’achèvement ou de validation, correspondant à une révision explicite, copies pour simplifier l’accès et l’utilisation dans plusieurs SI, etc.) ; le fait qu’une de ces versions soit « bonne » (et les autres « mau- vaises »). Il faut noter aussi l’existence de « doublons » (i.e. plusieurs exemplaires d’une même version) par exemple à plusieurs endroits de différents SI ; l’identification et l’éradication des doublons sont des opérations complexes et coûteuses en temps.

• La « bonne » version pour qui ? Il convient ici de distinguer la valeur d’usage (fiabilité de l’information pour le travail d’un acteur dans un contexte donné, le besoin de l’acteur au- quel ce dernier attend de ladite version une réponse (il y a des cas où l’information se trouve dans une version de travail préliminaire d’un document puis a été retirée de la ver- sion finale, par exemple pour simplifier le document produit), la prise en compte de la pluralité des acteurs et des contextes potentiels d’usages) de la valeur de responsabilité (no- tion d’authenticité : la « bonne » version a valeur d’authenticité, dans la mesure où elle prouve les faits, la conformité de l’action ; la version que l’entreprise ou le département doit archiver).

• Mais le qualificatif « bonne » attribué à la version d’un document varie relativement à une procédure (la bonne version présente les caractéristiques attendues conformément à des règles prédéfinies), à un contenu (l’information qu’elle contient est fiable pour un acteur qui peut en utiliser le contenu), à une action (l’information est authentique – auteur, expression, date – pour porter ou prouver une action qui engage une responsabilité : rendre compte ou justifier)41

Notion de référence :créer un dépôt, un endroit où se trouvent les documents de référence,

qui contient les « bons » documents. Toujours se référer à cette application/ organisation avant d’utiliser un document. Elle fait « foi », comme, par exemple, une base contenant les procédures applicables, toutes les autres étant erronées.

• Il peut être intéressant de voir l’évolution des versions, en particulier pour du code informa- tique qui évolue, se construit, petit à petit. Voir son évolution peut aider à sa compréhension.

La question de la suppression des documents obsolètes : voir notamment réflexions dévelop-

pées par (Habert, 2010), saturation de la mémoire.

L’historisation des contextes : l’élaboration d’un document se rapporte à un contexte donné, ses

utilisations également. L’idée serait de conserver ces méta-informations associées au document pour en enrichir son interprétation et pouvoir le retrouver par la suite. Mais alors il apparaît néces- saire de bien caractériser un contexte qu’un acteur n’aura pas connu (règlement ou référentiel en

41 Cf. Chabin 2010 : « Variations sur la version : un sujet de diplomatique numérique », Conférence-midi de l’EBSI,

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vigueur dans les années 1980, par exemple). Mais cela semble techniquement et pratiquement lourd à porter et à gérer, notamment si l’on considère l’existant (volume de documents très impor- tant) : comment, pour un document existant, reconstituer l’environnement organisationnel dans lequel il a été émis ? Qui en a la mémoire et la capacité à le reconstruire ? Si à peu près personne ne le peut, est-ce utile, puisque personne sans doute ne l’utilisera ?

• Enjeu lié à la question 3 : Faut-il mettre en œuvre les solutions de manière coercitive, à sa-

voir forcer les acteurs à associer des métadonnées aux documents qu’ils produisent et manipulent ? Cela entraîne un risque certain de travail supplémentaire et de surcharge cognitive,

afin de voir quelles métadonnées peuvent s’avérer utiles. Les acteurs ne semblent pas prêts à prendre le temps, à s’investir dans ces opérations de traitement documentaire, auxquelles ils n’ont pas été formés : il faudrait qu’ils y voient un intérêt et un résultat direct. Cet aspect va au- delà d’une démarche de sensibilisation, de formation et d’accompagnement au changement, de toute façon nécessaire si l’on s’engage dans cette voie-là. On prendrait alors le risque qu’ils asso- cient n’importe quelle métadonnée, car il s’agit d’un processus lourd ; cela aurait pour conséquence d’alourdir le système avec de « mauvaises » informations, difficiles par la suite à nettoyer.

« On a tendance à court-circuiter le processus pour être plus tranquille et répondre aux exigences du système, des indicateurs » (Extrait d’un entretien).

Notons inversement que l’indexation des documents confiée à des personnes tierces, garantissant supposément une meilleure harmonie, apparaît contraire à l’approche ici développée. L’entreprise vit et évolue ; l’architecture des informations reste quant à elle rigide. Quand elle est trop sophistiquée, il est alors d’autant plus difficile de gérer la vie des documents en fonction des évolutions organisationnelles et autres de l’entreprise. Le système s’adapte difficilement – en ré- sonance avec les contraintes techniques (modèle de données etc.)

« Quand c’est trop compliqué, personne ne suit la procédure. On la contourne pour faire au plus court. Personne n’a envie de s’embêter ! » : extrait d’un entretien ICH.18.

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