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Chapitre 2. Différends relatifs à l'investissement : l’arbitrage investisseur-Etat (CIRDI)

B) Les personnes morales

1. Les types d'entités juridiques

203Affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), CIJ, jugement du 18 novembre 1953; Rapports CIJ, 1955, pp. 4- 65; V. aussi, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), CIJ, Jugement, 24 July 1964, Rapports CIJ, 1970, pp. 3-357.

204FORTEAU Mathias, « Nationalité des investisseurs personnes physiques et nationalité des investisseurs personnes morales, actionnaires (minoritaires) », in Charles Leben (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, p. 182.

205Par exemple, Convention de Washington , article 25(2)(b), et Convention de Séoul , article 13. a-ii, b, c .

206FORTEAU Mathias, « Nationalité des investisseurs personnes physiques et nationalité des investisseurs personnes morales, actionnaires (minoritaires) », op. cit., p. 186.

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En principe, la nationalité suppose normalement une personnalité légale. Par conséquent, les entités et groupements non constitués en société ne bénéficieront pas d'une protection juridique, même si un traité peut en disposer autrement. Quels types d'entités juridiques peuvent être considérés comme «investisseurs» selon les termes du traité ? Le texte de la Convention de Washington ne précise pas les entités correspondant au qualificatif de personnes morales. Les divergences entre les définitions et l’étendue de ce concept d’un pays à l’autre ont rendu impossible, à nouveau, un accord pour une définition unitaire207.

La catégorie « personnes morales » peut-elle être définie de façon à inclure ou à exclure plusieurs types d’entités ? Les entités peuvent être exclues sur la base de leur forme juridique, de leur objectif ou de la propriété du capital208. Les différences de forme légale d’une entité peuvent être importantes pour un pays d’accueil, ce, dans diverses circonstances. La forme juridique adoptée par l’entité détermine, entre autres, quels actifs peuvent être atteints par les créanciers ou dans quelle mesure une personne morale peut être légalement poursuivie, selon ses propres mérites. L'exclusion fondée sur l’objectif de l'investisseur peut s’appliquer aux entités qui ne fonctionnent pas dans un but lucratif. Par exemple, seule une personne morale, qu’elle relève ou non d’intérêts privés, opère sur une base commerciale, peut être admise au bénéfice des garanties prévues par la Convention portant création de l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI)209 . Les auteurs d’accords peuvent également examiner s’il y a lieu ou non de couvrir les entités qui n’ont pas un but lucratif (établissements d’enseignement, associations caritatives, etc.). Le TBI Mexique/Singapour (2009), ainsi que de nombreux autres, couvrent les organisations sans but lucratif210.

Les types d’activités auxquelles une entité sans but lucratif se livre peuvent produire des formes souhaitables d’investissement, telles qu’un centre de recherches ou un hôpital. De plus, les entités sans but lucratif acquièrent souvent des parts d’entreprises commerciales afin de percevoir des recettes en appui à leurs activités (caritatives ou éducatives).

Le fait qu'une entreprise appartienne à l'État plutôt que d'être privée peut aussi constituer le motif pour être exclue des avantages d'une convention d'investissement.211 Certains TBI excluent

207DELAUME Georges-René, « La Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autre Etat », JDI, 1966, p. 33.

208CNUCED, Portée et Définitions, Collection de la CNUCED consacrée aux problèmes relatifs aux accords internationaux d’investissement II, New York et Genève, 2011, p. 15.

209Convention portant création de l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI), article 13(a)(iii). 210L’article 1 du TBI Mexique/Singapour (2009), paras . 2 et 8.

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spécifiquement de leur portée les organismes publics chargés d’une mission de souveraineté212. Ainsi, un pays d’accueil peut exclure de la catégorie des investisseurs couverts certaines entités publiques telles que, des fonds souverains, ou des entités qui, du fait de limites légales en matière de responsabilité ou d’assignation en justice, sont déchargées de toute responsabilité financière, au titre des préjudices qu’elles pourraient causer. Nombre d’AII mentionnent en effet expressément les entités publiques. L’exemple le plus parlant se trouve dans l’ABI conclu par l’Arabie Saoudite qui inclut dans sa définition de l’investisseur :

« Le Gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite et ses institutions et autorités financières telles que l’Agence monétaire d’Arabie saoudite, les fonds publics et d’autres institutions publiques analogues existant en Arabie saoudite213».

En pratique, cependant, la plupart des accords d'investissement prévoient une, large couverture, aux investisseurs comme les entités juridiques. Les définitions habituelles « d'investisseur » comme personne morale englobent tous les types d'entités juridiques, indépendamment de la forme juridique adoptée, que l’entité soit ou non à but lucratif ou qu’elle relève d'une propriété privée. À cet égard, le « modèle » américain de 2004 en matière de TBI est caractéritique. Il n’introduit aucune différence quant à la forme juridique revêtue par « l’entité » - le modèle américain se réfère ici à « l’entreprise »- ou quant à sa possession ou son contrôle privé ou public214.

Ces définitions larges couvrent aussi les succursales et les bureaux de représentation des sociétés d'États tiers qui sont situés sur le territoire de l'une des parties. Certains accords d'investissement précisent en outre que le terme «investisseur» englobe les succursales de personnes morales215, cependant d’autres excluent expressément de leur portée ces succursales et bureaux de représentation.

En l’absence de définition conventionnelle, il y a renvoi au droit de l’Etat dont l’entité revendique la nationalité216. La sentence concluant à l’incompétence du CIRDI, rendue dans l’affaire Mihaly Corp. c. Sri Lanka est révélatrice à cet égard. Pour relever l’absence de

212CARREAU Dominique, « Investissement », Répertoire de droit International Dalloz, août 2008, para. 89. 213L’article 1 du TBI Malaisie/Arabie saoudite (2000), para. 3.

214CARREAU Dominique, « Investissement », Répertoire de droit International Dalloz, août 2008, para. 91. 215Par exemple, les alinéas j et t de l’article 1 du TBI Canada/Jordanie 2009 .

216KOVARRobert, La competence du Centre International pour le reglement des differends relatifs aux investissements, in lnvestissements Etrangers et Arbitrage entre Etats et Personnes Privees: La Convention B.I.R.D. du 18 Mars 1965, colloque SFDI de Dijon, 1968, Centre de Recherche sur le Droit des Marches et des Investissements Internationaux de la Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Dijon , Paris, Pedone,1969, p. 44.

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personnalité juridique de partnership qui aurait été créé entre la demanderesse et une société canadienne, le tribunal arbitral a implicitementfait application des législations internes qu’il venait pourtant d’écarter dans sa démarche de vérification da sa proprecompétence217.

Ainsi, les tribunaux arbitraux vérifient au regard de ce seul ordre juridique si l’entité a pu légalement acquérir une personnalité juridique218 et si elle la possède encore219.