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54 Cité par (Hudon et Hadi, 2010)

Encart 1 : La recherche d’information perçue comme une cueillette de baies

1.2 Une démarche qualitative

La démarche qualitative vise l’étude de phénomènes dans leur environnement en fonction du sens donné par les acteurs. Elle se veut interprétative et socialement située dans des réalités qu’elle cherche à comprendre. Cette recherche s’inscrit ainsi dans un cadre interprétatif de nature constructiviste (Alami, Desjeux, et Garabuau-Moussaoui, 2009, p. 13), qui implique la prise en compte des réalités du chercheur et des acteurs enquêtés. Ce cadre engage ainsi la confrontation de plusieurs subjectivités dans la compréhension du phénomène étudié – ici les pratiques informationnelles en contextes : on demande à l’individu d’objectiver ses pratiques, de mettre des mots sur ses activités de recherche d’information, d’expliciter sa perception d’un dispositif donné, d’expliciter une tactique de classement des documents qu’il produit et a pro- duits, qu’il récupère et dont il est ou a été destinataire, etc.

90 Cette distinction entre observations diffuses et observations analytiques, que nous soulignons dans cette parenthèse, est

proposée par Chapoulie (2000, p.6) et renvoie à deux types d’usages de l’observation. Ce point est détaillé dans la section 3.3, qui traite notamment des modalités de recueil de données.

CHAPITRE 3 120

1.2.1 Les spécificités de l’approche qualitative

L’enquête qualitative permet d’apprécier plus finement les écarts entre ce que disent, ce que pensent et ce que font les acteurs, d’appréhender plus sensiblement les contextes de leurs acti- vités, d’analyser leurs usages des dispositifs info-communicationnels, de comprendre leurs besoins informationnels et leurs manières d’y répondre. Cette recherche contribue à deux pro- jets, dont un objectif est d’acquérir une meilleure appréciation de l’environnement et des pratiques informationnelles d’un groupe d’acteurs donné, afin d’introduire quelques modifica- tion des services de gestion documentaire existants. Introduire une nouvelle approche de la gestion des ressources informationnelles et documentaires et repenser la conception d’un mo- teur de recherche appliqué à l’ensemble des bases de données rassemblant des informations relatives au « retour d’expérience ».

En inscrivant la démarche de recherche dans une approche qualitative, l’objectif est de faire apparaître des dimensions qui ne sont pas directement visibles par le biais d’approches quanti-

tatives91 : la diversité des pratiques informationnelles, ou la diversité des mécanismes

stratégiques déployés par les acteurs pour chercher de l’information au sein d’un dispositif info-communicationnel et celle des logiques qui président à l’organisation des documents pro- duits, reçus et utilisés dans le cadre de leurs activités, ou encore les dynamiques entre les acteurs dans l’espace professionnel et informationnel. Cette approche fait apparaître des jeux, des ambivalences, des dynamiques. Elle met l’accent sur la diversité des occurrences que re- couvre un fait. Une des forces de l’approche qualitative réside dans le fait qu’elle permet de rentrer dans les détails des pratiques. En combinant observations et entretiens, elle permet aussi d’aller au delà des déclaractions, pour voir concrètement ce que les acteurs font. Elle permet de recueillir des éléments sur les perceptions et les modes de raisonnement élaborés par les ac- teurs. C’est en cela qu’elle est beaucoup plus adaptée, et même plus heuristique, qu’une enquête par questionnaire, afin de comprendre les pratiques informationnelles.

Les échelles d’observation. Les approches qualitatives en sciences sociales se sont dévelop-

pées parallèlement aux approches quantitatives, en privilégiant un autre point de vue sur les faits sociaux et d’autres échelles d’observation. Alors que les approches quantitatives sont sou-

vent fondées sur des enquêtes statistiques macro- ou méso-sociales92, les approches qualitatives

privilégient l’analyse des mécanismes sous-jacents aux pratiques, et l’interprétation que les acteurs font de leurs propres pratiques. Elles appréhendent ainsi l’échelle méso-sociale (celle des organisations) et l’échelle micro-sociale (celle du quotidien au travail).

Une des spécificités de l’approche qualitative réside donc dans l’échelle d’observation – la préciser permet d’apprécier la nature des résultats obtenus (qu’elle produit) et leur validité. Notre pratique de recherche nous a conduit à travailler à l’échelle micro-sociale, celle des ac- teurs en interactions, analysées dans le cadre d’un système d’action professionnel concret (Crozier et Friedberg, 1997), mais également à l’échelle individuelle, pour appréhender les

91 Par exemple les études statistiques à partir du recueil des requêtes ou les enquêtes par questionnaires. Plus générale-

ment, cf. (Patton, 2002).

