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Chapitre 2. Différends relatifs à l'investissement : l’arbitrage investisseur-Etat (CIRDI)

A) Définition de la notion juridique d’investissement dans les Accords de protection

international

En règle générale, les Traités de protection des investissements adoptent une définition large de l'investissement. Elle se réfère à «tout type d'actif», ce qui inuit que toute valeur économique (des biens ou des droits), est couverte par l'accord. Cette définition prend en compte non seulement le capital (ou les ressources) qui a franchi les frontières en vue de la création d’une entreprise ou de l’acquisition du contrôle d’une entreprise existante mais également la majorité des autres types d’actifs de l’entreprise ou de l’investisseur. Il s’agit ici des biens et divers droits de propriété, des investissements sans participation au capital, notamment plusieurs types de prêts et d’opérations de portefeuille, ainsi que d’autres droits contractuels, notamment, voire, des droits créés par voie administrative par l’État d’accueil (autorisations, permis, etc.).

Cette définition est très souvent retenue par les TBI266. C’est ainsi que le TBI entre le Maroc et l’Italie, invoqué dans l’affaire Salini contre Maroc267, dispose, en son article 1er :

263Dans le projet de Convention de l’OCDE sur la protection des biens étrangers, 1962.

264CNUCED, Portée et Définitions, Collection de la CNUCED consacrée aux problèmes relatifs aux accords internationaux d’investissement II, New York et Genève, 2011, pp. 21 et 22.

265MANCIAUXSébastien, « Investissements étrangers et arbitrage entre Etats et ressortissants d’autres Etats : Trente années d’activité du CIRDI», Paris, Lites, 2004, p. 43.

266CNUCED, Portée et Définitions, Collection de la CNUCED consacrée aux problèmes relatifs aux accords internationaux d’investissement II, New York et Genève, 2011, p.22.

267 Salini c/ Maroc, (affaire CIRDI n° ARB/00/4), décision sur la compétence du 23 juillet 2001; E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, 2004, Pedone, p.631.

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« Au sens du présent accord, 1) le terme “investissement” désigne toutes les catégories de biens investis après l’entrée en vigueur du présent accord par une personne physique ou morale y compris le gouvernement d’une partie contractante, dans le territoire de l’autre partie contractante conformément aux lois et règlements de ladite partie.

Le terme « investissement » comprend notamment mais pas exclusivement : a) Les biens meubles et immeubles […], b) Les actions titres et obligations […], c) Les créances capitalisées […] ainsi que les droits à toute prestation contractuelle ayant une valeur économique, d) Les droits d’auteur, marques de fabrique, brevets, procédés techniques et autres droits de propriété intellectuelle et industrielle […], e) Tout droit de nature économique conféré par la loi ou par contrat […] f) Capitaux, […] employés pour, le maintien et/ou l’accroissement, de l’investissement […] ».

Ces définitions, de nature très large, reposant sur l'actif, sont généralement suivies d'une liste indicative des biens, laquelle comprend:

• Les biens meubles et immeubles et tous autres droits de propriété tels que les hypothèques, les créances privilégiées et les gages;

• Les actions, les titres et les obligations de sociétés ou autres intérêts dans des sociétés; • Les créances liquides ou les droits à prestations, au titre d’un contrat à valeur financière; • Les droits de propriété intellectuelle et la survaleur;

• Les concessions commerciales conférées par la loi ou par contrat, y compris pour la prospection, la culture, l’extraction ou l’exploitation de ressources naturelles268.

Dans ces termes, un « investisseur » est une personne morale ou physique qui détient l'un des droits énumérés, ou des « avoirs de toute nature » qui tombent autrement sous cette définition et ne sont pas marquée ailleurs hors de la portée de l'accord.

Dans certains Accords, comme dans le chapitre 11 de l’ALENA, les biens meubles et immeubles ne sont compris que s’ils ont une finalité économique ou commerciale. Cependant, un certain nombre de créances est exclu, notamment celles découlant des contrats commerciaux de vente ou de service ainsi que l’octroi de crédit pour les opérations commerciales269.

268Par exemple, l’article 1(1) de l’accord bilatéral sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements conclus entre le France et l’Afrique du Sud le 11octobre 1995.

269Accord de libre-échange nord américain (ALENA), chapitre 11, article 1139. disponible sur ( www.nafta-sec- alena.org).

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En ce qui concerne les investissements réalisés par l'acquisition de parts de fonds propres dans des entreprises nationales - une forme courante de la participation étrangère au sein du marché des services -, il est à noter que les définitions de l'investissement, basées sur les actifs, ne nécessitent pas que l'investisseur obtienne une position de propriété ou de contrôle sur cet investissement afin d'entrer sous la protection de la convention. En effet, les accords d'investissement se réfèrent largement aux « actions, titres ou tout autre type de prise de participation dans une entreprise » 270 ou à des termes similaires, sans référence à des participations ou autres qualifications concernant la relation entre l'investisseur étranger et la compagnie nationale incorporée.

