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Chapitre 1. Différends relatifs au commerce des services à l’OMC

C) Le fondement juridique d’un différend soumis à l’OMC: le droit d'avancer des

L’article 1:1 du Mémorandum d’accord dispose que ses règles et procédures s’appliquent aux « différends soumis en vertu des dispositions relatives aux consultations et au règlement des différends des ... “accords visés” ». La question qui se pose ici est de déterminer quelles sont les

85Rapport de l’organe d’appel Canada — Périodiques, WT/DS31/AB/R, section IV et le rapport de l’organe d’appel CE — Bananes III, WT/DS27/AB/R, para. 220-222.

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conditions selon lesquelles les membres de l’OMC peuvent se prévaloir des dispositions du système de règlement des différends, c'est-à-dire ce qui constitue le fondement valable d’une plainte par un membre à l’égard d’un autre membre. En droit de l’OMC, toute mesure « affectant le fonctionnement de tout accord visé prise sur le territoire d’un membre relève de la compétence des organes juridictionnels de l'OMC »87. Le fondement ou motif d’un différend soumis à l’OMC doit donc se trouvé dans les accords visés. En d'autres termes, ce n’est pas le Mémorandum d’accord mais ce sont les Accords de l’OMC qui contiennent les droits et obligations fondamentaux des Membres de l’OMC, lesquels déterminent les causes possibles de litige. On considère généralement que les plaintes pour violation, adressées à l’OMC, ne peuvent se rapporter qu’à une violation des accords visés88.

L’AGCS, étant l'un des accords visés, entre dans le cadre du Mémorandum d'accord de l'OMC, de sorte que toute mesure visée par l'AGCS puisse être contestée devant les organes juridictionnels de l'OMC. La portée de l'AGCS est énoncée à l'article I.1, qui stipule que l'accord « s'applique aux mesures des Membres qui affectent le commerce des services ». L'accord reconnaît uniquement les différends État à État qui seront abordés dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l'OMC, offrant ainsi aux investisseurs un mécanisme d'exécution indirecte.

Avant le déclenchement formel du différend avec la demande d'établissement du groupe spécial, les membres sont tenus de tenir des consultations en vue de parvenir à « une solution satisfaisante de la question » par un arrangement à l'amiable 89 . D'autres membres affectés par les mesures mise en cause peuvent participer aux consultations si le membre défendeur y consent90. Toutefois, le mécanisme de règlement des différends de l’OMC peut être déclenché s’il y a violation d’une disposition des accords visés ; non-violation si la mesure a annulé ou compromis les avantages résultant des accords visés ; et ce qu’on appelle les plaintes dans une autre situation91.

Ainsi, l'AGCS prévoit deux causes d'action pour les différends qui relèvent de son champ d'application. Les causes d'action pour les deux plaintes, dans le contexte de l'accord, sont relativement différentes, et plus spécifiques que les causes d'action visées par l'Article XXIII du

87Article 4.2. Mémorandum d'accord. 88Articles 3, 6 et 7 du Mémorandum d’accord.

89Article XXII de l’AGCS et l’article 4 du Mémorandum d’accord. 90Article 4.11 du Mémorandum d’accord.

91Voir, en général, PETERSMANN Ernst-Ulrich, "Violation and Non Violation Complaints in Public International Trade Law", German Yearbook of International Law vol. 34, (1991), p. 175.

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GATT 1994. Cependant, les règles et les procédures du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends sont applicables, une fois qu'une plainte pour violation ou en situation de non- violation est formulée, conformément à l'Article XXIII de l'AGCS.

1. Plainte pour violation

Comme le GATT, l'AGCS reconnaît « la plainte pour violation » en tant que l'un des fondements d'un différend, permettant ainsi aux membres de porter plainte devant les organes juridictionnels de l'OMC, lorsque le membre « considérerait que tout autre Membre ne remplit pas les obligations ou engagements spécifiques qu'il a contractés au titre de l’accord92 ».

Pour ce type de demandes, l'AGCS ne se réfère pas à « l’annulation ou la réduction » d’avantages commerciaux comme décrites dans le GATT Art. XXIII: 1. Les membres se voient reconnaître le droit de porter un différend sans tenir compte, des effets économiques potentiels, que les mesures contestées peuvent ou non avoir sur les autres Membres. Une jurisprudence du GATT avait évolué en créant une présomption presque irréfutable de l'existence de l'annulation ou la réduction d'avantages commerciaux, dans le cas où des violations des disciplines du GATT avait été trouvées.93 Cette présomption semble toutefois inapplicable pour les plaintes de violation déposées en vertu des dispositions de l'AGCS, du fait de l'absence des dispositions dans l'AGCS quant à l'exigence d'annulation ou de réduction94.