92 Pour autant, il convient de souligner que les approches quantitatives ne se cantonnent pas à une échelle d’observation

macro-sociale : dans le domaine de la psychologie cognitive par exemple, il existe des méthodes statistiques expérimen- tales qui se situent à une échelle micro-sociale – approche qui se développe dès les années 1920 avec Piaget.

DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE 121

critères d’organisation des documents produits et exploités par les acteurs sur leur poste de travail, ou encore les activités de recherche d’information à partir d’un dispositif donné. Toutefois, certaines données utilisées pour l’analyse sont macro-sociales : elles nous ont le plus souvent servi pour appréhender le terrain de l’étude et pour formuler nos hypothèses : par exemple, l’âge et l’ancienneté des ingénieurs-chercheurs influencent-ils leurs pratiques infor- mationnelles ? Cela nous a par exemple servi de critère pour la constitution d’un échantillon « raisonné » sur lequel notre enquête a porté.

Macro-sociale

Méso-sociale

Micro-sociale

Individuelle

Échelle du Groupe EDF

Échelle de l'organisation et des systèmes d'action : la Direction R&D, le Dpt STEP

Échelle du petit groupe : l'équipe P1B, les compétences

Échelle individuelle : l'acteur => l'ingénieur-chercheur

Figure 8 : Les échelles d’observation – à partir de Desjeux (2004)

En mettant l’accent sur la diversité et en montrant l’existence de différentes représentations, d’ambivalences, d’incertitudes, l’approche qualitative permet d’identifier des éléments en marge mais néanmoins décisifs en termes opérationnels et stratégiques, que les résultats obte- nus à partir d’une approche quantitative, ont tendance à gommer. De même l’approche qualitative, en montrant les conditions de production de ses données et les complexités du ter- rain, n’est pas dans la simplification, on cherche à comprendre le « ça dépend… ».

1.2.2 L’acception de l’approche qualitative sur le terrain

Le recours à l’approche qualitative ne va pas de soi (Alami et al., 2009, p. 20 ; Miles et Hu- berman, 2003, p. 12). Elle peut susciter autant l’intérêt que l’hostilité, notamment dans certains environnements professionnels dominés par une culture quantitative. Si les résultats issus d’une approche qualitative peuvent présenter des éléments intéressants pour compléter l’explication et l’argumentation de résultats chiffrés, ils apparaissent, pour certains, ne pas se suffire à eux- mêmes. L’intérêt du recours à une approche qualitative est appelé, le plus souvent, à être réitéré et justifié.

Une connaissance scientifique est en effet socialement pertinente en fonction de la réception qui peut en être faite, notamment en interne, par l’entreprise commanditaire : cette réception varie selon la position du commanditaire au sein de sa structure, mais également en fonction des objectifs des projets que ce dernier porte, qui sont amenés à varier dans le temps (d’autant plus qu’un travail de recherche doctoral s’étend sur une période de trois ans).

CHAPITRE 3 122

Comme nous l’avons implicitement évoqué dans l’introduction de cette recherche, la diffusion de l’intérêt pour les approches qualitatives correspond aux dynamiques d’innovation par

l’usage, observées dans le champ au sein duquel s’inscrit la recherche : l’évolution des TIC et

l’interdisciplinarité des projets d’EDF-R&D et du projet ANR MIIPA-Doc. Pour qu’une nou- velle approche (une invention, une nouveauté par rapport à une habitude) devienne une innovation, c’est-à-dire qu’elle soit adoptée dans un univers professionnel et par l’acteur au quotidien, il faut un temps long (Alter, 2002), c’est-à-dire plus long que celui des projets. Pour contribuer à sa diffusion il faut également que l’approche soit relayée, portée par d’autres ac- teurs (innovateurs et passeurs puis décideurs), qui contribuent à l’institutionnaliser. Cette diffusion est également déterminée par des effets de situation et des effets de communication, qui permettent une appropriation sociale (la seule réponse méthodologique ou la proposition d’une démarche d’analyse techniquement acceptable ne suffit pas). C’est ainsi que toute dé- marche méthodologique – qu’elle soit ici qualitative ou quantitative – n’est jamais indépendante de son contexte social de production, d’usage et de réception : sa pertinence est en effet relative au point de vue choisi (et explicité) par le chercheur (nous-même).

Mobilisée dans le cadre d’un questionnement spécifique – quels sont les facteurs contextuels qui influencent et modèlent les pratiques informationnelles des ingénieurs-chercheurs ? Com- ment peut-on traduire ces facteurs en critères permettant d’améliorer la gestion documentaire et l’activité de recherche d’information ? – la réception d’une recherche produisant des résultats issus d’une méthode qualitative dépend du jeu social dans lequel elle s’insère ou devra s’insérer (Latour et Woolgar, 2008).

1.3 Enquêter sur les pratiques informationnelles : une démarche induc-

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