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Chapitre 2. Différends relatifs à l'investissement : l’arbitrage investisseur-Etat (CIRDI)

A) Les personnes physiques

S’agissant de la catégorie des personnes physiques, la question principale est celle de savoir si une personne physique est couverte par un accord. Cela est déterminé par les liens que cette personne entretient avec l’État partie à l’accord. En règle générale, il s’agit d’un lien de nationalité, mais d’autres liens comme la résidence permanente, le domicile, la résidence ou une combinaison de certains de ces critèrs, sont également utilisés. S’agissant des critères de

190NIKIEMA Suzy H., "Bonnes Pratiques :Définition de l’investisseur", 'Institut international du développement durable, mars 2012, disponible sur: http://www.iisd.org/pdf/2012/best_practices_definition_of_investor_fr.pdf. p. 1. 191Le TBI entre les Pays-Bas et le Panama, article 1(b).

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détermination de la nationalité des personnes physiques, les TBI renvoient généralement la vérification de la nationalité des investisseurs-personnes physiques au droit national de chaque État contractant. Ainsi, l’article 1.2.a du TBI Burkina –Tchad (2001) désigne par investisseur : « Les personnes physiques qui, selon la loi des deux Parties contractantes, sont considérées comme leurs citoyens ».

La nationalité est le plus souvent utilisée pour établir un lien significatif entre les parties contractantes à l'accord d'investissement et les investisseurs visés.192 Dans la plupart des TBI, toute personne physique ayant la nationalité d'une des parties contractantes est qualifiée d’«investisseur», et peut donc bénéficier de ses disciplines.

Certains États, comme le Canada, ou les États-Unis, étendent, la protection de leurs TBI, à leurs résidents permanents pour être en conformité avec la législation locale relative à l’immigration. C’est le cas de l’article 1.g.i. du TBI Canada – Équateur (1996) qui prévoit que, dans le cas du Canada, un investisseur est « une personne physique qui, selon les lois canadiennes, est un citoyen ou un résident permanent du Canada ».

Certains accords étendent ainsi leur couverture au-delà des ressortissants pour couvrir des personnes physiques domiciliées sur le territoire de l'une des parties. L'association européenne de libre-échange (AELE) - Singapour accords de libre-échange (ALE) par exemple, définit les « investisseurs d'un parti », comme, entre autres, « une personne physique ayant la nationalité de ce parti ou ayant le droit de résidence permanente de ce parti en conformité avec ses lois applicables ».193

Peu d’accords abordent la question des personnes physiques ayant la double nationalité. La majorité des TBI, notamment ceux signés avant le début des années 2000, sont « silencieux » quant au cas des doubles nationalités. Les TBI canadiens excluent de leur champ d'application les personnes qui, étant couvertes à titre d’investisseurs de l'autre partie ( le pays d'origine de l'investissement) possèdent également la nationalité du pays d'accueil. 194 D'autres accords résolvent le problème en ne considérant que l'une des nationalités de l'investisseur, généralement la nationalité la plus fréquemment utilisée par la personne, aussi identifée comme « nationalité

192NELSON Timothy G., " Passport, S'il Vous Plaît?: Investment Treaty Protection and the Individual Investor's Citizenship", Suffolk Transnational Law Review, Vol. 32, n° 2, 2009, pp. 451-474.

193Accords de libre-échange (AELE) – Singapour, article 37(d), and voir UNCTAD, scope and définition, 1999, pp.35-37.

194Voir le Modèle canadien 2004 de l'Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE), article 1.

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effective195 ». Toutefois, en l'absence d'une clause spécifique sur la question, certains tribunaux arbitraux ont permis à la personne d'être couverte par l'accord si cette personne était ressortissante de l'une des parties contractantes.

La nationalité d'un individu est déterminée principalement par la loi du pays (dont la nationalité est en cause). Un certificat de nationalité, délivré par les autorités compétentes d'un État, est une preuve fondamentale de l'existence de la nationalité de l'État, elle ne constitue cependant pas nécessairement un instrument concluant.

Dans l’affaire Soufraki c. Emirates Arabes Unis196, la demanderesse avait produit plusieurs certificats de nationalité italienne. Le tribunal concerné a conclu que l'acquisition d'une nationalité canadienne avait entraîné la perte de la nationalité italienne et que le tribunal n'avait, en conséquence, pas besoin de se prononcer sur la nationalité effective de la demanderesse. Il en a conclu que M. Soufraki ne pouvait se prévaloir de l'API Italie-Emirats Arabes Unis. De plus, la compétence du CIRDI était sans objet dès lors que le Canada ne faisait pas partie de la Convention CIRDI. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal a estimé que les certificats de nationalité émis par les autorités de l’Etat concerné ne constituaient qu’une preuve prima facie de la nationalité de l’intéressé et que c’est au tribunal arbitral qu’il appartenait d’apprécier la nationalité de l’investisseur. Il a estimé par ailleurs que M. Soufraki pouvait très bien ne pas avoir eu conscience d’avoir perdu sa nationalité italienne par l’effet de la loi197.

