• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Différends relatifs à l'investissement : l’arbitrage investisseur-Etat (CIRDI)

B) La définition de l'investissement dans la convention CIRDI

L'existence d'un investissement est la pierre angulaire de la compétence du CIRDI. Pourtant, la Convention du CIRDI ne propose aucune définition pour le terme «investissement». Néanmoins, il est question d’une exigence selon laquelle un investissement revêt un caractère objectif et ne peut être remplacé par accord des parties277.

Les administrateurs de la Banque mondiale ont délibérément évité d’insérer une définition de l’«investissement» dans le paragraphe 1) de l’article 25 de la Convention du CIRDI. Cela tient, en partie, au fait que, les membres se sont trouvés, dans l’impossibilité de s’entendre, sur le sens exact du terme278. De même, cette approche a été retenue pour permettre à la Convention de prendre en compte tant les types classiques d’investissement (sous la forme d’un apport de capitaux) que les nouveaux types, notamment les contrats de services et les transferts de technologie279.

Rares sont les tribunaux du CIRDI à s’être prononcés sur la nature de l’opération économique à l’origine du différend qui leur était soumis280. D’après l'article 25 de la Convention de Washington , les tribunaux arbitraux ont toutefois élaboré une jurisprudence conséquente sur le sens à donner au mot « investissement » et ont ainsi adopté une liste de descripteurs qu'ils estiment caractéristiques en matière d’investissement281.

Le tribunal énonçait quatre conditions nécessaires pour qu’on se trouve en présence d’un investissement : les quatre critères de Salini. Ainsi un investissement suppose non seulement « des apports, une certaine durée d’exécution du marché et une participation aux risques de l’opération », mais il doit également contribuer « au développement économique de l’État

277DOLZER Rudolf and SCHREUERChristoph, “ principles of international investment law” , Oxford university press, first edition 2008, p. 61.

278SCHREUER Christoph H., MALINTOPPI Loretta, REINISCHAufust, SINCLAIRAnthony (eds.),The ICSID Convention : a commentary : a commentary on the Convention on the Settlement of Investment Disputes between States and Nationals of Other States, Cambridge ; New York : Cambridge University Press, second edition, 2009, pp. 114 à 117.

279DELAUME Georges R., "ICSID Arbitration and the Courts", The American Journal of International Law, Vol. 77, No. 4, Oct., 1983, p. 795.

280MANCIAUX Sébastien, « Investissements étrangers et arbitrage entre Etats et ressortissants d’autres Etats : Trente années d’activité du CIRDI », Paris : Litec, 2004 p. 63.

281LEBEN Charles, « Arbitrage (CIRDI) », Encyclopédie juridique Dalloz : Répertoire de droit international,, mars 2010, para. 61.

114

d’accueil de l’investissement » et ceci sur le fondement du Préambule de la Convention de Washington qui invoque « la nécessité de la coopération internationale pour le développement économique 282».

Bien qu'à première vue, le paramètre de la durée, avec l'exigence que l'investissement apporte une contribution au développement économique du pays d'accueil, peut suggérer que cette approche concerne plus la définition stricte de l'investissement que l'établissement d'une « entreprise », la pratique arbitrale a constaté que presque tous les projets en cours d'examen ont rempli ces exigences. En effet, un large éventail d'activités a été considéré comme constituant des « investissements », y compris la construction d'infrastructures tels que les barrages, les routes et les autoroutes, le fonctionnement des hôtels, l'acquisition de billets à ordre, les prêts bancaires, le dragage des canaux, les services d’inspection, et différents types de contrats de concession et publics.283

L’examen, même partiel, de la jurisprudence CIRDI, depuis une dizaine d’années, révèle qu’elle reste divisée sur ce sujet.

La décision du CIRDI du 23 juillet 2001 (Salini c/ Maroc) a eu une influence toute particulière à cet égard même si elle s’est inspirée, en partie, de décisions antérieures284.

Dans de nombreux cas, les arbitres ont pris en compte les quatre critères de Salini et ont accepté ou décliné leur compétence, à mesure qu’ils jugeaient que ces critères étaient présents ou non.285 Les cas où la compétence a été rejetée sur la base du fait que les opérations concernées ne constituent pas un investissement sont, en effet, exceptionnels. Ils se rapportent aux dépenses effectuées en vue d’un éventuel contrat public, et la revendication d'une garantie bancaire.286 Nous noterons, pour terminer que, dans la sentence Mihaly International Corporation contre Sri Lanka, les arbitres ont refusé de qualifier d’investissements les dépenses précontractuelles faites par une entreprise, en vue de la conclusion d’un contrat qui, en fin, ne sera pas signé287.