Pour les différends relatifs au commerce des services, la considération que « les Membres ne parviennent pas à exécuter leurs obligations ou engagements spécifiques » en vertu de l'AGCS suffit à elle seule pour établir le fondement de porter le différend.

De ce fait, la seule exigence de la qualité pour agir dans les plaintes de violation, sous le regime de l’AGCS, est d'être simplement un membre de l'OMC. Les conséquences, en particulier pour les investissements dans les secteurs des services, sont importantes. Cette considération implique

92Article XXIII de l'AGCS

93Le rapport du Groupe spécial du GATT États-Unis - Fonds spécial, avait conclu que " on ne saurait interpréter la première phrase du paragraphe 2 de l'article III comme visant à protéger le volume d'exportations escompté; ce qu'elle protège, c'est le rapport compétitif escompté entre les produits importés et nationaux. Tout changement de ce rapport compétitif contraire à cette disposition doit par conséquent être considéré ipso facto comme annulant ou compromettant des avantages conférés par l'Accord général. Le fait d'établir qu'une mesure incompatible avec la première phrase du paragraphe 2 de l'article III n'a pas d'effets ou n'a que des effets négligeables ne suffirait pas, de l'avis du Groupe spécial, à prouver que les avantages conférés par cette disposition n'ont pas été annulés ou compromis, même si une réfutation dans ce sens était en principe permise." (rapport du Groupe spécial États-Unis - Fonds spécial, BISD, 34S / 136, paragraphe 5.1.9, cité dans le rapport de l'Organe d'appel CE -. Bananes III, paragraphes 251-252). Avec la création du nouveau mécanisme de règlement des différends de l'OMC, Art. 3.8 du Mémorandum d'accord codifié cette présomption dans les nouvelles disciplines.

94ZDOUC Werner, “WTO Dispute Settlement Practice Relating to the GATS”. Journal of International Economic Law, Vol. 2, No. 2, June 1999, p. 298.

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que si un investisseur étranger ne respecte pas les « règles d'origine ou des exigences de nationalité de l'accord », tout membre de l'OMC peut lancer une affaire, au profit de tout investisseur étranger, dans les secteurs des services, indépendamment de son pays d'origine, tant que l'investisseur investit dans un pays Membre de l'OMC.

Dans le cas d'une plainte «pour violation», le recours prévu par le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends consiste généralement à retirer ou à modifier la mesure jugée incompatible avec les obligations ou engagements spécifiques du Membre.

2. Plainte en situation de non-violation

Suivant les pratiques du GATT de 1994, l'AGCS permet aux membres de l'OMC de porter un différend contre les mesures qui n'impliquent pas une violation de ses disciplines, mais qui mettent en danger les avantages commerciaux de l'accord.

L'AGCS autorise également un Membre à formuler une « plainte en situation de non-violation » dans ce cas, des règles supplémentaires seront alors applicables. Dans ce contexte, une « plainte en non-violation » n'allègue pas qu'un Membre a violé des obligations ou des engagements spécifiques. La plainte porte ici davantage sur le fait qu'un Membre s'attend raisonnablement à bénéficier d'un avantage, en vertu d'un engagement spécifique souscrit par un autre Membre et que cet avantage a été annulé ou compromis.

L’article XXIII: 3 prévoit à cet égard que : « Si un Membre considère qu'un avantage dont il aurait raisonnablement pu s'attendre à bénéficier conformément à un engagement spécifique contracté par un autre Membre au titre de la Partie III du présent accord se trouve annulé ou compromis du fait de l'application d'une mesure qui ne contrevient pas aux dispositions du présent accord, ledit Membre pourra recourir au Mémorandum d'accord sur le règlement des différends. »

Le recours en situation de non-violation vise à protéger l'équilibre des concessions consenties au titre de l’OMC, en offrant un moyen de réparation pour des actions gouvernementales qui ne sont pas assujetties à un autre titre aux règles de l’OMC mais n'en annulent ou compromettent pas moins les avantages qu'un Membre attend légitimement des négociations commerciales95.