La Convention du CIRDI s’appuie également sur l’élément de nationalité de la personne, en tant que lien entre l'investisseur et la partie contractante. Afin d'assurer que le mécanisme relève bien des investisseurs nationaux, la convention exclut de la compétence du CIRDI des personnes physiques ayant la nationalité de l'État défendeur (article 25 (2) (a).

En signant un TBI, un État entendait-il se soumettre aussi à l’arbitrage international avec ses propres nationaux ou avec les nationaux de pays non-partie au traité ? En principe, la réponse est négative. Elle peut toutefois dépendre, à la fois, de la définition de l’investisseur protégé dans le TBI et des règles de compétence propres au tribunal arbitral constitué. C’est le cas par exemple du CIRDI ouvert aux investisseurs ayant la nationalité d’un État signataire, à condition qu’ils n’aient pas la nationalité de l’État d’accueil contre lequel la plainte est introduite (article 25.2.a

195Le modèle américain de TBI adopte cette solution, indiquant qu' « une personne physique qui a une double nationalité sera réputée être exclusivement un ressortissant de sa dominent et efficace nationalité", (modèle américain de traité bilatéral d'investissement de 2004, article 1).

196Soufraki c. Emirates Arabes Unis, (affaire CIRDI n° ARB/02/7), sentence du 7 juillet 2004.

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de la Convention CIRDI). La seule exception permise par ce centre d’arbitrage concerne la situation dans laquelle un investisseur étranger a dû créer une société de droit local qu’il contrôle pour réaliser son investissement. Dans ce cas, l’article 25.2.b de la Convention CIRDI prévoit que les États peuvent expressément accepter de considérer cette société locale comme étrangère198.

De même, si l’investisseur est « le national » à la fois d’un État contractant et d’un État non contractant, la condition de nationalité est en principe remplie. Une difficulté peut apparaître dans le cas où la nationalité de l’État non contractant est la nationalité effective alors que celle de l’État contractant ne le serait pas.

Afin de résoudre le conflit potentiel en cas de double nationalité, certains TBI insèrent désormais une clause spécifique sur la question. C’est le cas de l’article 1 du TBI États-Unis – Uruguay (2005) :

« Investisseur d’une Partie signifie (…), un national (…) d’une Partie (…) ; à condition toutefois qu’une personne physique qui est un double national sera considérée exclusivement comme le national de l’État de sa nationalité dominante et effective ».

La solution ici signifie qu’en cas de double nationalité, l’investisseur ne pourra invoquer utilement que sa nationalité effective, dans le cadre d’un arbitrage international en vertu du TBI. La nationalité effective peut être définie comme la nationalité du pays dans lequel un individu a soit sa résidence habituelle et principale, soit le pays avec lequel, selon les circonstances, il a des liens de fait étroits comme le comportement, la langue, etc.199 . Une vérification plus poussée de l’effectivité de la nationalité invoquée par le binational est à la fois conforme à l’esprit de la convention de Washington et aux règles classiques du droit international, vers lesquels le silence de celle-ci à se tourner200. Telle fut la démarche suivie dans le cadre de l’affaire Eudoro A. Olguin c/ Paraguay201. Le tribunal avait choisi, pour sa décision, de ne pas prendre en considération la disposition de la loi péruvienne prévoyant qu’en cas de double nationalité le domicile du binational devait être pris en considération, pour déterminer la capacité de ce dernier à exercer certains droits prévus par la législation péruvienne202. Le critère de la nationalité effective est utilisé en droit international général, en matière de protection diplomatique lorsque

198Ce qu’ils font généralement dans leur TBI par le biais du critère du contrôle et uniquement pour les sociétés. 199Voir, Convention de La Haye du 12 avril 1930 relative aux conflits de lois sur la nationalité, article 5.

200COMBACAU Jean et SUR Serge , « Droit international public », 4e éd., Paris, Montchrestien, 1999, pp. 324 et s. 201Eudoro A. Olguin c/ Paraguay, (affaire CIRDI n° ARB/98/5), décision sur la compétence du 8 août 2000.

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l’individu qui bénéficie de la protection diplomatique de son État a également la nationalité de l’État contre lequel la plainte est introduite203. Les traités applicables ainsi que la pratique arbitrale sur la protection des investisseurs ont développé, d'une manière distincte à plusieurs égards, des principes régissant la protection diplomatique.

Pour tous les cas relevant de sa compétence, le CIRDI est tenu de donner effet à la nationalité octroyée par un État (du moment qu’elle l’a été dune manière non contraire au droit international), indépendamment de son affectivité. C’est la solution clairement adoptée par la jurisprudence des tribunaux constitués dans le cadre du CIRDI, qui, prenant acte du fait que le droit international général n’a pas intégré la condition d’effectivité (quand une seule nationalité est en jeu ou quand plusieurs le sont à l’exclusion de l’Etat défendeur) en déduisent que cette solution doit également prévaloir dans le contexte particulier du contentieux des investissements204.