282Salini c/ Maroc, (affaire CIRDI n° ARB/00/4), décision sur la compétence du 23 juillet 2001, para. 52.

283DOLZER Rudolf and SCHREUER Christoph, “Principles of international investment law”, Oxford ; New York : Oxford University Press, first edition, 2008, p. 69.

284Fedax contre Venezuela (aff. CIRDI n° ARB/96/3) , decision sur la competence du 11 juill. 1997 ; CSOB c/ Slovaquie (aff. no ARB/97/4) ,décision sur la compétence du 24 mai 1999.

285Patrick Mitchell contre Congo (DCAH 1er nov. 2006, aff. no ARB/99/7, la création d’un cabinet d’avocats) ; Saipem Spa contre Bengladesh (DC 21 mars 2007, aff. no ARB/05/07, construction d’un pipeline) ; Malaysian Historical Salvors et alii contre Malaisie (DC 17 mai 2007, aff. no ARB/05/10, contrat de récupération d’épaves) ; Noble Energy Inc et alii contre Ecuador et Consejo Nacional de Electricidad (DC 5 mars 2008, aff. no ARB/05/12, construction et exploitation d’une centrale électrique).

115

De manière générale, la méthode d’appréciation par les tribunaux de l’existence d’un investissement, au sens de la Convention CIRDI, n’est pas stabilisée. Les énoncés des tribunaux CIRDI considérant l’existence d’une notion d’investissement, au sens de la convention, sont partagés entre deux approches288. La première démarche pose une définition de l’investissement qui comprend des éléments à réunir cumulativement, de sorte que l’absence de l’un d’entre eux disqualifie l’opération289. La seconde approche part de l’idée qu’un investissement s’apprécie au regard de quelques caractéristiques variables à apprécier in concreto ; l’appréciation d’ensemble faisant que l’on peut parvenir à qualifier une opération d’investissement même en l’absence d’une caractéristique290.

III. Le consentement à l'arbitrage

Le consentement des parties à l’arbitrage, en matière d’investissement, soulève des problèmes spécifiques qui concernent tous le consentement de l’Etat291 : a-t-il été réellement exprimé? L’a-t- il été valablement? Quel en est l’objet exact ? Ces problèmes revêtent des aspects différents selon l’instrument dans lequel le consentement est configuré.

Comme toute forme d'arbitrage, l'arbitrage d'investissement est systématiquement basé sur un accord. Le consentement à l'arbitrage par l'État d'accueil et par l'investisseur est une condition indispensable à la compétence d'un tribunal. Il constitue également un élément clé dans l'établissement des limites de la procédure arbitrale car celle-ci définit les questions qui peuvent être soumises à un examen arbitral. La participation aux traités joue un rôle important pour la compétence des tribunaux mais ne peut par elle-même établir leur compétence. Les deux parties doivent avoir exprimé leur consentement.

287Mihaly International Corporation contre Sri Lanka, (affaire CIRDI n° ARB/00/2), Sentence du 15 mars 2002, paras. 50 et s.

288GAILLARD Emmanuel, « Reconnaitre ou définir ? Réflexions sur l'évolution de la notion d'investissement dans la jurisprudence CIRDI », in Le droit international économique à l'aube du XXIème siècle, En hommage aux Professeurs Dominigue Carreau et Patrick Juillard, Paris, Pedone, 2009, pp. 21 et s.

289Victor Pey Casado et Fondation « Presidente Allende » c. Chili (affaire CIRDI n° ARB/98/2), sentence arbitrale du 8mai 2008, para. 232.

290En ce sens, Československa obchodní banka, A.S. c. République slovaque (Affaire CIRDI n° ARB/97/4), décision du Tribunal sur la compétence du 24 mai 1999, para. 90. En faveure de cette approche FADLALLAHIbrahim, « La notion d'investissement : vers une restriction à la compétence du CIRDI? », in Global reflections on international law, commerce and dispute resolution : liber amicorum in honour of Robert Briner, Paris : International Chamber of Commerce (ICC), 2005, p. 267.

291MAYER Pierre et SILVAAna Carolina Simões e, « Le consentement à l’arbitrage », in Charles Leben (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, p. 681.