La définition couvre la participation au capital dans des sociétés de droit local, y compris la participation de la minorité ou à travers les filiales intermédiaires dans la chaîne de propriété de l'entreprise. En fait, toute valeur économique portée par l'investisseur, à la suite de ses activités dans le pays hôte, devrait correspondre à l'une des catégories énumérées à travers une telle définition de l'investissement, ou au cadre des termes du texte introductif de la disposition qui est « tout type d'actif »271.

Dans certaines affaires CIRDI, les investisseurs sont dotés du statut juridique non pas parce qu'ils contrôlent l'entreprise mais parce que leurs actions constituent l'investissement dans leurs propre droit. Il est logique, par conséquent, qu'aucune affaire à ce jour n'ait pu établir une limite inférieure du niveau de participation afin de permettre de procéder à des procédures de règlement des différends entre investisseurs et États, sauf si une telle exigence est énoncée dans le texte du traité même272. En ce sens, le tribunal arbitral du CIRDI, dans l’affaire CMS gaz contre l'Argentine, n'a pas trouvé d’élément, dans le droit international, la Convention CIRDI ou l'accord concerné (TBI EU-Argentine) exige des investisseurs étrangers qu’ils détiennent une part de capitaux propres de la majorité ou qu’ils possèdent ou contrôlent l'entreprise locale pour avoir jus standi devant le tribunal.273

 La définition de l'investissement fondée sur l'entreprise :

270TBI Corée - Association européenne de libre-échange (AELE), article 1, para. 2. (c).

271SORNARAJAH M. , The International Law on Foreign Investment, Cambridge : Cambridge University Press, second edition 2004, PP. 220-221.

272UNCTAD, “Investor-State disputes arising from investment treaties: a review”, UNCTAD Series on International Investment Policies for Development, United Nations, New York and Geneva, UNCTAD/ITE/IIT/2005/4.

273CMS Gas Transmission c. République argentine, aff. n° ARB/01/8, décision sur la compétence du 17 juillet 2003 paras. 48, 51 and 65.

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Comme indiqué précédemment, la définition large, fondée sur les actifs, englobe divers types d’intérêts des sociétés, y compris sous forme d’actions, qui peuvent être détenus directement ou indirectement. Une approche alternative apréhende l'investissement à partir d'une définition fondée sur le concept « d'entreprise ». L'Accord de libre-échange Canada- États-Unis en est un exemple. L’« investissement » se trouve très clairement défini par rapport à l'entreprise, voire assimilé à cette dernière. En effet, selon l'article 1139 de l’ALENA, l'investissement désigne généralement « une entreprise » et, de façon plus spécifique, le « titre de participation » ou « de créance » de cette dernière.

Aux termes de cet accord, l’investissement incluait la création ou l’acquisition d’une entreprise commerciale, ainsi qu’une part du capital de celle-ci permettant à l’investisseur d’en prendre le contrôle. Par ailleurs, cet accord limitait l’investissement aux entreprises qui constituaient un investissement direct, excluant de ce fait l’investissement de portefeuille.274

Cela dit, ces mêmes entreprises, en tant que bénéficiaires principales de l’ALENA en la matière, voient leurs « investissements » soumis à un régime international de faveur275.

Tandis que la grande majorité des TBI disposent d'une définition de l'investissement reposant sur l'actif, un certain nombre d'accords de libre-échange avec les chapitres d'investissement ont eu recours à des définitions axées sur l'entreprise. L’Union européenne a favorisé cette approche, à travers ses différents modèles. Parmi ces modèles, on peut citer les accords EuroMed signés avec des partenaires méditerranéens et d'autres accords d'association et de partenariat économique. L'accord d'association avec le Chili, par exemple, a nommé son chapitre «établissement», plutôt qu' « investissement» et définit l'établissement ainsi:

i) la constitution, l'acquisition ou le maintien d'une personne morale, ou

ii) la création ou le maintien d'une succursale ou d'un bureau de représentation, sur le territoire d'une partie en vue de l'exercice d'une activité économique.276

Enfin, à la différence d’autres types d’investissement, une «entreprise» possède la personnalité morale: il est fréquent que les accords retenant l’approche fondée sur l’entreprise autorisent expressément un investisseur étranger à engager des recours, non seulement en son nom propre,

274CNUCED, Portée et Définitions, Collection de la CNUCED consacrée aux problèmes relatifs aux accords internationaux d’investissement II, New York et Genève, 2011, p. 22.

275CARREAU Dominique, « Investissement », répertoire de droit international Dalloz, août 2008, n°52.

276L’accord établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part, 2002, article 131.d.

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mais aussi au nom de son entreprise. Cette situation peut avoir des incidences sur le montant des indemnités qui peuvant être versées au titre des dommages subis.