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Le recours en situation de non-violation, étant un instrument exceptionnel de règlement des différends96, dispose d'exigences plus strictes que celles imposées pour des plaintes de violation. Le demandeur doit démontrer pour cela que la mesure contestée annule ou compromet des engagements spécifiques sur les services et que ces mesures ne sont pas en vigueur ou ne pouvaient raisonnablement pas été prévues, au moment des négociations. Les engagements spécifiques qui pourraient être annulés ou compromis pourraient porter sur l'accès aux marchés, sur le traitement national ou sur les engagements additionnels, au titre de l'AGCS Arts. XVI, XVII et XVIII. En raison de ces exigences plus strictes, les pays soulevant une plainte de non- violation doivent démontrer que l'investisseur affecté négativement est un investisseur originaire de son territoire.

Dans tous les cas, les dispositions sur le règlement des différends au titre de l'AGCS accordent seulement aux membres de l'OMC le fondement juridique d'intenter une action, en vertu des disciplines, même si les règles de l'AGCS peuvent concerner directement les particuliers. Dans le cas d'une plainte « en situation de non-violation », le Membre affecté aura droit à une compensation mutuellement satisfaisante, en vertu de l'Article XXI de l'AGCS qui a trait à la modification des Listes. À l'inverse des plaintes en non-violation du GATT de 1994, l'action en situation de non-violation, dans le cadre de l'AGCS, peut inclure la modification ou le retrait de la mesure.

Il est, finalement, généralement, admis que les plaintes « en situation de non-violation » traduisent une mise en œuvre de bonne foi du GATT mais ne devraient pas être utilisées dans le but d’introduire, dans le droit de l’OMC, des dispositions qui n’y figurent pas97.

II. Rôles des acteurs non-étatiques dans le système de règlement des différends de l'OMC

Les accords de l'OMC comprennent un système de droits et d’obligations pour les gouvernements membres. Aucun de ces accords ne s’adresse directement aux acteurs privés. Bien que les sujets de l'Accord de Marrakech soient les gouvernements, une analyse du système commercial multilatéral fait apparaître que les acteurs économiques individuels sont pris en compte.

96Rapport du groupe spécial Japon-Film, para. 10.36.

97Voir COTTIER Thomas et NADAKAVUKAREN SCHEFER Krista, “Non-Violation Complaints in GATT/WTO Dispute Settlement: Past, Present, and Future”, in: Ernst – Ulrich Petersmann, (ed.), International Trade Law and the GATT-WTO Dispute Settlement System, Kluwer Law Publishers, 1997, pp.145-183.

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Cette caractéristique importante du droit de l'OMC n'a pas reçu l'attention qu'elle mérite.98

Bien que le système de règlement des différends de l'OMC ne considère que les différends entre les gouvernements, tous ces différends sont le reflet de la rivalité entre les acteurs économiques privés. En dépit de la position centrale des acteurs privés dans les différends commerciaux, ces acteurs ne sont pas explicitement reconnus dans l'entente de règlement des différends de l'OMC. Les personnes physiques et morales n'ont effectivement pas la possibilité d'introduire une action en vue d'obtenir le règlement d'un différend né de la violation des Accords de l’OMC. Les entreprises affectées par une mesure prise par un autre membre doivent s'adresser à leurs autorités compétentes pour intenter la procédure.99Néanmoins, les groupes spéciaux commencent à lever le voile gouvernemental pour identifier les acteurs économiques qui sont les véritables parties à un différend.

Dans quelle manière, l’acteur privé, a-t-il accès au système de règlement des différends de l'OMC? Existe-t-il une extension des droits procéduraux directement aux acteurs économiques, au sein de l'OMC ? Les entreprises et les associations de l'industrie peuvent-elles être considérées comme ayant un accès indirect au système de règlement des différends de l'OMC ? L'on examinera tout d'abord la manière limitée dans laquelle les accords de l'OMC prévoient des droits procéduraux aux personnes à l'OMC. L'on expliquera comment la jurisprudence de l'OMC expose cette nouvelle relation et interprète les règles de l'OMC, à la lumière des besoins des acteurs économiques (A). L'on se penchera ensuite sur la façon dont l’AGCS impose certains droits aux investisseurs étrangers, dans les secteurs des services (B).

A) L'accès des parties privées au règlement des différends de l'OMC : les voies d’accès