116

Le texte de la Convention de Washington repose sur l'idée que le consentement des parties crée la compétence qui agit comme principe directeur de la mise en place et le fonctionnement des tribunaux d'investissement CIRDI.292

La participation à la Convention de Washington signale la volonté du pays à faire un usage éventuel de ce mécanisme mais il ne remplit pas les conditions pour exprimer son consentement écrit à la compétence arbitrale. 293 De ce point de vue, aucune différence n’existe entre le CIRDI et l'arbitrage ad hoc, comme chaque État contractant demeure libre d'accorder ou de refuser son consentement pour apporter toute question dans l'arbitrage international, ou de définir des conditions pour son consentement.

Le consentement à l'arbitrage peut être exprimé dans un instrument unique ou dans un acte unique. Cette forme, d'expression directe du consentement, se matérialise traditionnellement par le biais d’une clause compromissoire contenue une convention d’investissement, appelé aussi « contrat d’Etat294 » entre l’Etat d’accueil et l’investisseur étranger.

Outre la clause compromissoire et le compromis, les accords directs entre les parties peuventse matérialiser l’autorisation par l’Etat d’accueil à l’investisseur de s’implanter sur le territoire de cet Etat. Le tribunal a autorisé cette forme d’accord295.

Cette pratique va être acceptée par le Centre et celui-ci va publier des clauses types afin de faciliter la rédaction des TBI, pour les États contractants à la Convention de Washington ou pour les pays qui souhaitent se prévaloir du Mécanisme supplémentaire.296

L’objet du consentement est déterminé par la rédaction de l’instrument qui exprime la volonté des parties d’avoir recours à l’arbitrage297. C’est à partir de cet écrit qu’il sera possible d’établir les sortes de litiges qui seront soumis à l’arbitrage, le genre de conditions pour avoir accès à l’arbitrage et les types d’arbitrage qui peuvent être initiés par les parties. Le consentement de

292SCHREUER Christoph, “Consent to Arbitration", in Peter Muchlinski, Federico Ortino and Christoph Schreuer (eds), The Oxford Handbook of International Investment Law, 2008, p. 831.

293Le Préambule de la convention de Washington est très clair à cet égard : « Déclarant qu’aucun Etat contractant, par le seul fait de sa ratification, de son acceptation ou de son approbation de la présente Convention et sans son consentement, ne sera réputé avoir assumé aucune obligation de recourir à la conciliation ou à l’arbitrage, en aucun cas particulier ».

294KAUFMANN-KOHLER Gabrielle, « L'arbitrage d'investissement : entre contrat et traité - entre intérêts privés et intérêt public », In: Revue libanaise de l'arbitrage arabe et international, 2004, n° 32, p. 9-15.

295Amco Asia c. Indnésie (affaire CIRDI n° ARB/81/1) décision sur la compétence du 25 septembre 1983, para. 14(ii).

296Voir ICSID Model Clauses: Doc. ICSID/5/Rev. 2 February 1, 1993, in ICSID Review - Foreign Investment Law Journal, Volume 8, Issue 1, 1 March 1993, pp. 134–151,https://doi.org/10.1093/icsidreview/8.1.134.

117

l'État peut être donné d'une manière générale, pour tous les litiges qui pourraient survenir concernant un sujet précis. Dans ce cas, l'expression de l'état du consentement fonctionne comme une offre ouverte du consentement à des investisseurs étrangers. La convention d'arbitrage est purement perfectionnée lorsqu’un investisseur, en particulier, accepte cette offre d'arbitrage international.

La « rencontre » des deux volontés, celle de l’État qui accepte la compétence du CIRDI dans sa loi ou dans un traité et celle de l’investisseur, a lieu lorsque celui-ci saisit le Centre d’une requête d’arbitrage, acceptant ainsi et du même coup la compétence du Centre.298

Dans la pratique, l'acceptation de l'offre d'arbitrage prend la forme de l'ouverture de la procédure d'arbitrage à proprement parler.299 Cette offre, à la juridiction arbitrale peut être trouvée dans les législations nationales relatives à l'investissement étranger, ou, plus communément, consacréé en tant que clause d'arbitrage dans les TBI, ou les chapitres sur l'investissement des accords commerciaux préférentiels.

La possibilité d’exprimer le consentement, de façon décalée, était, expressément, prévue au paragraphe 24 du Rapport des administrateurs :

« […] un État hôte pourrait offrir, dans le cadre d’une législation destinée à promouvoir les investissements, de soumettre à la compétence du Centre les différends résultant de certaines catégories d’investissements, tandis que l’investisseur pourrait donner son consentement en acceptant l’offre par écrit ».

Après avoir envisagé les formes possibles de consentement entraînant des conséquences diverses sur la nature du consentement, il y a lieu maintenant d’etudier les restrictions qu’un Etat ou une partie à la convention peuvent apporter à la portée de ce consentement.